LES TORTUES NINJA : Reportage exclusif à ILM et entretiens avec l’équipe des effets visuels – 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 05 Novembre 2014

Quand les Tortues improvisent… Suite de notre entretien avec Pablo Helman

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelle est la part que vous laissez à l’improvisation pendant ces séances de captures de performances ?

Vous savez, ce qui est amusant avec ce système, c’est que les comédiens ne savent jamais quand on cesse d’enregistrer ce qu’ils font, ni s’ils sont encore « dans le cadre » ou pas, car ils n’ont pas l’habitude d’un système qui enregistre tout ce qui se passe sur le plateau, sous tous les angles possibles. Cela nous permet de capturer aussi des petits moments imprévus où les acteurs s’amusent entre eux ou tentent des choses. Ce qui se passe ensuite avec les données ressemble au processus du montage avec la collaboration entre le monteur et le réalisateur : ils sélectionnent ce dont ils ont besoin pour chaque plan, et nous devons repérer ce moment dans les données, puis leur envoyer sur le réseau pour qu’ils puissent avancer avec. C’est un processus compliqué, tout particulièrement quand vous travaillez sur une comédie. Pour incarner les tortues, nous avions quatre acteurs particulièrement doués pour les idées de gags, les improvisations et les ajouts de répliques amusantes, et nous avons voulu en tirer parti. Pendant le tournage, sur la base du script, les scénaristes leur disaient souvent « Tiens, essaie plutôt de faire cela, en disant cette réplique-là » afin de les lancer sur de nouvelles pistes. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avions besoin d’un système de montage immédiat des données brutes. Au final, chaque scène d’animation finalisée avec les tortues est un montage de cinq, six ou sept captures de performances différentes dont on n’a gardé que les meilleurs moments. Ce sont des mélanges de choses qui ont été enregistrées pendant le tournage, dans les décors, puis dans « le volume », le studio d’enregistrement de Mocap dans lequel nous avons travaillé à Los Angeles, et encore plus tard quand il s’agissait de petits bouts de scènes de complément.

Comment le réalisateur visionnait-il les « rushes » de capture de performance au quotidien, pour choisir les bouts de scènes et les angles de prises de vues qu’il préférait ?

Eh bien à raison de deux caméras fixées sur la tête de chaque acteur et filmant son visage, nous avions déjà 8 points de vue des expressions faciales des 4 comédiens, mais le réalisateur ne regardait pas cela, étant donné que ces images sont très déformées par les grands angulaires que nous avons fixés sur elles pour pouvoir filmer tout le visage à une très courte distance. Il y a une caméra vidéo normale qui filme les acteurs pour avoir une vision d’ensemble de leurs gestes, et deux caméras qui sont assignées à la capture de leurs mouvements corporels. Le réalisateur voit sur des moniteurs les images de ces trois caméras-là, et se sert de cela pour juger de la qualité d’une performance complète ou d’une partie précise de la performance. Ensuite, quand on passe à la phase du montage des performances, il juge à la fois la qualité des images pré-sélectionnées et les interprétations vocales de chaque prise.

Un système « tous terrains »

Le système Muse est-il plus facile à utiliser en décors extérieurs que les précédentes méthodes de capture de performance que vous aviez utilisé sur des films comme les Pirates de Caraïbes ?


Oui, beaucoup plus. Je dirai presque que c’est un système « tous terrains » qui peut s’adapter à tous les types de plateaux, même quand il y a des pieds de projecteurs ou des supports de grues de caméras autour des acteurs.

De combien de personnes se compose l’équipe chargée de la capture de performance sur le plateau ?

Le groupe d’ILM était composé de 14 techniciens d’effets visuels qui prenaient soin du système Muse et de l’enregistrement des données tout au long de la journée. C’est la première fois que j’avais une équipe aussi importante à mes côtés pendant un tournage. Tout le processus est transparent, autrement dit, toute l’équipe du film peut suivre ce que nous faisons à tout moment, voir où nous en sommes et interagir avec nous.

Avez-vous eu des petites surprises en utilisant pour la première fois le procédé Muse et vos nouveaux équipements en décors extérieurs ?

Oui. Nous nous sommes rendu compte par exemple que quand les acteurs baissaient leurs têtes et que leurs caméras faciales pointaient donc en l’air, la lumière solaire « éblouissait » les caméras et pouvait nous faire perdre une bonne partie des données de capture des expressions. Il a fallu que nous remédions à ce problème. De même, nous avons conçu des tenues de mocap complètement nouvelles afin que l’ordinateur puisse reconnaître plus facilement les positions du corps de chaque acteur. Nous avons conçu des motifs géométriques spéciaux qui ont été imprimés sur le tissu des tenues à cet effet.

Comment permettez-vous à l’ordinateur de différencier les corps des quatre acteurs ?

Nous plaçons des petits motifs numériques différents appelés « feducia » sur chaque acteur, et l’ordinateur les identifie et comprend ainsi la position de chacun d’entre eux. De cette manière, il ne peut pas prendre le bras d’un acteur pour celui d’un autre comédien qui se trouverait juste à côté. Les noms des personnages apparaissaient d’ailleurs sur chaque moniteur affichant les données de captures de performance, qui étaient constamment vérifiées par un opérateur.

En dehors des caméras fixées sur leurs casques et de leurs tenues de mocap, les acteurs portaient-ils d’autres équipements techniques ?

Oui, Ils portaient chacun un enregistreur de données, qui envoyait les données de capture de performance par Wifi vers le poste de travail de l’opérateur. C’est une des raisons pour lesquelles nous avions besoin de nous placer aussi près que possible des acteurs pendant le tournage, pour vérifier constamment que nous recevions toutes les données, et pour intervenir si jamais il y avait un problème de réception.

Est-ce que les armes des tortues sont générées en 3D après le tournage ? Ou avez-vous utilisé aussi des accessoires conçus pour la mocap qui les représentaient ?

Cela dépendait des plans. Nous avons mis en place toute une méthodologie pour gérer cela. Dans certains cas les acteurs portaient des accessoires, notamment Jeremy Howard, qui jouait Donatello, car ce personnage est équipé de tout un arsenal. Parmi les accessoires principaux, il y avait les épées, les nunchakus et d’autres armes. Et dans l’image finale, on donne à ces accessoires l’aspect de véritables armes hyperréalistes.

A quels moments avez-vous utilisé de l’animation en poses-clés à la place des données de performances des acteurs ?

A la demande du réalisateur et du producteur, souvent pour des questions de timing de la scène, par exemple pour raccourcir un moment un peu trop long sans que cela se voie dans la continuité du plan. Mais à chaque fois, nous avons respecté les intentions de jeu de l’acteur, la motivation du personnage, et la logique de son attitude, car on ne peut pas faire impunément du «copié-collé » dans une scène animée à base de capture de performance, pas plus qu’on ne peut insérer facilement de l’animation en key frame dans une performance. C’est extrêmement délicat et subtil à faire, et il suffit de peu de choses pour que l’on sente une rupture de ton gênante.

La suite de notre dossier Tortues Ninja / ILM paraîtra bientôt sur ESI !

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