Entretien exclusif avec Roy Conli, producteur des NOUVEAUX HEROS – 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 25 Fevrier 2015

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Aimeriez-vous adapter une autre équipe de personnages Marvel en animation ? Et à votre connaissance, y a-t-il d’autres adaptations de BD Marvel envisagées par Disney Animation en ce moment ?

J’ai eu tellement de plaisir à travailler sur LES NOUVEAUX HEROS avec mon équipe et avec Joe Quesada et Jeph Loeb que je serais ravi de travailler sur une autre adaptation d’une BD de Marvel. Mais encore une fois, chacun de nos nouveaux projets est issu de la vision d’un réalisateur, comme John Lasseter l’a déterminé très clairement dès qu’il a pris ses fonctions. Il a établi un processus selon lequel chaque réalisateur présente trois idées qui lui plaisent, et nous les soumet. Ensuite, nous en discutons tous ensemble au sein du comité qui veille sur l’avancement des histoires. Les idées sont examinées à tour de rôle et le comité fait des suggestions. Il peut arriver que le réalisateur préfère l’histoire A et le comité l’histoire B. Dans ces cas-là, le réalisateur revient en disant « J’aimerais avoir la possibilité de développer un peu plus l’histoire A », et John lui donne le feu vert pour le faire. Ensuite, quand l’histoire A retravaillée revient devant le comité, si elle est jugée suffisamment solide, c’est celle-là qui va être choisie, et que nous allons commencer à développer. Ce processus nous permet d’évaluer constamment quelles sont les idées les meilleures et les plus abouties. Mais personne chez nous ne s’adresse à un groupe de réalisateurs en leur disant, « Bon cette fois-ci, toi, tu vas nous préparer un conte de fées. Et toi on va te confier un film de super-héros » ! (rires)

Quand vous nous avez présenté des extraits du film avant cet entretien, nous avons eu l’occasion d’observer assez longuement l’image projetée sur l’écran derrière vous, qui représentait une vue en plongée d’une rue de San Fransokyo en pente avec plusieurs dénivelés successifs. Nous avons été frappé par la multitude de petits détails qui composent cet immense décor de la ville. Comment ces rues et tout ce paysage de San Fransokyo ont-ils été conçus ? Est-ce que certains membres de l’équipe de conception artistique sont allés effectuer des repérages graphiques à Tokyo pour déterminer quels éléments architecturaux et quels détails urbains typiquement japonais ils pourraient parvenir à mêler aux images bien connues de San Francisco ?

Tout d’abord, je dois dire que les spécialistes des techniques 3D du studio m’ont expliqué que l’univers tridimensionnel des a atteint un tel niveau de complexité de détails et une taille si gigantesque que l’on pourrait y faire tenir l’intégralité des décors 3D des films LES MONDES DE RALPH, RAIPONCE et FROZEN, tout en ayant encore un peu d’espace disponible ! L’ampleur des environnements que nous avons été en mesure de créer est proprement sidérante. La technologie de base que nous avons employée pour créer San Fransokyo vient d’un logiciel du commerce qui s’appelle City Engine. Mais nous l’avons retravaillé. Ensuite, pour donner à San Fransokyo l’aspect d’une ville dynamique et débordante de vie, nous avons créé un logiciel baptisé Denizen pour modéliser et animer via une intelligence artificielle les milliers de passants que l’on peut voir dans les rues. Contrairement à certains films d’animation où l’on remarque qu’il n’y a que huit personnages-type masculins et huit féminins, avec de variations de costumes et de teintes de vêtements, nous avons été en mesure de créer énormément de modèles uniques de citoyens. Nous avons même demandé à chaque personne de notre équipe de créer son propre avatar d’habitant de San Fransokyo ! (rires) J’ai moi aussi un clone qui se promène quelque part au milieu des foules que l’on voit dans le film, ce qui me plaît beaucoup ! Concernant la topologie de la ville, nous avons utilisé des cartes 3D du relief de San Francisco, que nous a fourni le département des plans de la municipalité. Nous nous sommes servis de ces informations pour créer notre petite caricature de San Francisco, en plaçant à peu près les mêmes types de bâtiments dans notre version. Ce qui est sympathique, c’est que si vous connaissez à la fois San Francisco et Tokyo, vous pourrez reconnaître des endroits précis de ces deux villes que nous avons recopiés pour créer certains décors de rues. Ceux qui ont visité San Francisco pourront retrouver ainsi la fameuse artère de Market Street où se trouve l’une des stations des Cable cars qui permettent d’aller d’un bout à l’autre de la ville en passant par la colline la plus haute. Et à un autre moment, si vous avez des souvenirs d’une excursion à Tokyo, vous vous direz « Eh, mais voilà Nagasaki Square ! » L’un des autres éléments essentiels de la réussite de l’aspect des décors est notre nouveau logiciel de rendu de l’éclairage qui s’appelle Hyperion, et qui est l’un des joyaux de notre technologie. C’est un système qui emploie la technique de ray tracing, qui reconstitue toutes les phénomènes physiques autour de la lumière avec une subtilité et un réalisme époustouflants. Les scènes qui se déroulent au coucher du soleil, où l’on voit Hiro et Baymax voler au-dessus du pont du Golden Gate sont particulièrement spectaculaires. Je suis très fier du fruit de la collaboration de nos équipes artistiques et techniques qui ont permis d’aboutir à un tel résultat.

Et à propos des détails des décors ?

Ah oui, j’allais oublier de citer Paul Felix, notre concepteur des décors, et Paul Watanabe, notre directeur artistique, qui sont allés à Tokyo avec les deux réalisateurs et les membres-clés de l’équipe. Ils y ont passé environ deux semaines pour y faire des repérages et prendre des dizaines de milliers de photos. Paul Felix a puisé dans tout cela les inspirations de toutes les pancartes, enseignes de magasins et publicités lumineuses que vous avez pu voir dans les rues de San Fransokyo.

Vous travaillez avec des artistes qui sont tous formidablement doués. Est-il parfois difficile de leur dire « Bon, il faut arrêter de développer cet élément-là, car nous devons passer à autre chose pour livrer le film dans les délais prévus » ?

Je vais vous expliquer comment j’organise la production des films sur lesquels je travaille. Dès le début, je veux que toute mon équipe de production, c’est à dire mes assistants de production, mes coordinateurs, mes superviseurs de production, mes managers, mes chargés de production et tous mes producteurs associés se mettent à penser comme des artistes. Et inversement, je demande à mes artistes de travailler tout en gardant en tête les objectifs de l’équipe de production. Et je veux qu’ils se parlent constamment et sachent ce qu’ils font de part et d’autre. Tous les membres de l’équipe connaissent les délais qui nous sont imposés. J’entends souvent des gens parler de la crainte des délais, mais si tout le monde a bien compris quel est le calendrier d’un projet, étape par étape, ce problème ne se pose jamais, car tout le monde sait que la date finale qui est indiquée est la vraie deadline, et qu’il n’y en a pas d’autre après. Pour ma part, je trouve extrêmement bizarre que dans certaines productions, on indique de fausses deadlines aux équipes pour inciter les gens à ne pas dépasser les délais. Ce n’est pas une bonne manière de travailler. En ce qui me concerne, je n’ai jamais utilisé de tels stratagèmes. Cela étant dit, il peut arriver que deux semaines avant une deadline, mon directeur de l’animation ou mon superviseur de l’éclairage vienne me voir pour me dire « Je n’y arriverai pas. » Quand cela se produit, nous nous asseyons et nous discutons longuement ensemble pour trouver une solution. Et nous y parvenons à chaque fois. Vous savez, comme je travaille avec un groupe d’artistes qui font partie des meilleurs au monde, cela simplifie considérablement ma tâche, parce que dans la plupart des cas, ce sont des gens qui savent très bien communiquer avec les autres. Ils n’attendent jamais la dernière minute pour me signaler un problème qui risque de se poser. Et s’ils pensent qu’un décor ou une animation qui est déjà très bien pourrait être encore améliorée alors que nous sommes proches du moment où ces plans devraient être finis, ils savent que je suis ouvert à la discussion et que nous pouvons essayer d’aller encore un peu plus loin si c’est possible.

Mais votre rôle de producteur est aussi d’arriver à établir certains compromis…

Oui, bien sûr. Si quelqu’un me demande cinq jours de plus pour travailler sur telle ou telle chose, je vais lui demander sur quels autres délais de livraisons il pense que nous pourrons prélever cinq jours, afin de rééquilibrer notre plan de travail. Et ce qui m’étonne toujours, c’est qu’en fin de compte, le rythme global s’accélère et les choses se régulent d’elles-mêmes, sans que nous ayons à ponctionner des journées ailleurs ! (rires)

Les scènes entre Hiro et le robot Baymax que nous avons vues nous ont rappelé certaines situations du film REAL STEEL avec Hugh Jackman. A-t-il été une des sources d’inspiration de votre équipe ?

Je dois avouer que je ne l’ai pas vu. Je ne crois pas qu’il ait influencé particulièrement nos deux réalisateurs, car la situation entre notre héros et son robot est relativement classique. Pendant le développement de l’histoire, je faisais souvent référence à ces scènes en parlant des moments où l’on voyait « un garçon et son chien ». Pour résumer l’histoire en deux mots, on pourrait dire que nous racontons ce qui arrive à un jeune garçon qui a été brisé par un deuil, et que son robot arrive à « réparer ». C’est une structure d’histoire assez classique, qui a souvent été employée dans des situations où des animaux jouent un rôle de soutien moral, et permettent au héros de trouver un nouvel élan et de s’accomplir.

Quels sont vos prochains projets d’animation ? Allez-vous tenter de créer un projet de long métrage hybride mêlant animation à la main et 3D, à l’instar des excellents courts-métrages PAPERMAN et FEAST ?

C’est toujours le projet en lui-même qui dicte la technique que nous choisissons d’utiliser, mais comme vous avez pu le voir, nous étudions toutes les options artistiques en produisant ces courts-métrages parallèlement à nos films. Donc tout est ouvert, tout est possible.

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