A l'occasion de la sortie en Blu-ray de Godzilla, entretien exclusif avec le réalisateur Gareth Edwards - 3ème partie
Article Cinéma du Jeudi 16 Octobre 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Dans la saga de la Toho, Godzilla montrait des signes d’intelligence animale. Qu’avez-vous conservé de cette facette du monstre dans votre version ? Se comporte-t-il comme un personnage capable de raisonnement ou comme un animal sauvage qui agit en s’appuyant sur son instinct ? Est-il un allié des humains ou un ennemi ?

L’une des décisions importantes que nous devions prendre en écrivant ce film était « Godzilla tient-il compte de la présence des humains ou pas ? Y a-t-il une quelconque sorte d’interaction entre lui et les humains à un moment précis ? » Après y avoir songé longuement, nous avons décidé que non. Une créature aussi colossale que lui ne peut pas se comporter comme E.T. ! Il ne peut pas se préoccuper de ces êtres minuscules que sont les humains. C’est donc de là que nous sommes partis. Je dois avouer qu’il n’est pas impossible que nous ayons outrepassé cette règle une fois dans le film, mais en règle générale, Godzilla ne nous prête pas plus d’attention que nous n’en portons à une colonie de fourmis. Il est indifférent à notre présence, et agit comme la force de la nature qu’il est. Concernant son intelligence, je crois que l’on peut dire qu’étant le dernier de son espèce, Godzilla se comporte comme un guerrier solitaire. Quand nous avons décidé cela, nous avons fait appel à Andy Serkis pour qu’il nous aide à faire passer ces intentions dans l’animation du personnage, à certains moments précis du film. Quand nous parlions de cela ensemble avec Andy et que nous cherchions des références humaines, j’ai dit que Godzilla pourrait être le dernier samouraï, le dernier guerrier d’une époque passée, qui continue à arpenter la terre. En dépit du fait qu’il soit un animal, il y a une certaine noblesse en lui. Il a une allure, une posture et un regard qui lui donnent du charisme. C’est à sa manière un ronin, un samouraï sans maître.

Si nous vous demandons combien de monstres il y a dans le film, allez-vous répondre ?

(rires) Plus d’un ! (rires) Mais même si je ne peux pas être plus précis, je pense que vous avez déjà compris dès la diffusion des premières bandes annonces que nous sommes restés très raisonnables.

Le GODZILLA original de 1954 était une référence directe aux bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Votre film fait-il référence à la catastrophe plus récente de Fukushima, et au-delà, avez-vous été inspiré par les images réelles de catastrophes qui ont été filmées ces dernières années ?

L’incident dans la centrale nucléaire que nous montrons dans le film se déroule en 1999 et n’est pas une référence directe au drame de Fukushima. Pour ma génération qui n’a pas connu la seconde guerre mondiale, les vraies images horrifiques qui ont marqué nos esprits au fer rouge sont les images des attentats du 11 septembre 2001, et des tsunamis qui ont frappé la Thaïlande et le Japon. Il était donc inévitable que nous ayons ces références en tête quand nous avons travaillé sur les images de destructions catastrophiques de notre film. Désormais, elles font partie de notre subconscient commun. Nous ne pourrons pas oublier de sitôt ces visions de ce qui s’est produit quand la nature a décidé de se retourner contre nous.

Dans votre histoire, l’existence de Godzilla est connue depuis 1954, mais elle a été gardée secrète après qu’une bombe H ait été utilisée pour tenter de se débarrasser de lui. Pouvez-vous parler de toute cette conspiration qui est un élément important du récit ? Est-ce que de nombreuses nations sont au courant de cela, et ont-elles eu à régler de leur côté d’autres apparitions de mégamonstres dans d’autres parties du globe ?

Cette conspiration du secret est organisée entre de nombreuses nations. Le film ne concerne pas que les Etats-Unis, c’est une histoire qui se déroule dans différents points du globe. Je crois que l’on peut dire que la première partie du film est consacrée à cette conspiration. Au début du projet, nous avions un choix important à faire, car pour aborder un sujet comme Godzilla, on doit se poser une question incontournable : « Comment une créature aussi colossale peut-elle apparaître brutalement du jour au lendemain sans que personne ne l’ait remarquée avant ? » Et la meilleure réponse que nous ayons pu trouver est que ces créatures n’ont pas surgi aujourd’hui : elles ont toujours été là. Le grand public l’ignorait, mais d’autres personnes haut placées étaient déjà au courant. C’est pendant que nous faisions des recherches sur le Japon, au début de projet, que nous avons appris qu’un test de bombe H avait été réalisé en 1954 par les autorités américaines sur l’atoll de Bikini. Nous nous sommes demandé alors « Et si nous montrions dans notre film que ce test n’en était pas un ? Et si l’explosion de cette bombe avait été organisée pour tuer quelque chose ? » Dès que nous avons trouvé cette idée, elle nous a mis sur la piste de cette notion plus large de l’existence ancienne des créatures. Nous nous en sommes servis comme d’un tremplin pour imaginer tout le contexte de l’existence des monstres sur terre, depuis des millénaires. Et le reste du récit a pu être construit à partir de là.

Après avoir décidé d’utiliser une approche réaliste pour réaliser GODZILLA, et avoir choisi des personnages humains avec des conflits émotionnels forts, quelles sont les premières images qui vous sont venues en tête, les premières séquences que vous avez eu envie de voir dans le film ? D’autre part, quelles sont les scènes, les plans, et les personnages du film original de 1954 que vous avez trouvés les plus mémorables et qui vous ont particulièrement inspirés ? Avez-vous adapté certains de ces éléments dans ce remake ?

Vous savez, au début d’un projet quel qu’il soit, je commence par collectionner des images de toutes sortes : des illustrations, des photographies… Je crois qu’une des images qui m’a le plus influencé est la couverture d’un livre que j’ai acheté il y a longtemps, et qui montrait un groupe de soldats japonais de la seconde guerre mondiale qui escaladaient une colline dans le brouillard, en pointant devant eux leurs fusils équipés de baïonnettes. C’était une image très évocative, une atmosphère irréelle et dramatique. Ces soldats avançaient vers l’inconnu…

Presque vers la mort et l’au-delà ?

Oui, c’est cela. Ils avançaient dans ce brouillard effrayant sans savoir s’ils allaient vivre ou mourir dans les prochaines minutes. C’était une situation effrayante, à l’impact visuel très puissant. Cette image m’a convaincu qu’il fallait absolument qu’il y ait au moins une séquence de ce genre dans le film, ou les personnages avanceraient dans un brouillard de poussière, sans savoir où ils vont, sans pouvoir deviner s’il y a une créature qui les attend pour les anéantir de l’autre côté. Cette idée a évolué et elle a été transposée de bien des manières différentes dans le film. On la retrouve dans la dernière séquence, et dans d’autres scènes comme le saut en parachute au-dessus de San Francisco, quand les soldats traversent les nuages et aboutissent juste au-dessus des monstres et des rues ravagées, en n’ayant qu’une très faible marge de manœuvre pour se diriger et atterrir hors de portée des créatures. Cette notion d’avancée dans l’inconnu est probablement la toute première qui me soit venue à l’esprit. Ensuite, en ce qui concerne le GODZILLA original de 1954, je crois qu’une des scènes qui m’avait frappée le plus est celle où l’on voit des gens âgés qui meurent à la suite de leur irradiation. C’est fascinant de se rappeler que le Japon subissait alors une censure imposée par les autorités militaires américaines, qui interdisait que l’on parle des bombardements de Hiroshima et Nagasaki et de leurs conséquences horribles dans les films japonais. Je pense que c’est pour contourner cette censure que les concepteurs de GODZILLA ont eu l’idée de créer un film avec un monstre géant radioactif, qui leur permettrait de montrer des images d’une ville complètement détruite, dans laquelle subsiste des radiations telles que les gens en sont affectés. C’était un moyen d’aborder les évènements de Hiroshima et Nagasaki tout en passant « sous le radar » de la censure. Je trouve que c’est ainsi que naissent les films Fantastiques et de Science-Fiction les plus brillants : ils ne sont pas seulement consacrés à des créatures ou à des aventures imaginaires, mais ils contiennent un double message et abordent des problèmes importants de la vie réelle. Cela rend l’histoire beaucoup plus forte, et permet deux niveaux de lecture. Vous pouvez voir le film comme un pur divertissement, comme une aventure imaginaire avec un monstre géant qui vous permet d’avoir peur et de vous amuser, mais vous pouvez aussi penser aux thèmes inquiétants et bien réels qui concernent notre vie de tous les jours et le devenir de notre planète.

Y a-t-il des références aux autres Kaijus des films de la Toho ?

Oui, bien sûr, car nous avons tous été influencés par eux. Et nous rendons hommage à ces films dans le nôtre. Le problème, c’est que les fans sont tellement observateurs et prompts à remarquer ces petits détails qu’ils établissent parfois des connections inattendues et font des déductions auxquelles nous n’aurions jamais pu songer. Dans la dernière bande-annonce, il y a un plan où l’on voit deux personnes côte à côte sur le rebord d’un immeuble, et certains fans en ont déduit qu’il s’agissait des deux minuscules jumelles qui accompagnent Mothra ! (rires) En regardant l’image, on peut comprendre pourquoi ils ont pensé cela, mais je suis désolé de ruiner leurs espoirs en révélant qu’il s’agit de deux pompiers de taille normale !

La suite de cet entretien avec Gareth Edwards paraîtra bientôt sur ESI !

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