This War of Mine : Les jours les plus longs
Article Jeux Vidéo du Samedi 21 Fevrier 2015

Développé par les polonais de 11bits studios et édité par Deep Silver, This War of Mine est un jeu vidéo – disponible sur Windows PC, Mac et Linux - qui ne peut pas laisser indifférent. Ses mécaniques de gameplay sont au service d’un récit crépusculaire, qui vous propose de piloter la destinée d’un petit groupe d’adultes perdus au sein d’une guerre civile. Vous ne jouez pas un soldat d'élite, mais de simples citoyens qui tentent de survivre dans une ville assiégée, luttant contre le manque de nourriture et de médicaments, et constamment menacés par les snipers et les bandes armées. Une expérience de la guerre sous un tout nouvel angle. Une expérience aussi forte qu’inoubliable.

Par Pierre-Eric Salard

Test réalisé à partir d’une version PC (Steam) fournie par l’éditeur. Les captures d’écran ont été prises par nos soins.



Roman est revenu sain et sauf de son excursion dans les ruines de l’hôtel. Il n’est certes pas aussi discret qu’Arica, mais son passé dans l’armée en faisait l’unique guerrier aguerri du petit groupe de survivants. Grâce au gilet pare-balles que nous avions réussi à réparer, il s’est échappé de l’affrontement avec le gang avec quelques légères blessures… Et, surtout, dans son sac à dos : deux boites de médicaments, trois plantes médicinales, une boite de conserve, un peu d’eau et quelques pièces détachées. Il n’avait malheureusement pas eu le temps de récupérer du bois. Or l’hiver a débuté il y a déjà une semaine ; le manteau blanc s’infiltrait même dans la vieille maison. La chaudière de fortune, que nous avions construite dans la cave, n’est plus alimentée. Il fait moins de cinq degrés au sein de notre ruine. Cela fait deux jours qu’Arica, malade, est alitée. Cveta, l’ancienne institutrice, et le vieil Anton veillent sur elle.
Mais pendant l’absence nocturne de Roman, des voleurs se sont attaqués à notre abri de fortune. Ces pleutres ont gravement blessé Cveta, avant de s’emparer du reste de nos provisions. Lorsque les enfants des voisins sont venus nous quémander un peu de nourriture, Anton n’a pas eu le choix : il était impossible de nous priver de l’unique ration dont nous disposions encore. Les enfants, extrêmement inquiets pour leur mère, nous ont quittés, non sans amertume et désespoir. Les jours de leur génitrice sont sans doute comptés. Si l’état de santé d’Arica va pouvoir s’améliorer grâce aux nouveaux médicaments, nous ne pouvons rien faire pour les blessures de Cveta. Roman hésite ; où ira-t-il la nuit prochaine ? À l’hôpital, où nous pourrions trouver, échanger ou… voler (mon dieu) des bandages ? Ou bien chez ce couple de personnes âgées, qui conserve des stocks de nourriture dans la cave d’une villa ? La priorité va au bien-être du plus grand nombre. Nous n’avons pas le choix : il faut s’emparer – de force, s’il le faut – des boites de conserves de ces gentils voisins. Qui, jusqu’à maintenant, se sont contentés de rester barricadé dans leur demeure. La guerre civile fait rage, et il est devenu extrêmement difficile de se faufiler dans la ville sans se faire remarquer par des rebelles, des membres de gangs violents ou des déserteurs. Voir des soldats. Or comme nous l’avons appris à la radio, l’armée commet souvent des exactions envers la population…

À la nuit tombée, Roman quitte notre abri pour rejoindre la villa. Il se faufile discrètement à l’intérieur de la bâtisse, qui fut remarquablement épargnée par les combats. Alors qu’il arpente, à pas feutrés, le couloir, il entend le couple discuter dans le salon. Roman descend sans bruits l’escalier menant dans la cave. Il s’empare ensuite de divers mets, qu’il trouve dans un congélateur. Mais il n’a pas remarqué que le vieil homme a entamé u tour de garde. Roman est ainsi surpris la main dans le pot à confiture ! L’homme, surpris, lui ordonne de déguerpir. Mais la survie du groupe de Roman dépend des provisions qui seront ramenées au petit matin. Sans hésiter, le vieux court vers sa chambre pour récupérer son arme de poing. Sans prendre le temps de souffler, il fait volte-face. Il retourne dans la cave en maugréant. Il menace Roman, qui ne pensait pas que le couple représenterait le moindre danger. Alors que le vieux, à bout de nerfs, s’apprête à faire feu, Roman réagit instinctivement… et l’abat. La détonation laisse place à un silence assourdissant ; l’ancien militaire reste figé. Pour la première fois depuis le début du conflit, il a tué un civil. Un homme qui ne lui avait fait aucun mal. Perdu dans ses pensées et son désespoir, il n’entend pas la femme approcher. Par réflexe, il se retourne brusquement. Dans un même élan, il appuie sur la gâchette. Le corps de la vieille dame s’écroule sur un panier de linge sale.
Pris de panique, Roman s’approche du cadavre. Cette dame, il la connait. Lorsqu’il était enfant, elle venait prendre le thé avec sa grand-mère. Et lorsque Mamie était tombée malade, cette amie de la famille était restée à son chevet, des semaines durant. Roman n’aura cependant pas le temps de regretter la tragédie qu’il a causé : une tierce personne va lui perforer le crâne avec une barre de fer. Anton, Cveta et Arica ne sauront jamais ce qu’il est advenu du jeune homme. A-t-il été tué ? S’est-il enfui loin de la ville ? C’est justement ce que fera bientôt Anton, après le décès de Cveta. Et Arica sera seule, la nuit où ce gang défoncera violemment la porte de l’abri de fortune…

Oubliez les jeux de guerre traditionnels. Oubliez les FPS guerriers (First Person Shooter - jeu de tir à la première personne - de type Call of Duty ou Battlefield). Oubliez les jeux de stratégie. This War of Mine vous invite à « vivre » une expérience cauchemardesque (bien que, malheureusement, réaliste). Qu’importent les zombies et les récits post-apocalyptiques ! Il suffit de puiser dans la réalité, dans l’Histoire récente, pour inviter les démons sur Terre. Dans ce jeu de survie en temps de guerre, vous devez avant tout gérer vos stocks (de nourriture, d’outils, d’armes, de médicaments, etc.) et améliorer votre abri. Allez-vous plutôt construire une gazinière pour cuire vos aliments, ou une chaudière pour l’hiver ? Ou un lit pour vous reposer ? Préférez-vous économiser votre stock de bois – utile pour alimenter la chaudière —, ou l’utiliser pour fabriquer un établi ? Pour améliorer votre stock, vous pouvez troquer des objets avec un marchand itinérant. Mais, surtout, vous pouvez partir en exploration, à la nuit tombée. Mais la mécanique de gestion se confondra bientôt à des questionnements moraux. Afin d’éviter les gangs, allez-vous piller, voire tuer, des civils aussi épuisés que vous ? Pour survivre, seriez-vous prêts à prendre des décisions pour le moins impardonnables… en temps de paix ? Certains sacrifices seront indéniablement nécessaires pour continuer à vivre jusqu’à la signature d’un accord de paix. Et vous devrez ensuite assumer vos choix.

Si les développeurs se sont inspirés des récits des survivants du siège de Sarajevo (1992-1996), on ne peut pas s’empêcher de se souvenir que, dans plusieurs endroits du monde contemporain, des personnes - des adultes et des enfants - affrontent réellement ce genre de situation. À Donetsk, en Ukraine, par exemple. En plus d’être un bon jeu vidéo (dans son gameplay et son game design), This War of Mine fait donc invariablement réfléchir à ce que l’on serait capable de faire, ou non, dans de telles situations. Quelle est notre véritable nature ? Réussirait-on à franchir nos limites ? Ce jeu nous démontre qu’aucune solution n’est parfaite, et que la faim, la soif ou la protection de ses proches peut nous amener à faire le pire. Ou, parfois, le bien. Quoique le manichéisme est logiquement absent de cette aventure. This War of Mine est donc une indéniable réussite, que l’on ne saurait cependant conseiller aux âmes sensibles…

Servi par un graphisme mi-3D (vu sur un plan en deux dimensions), mi-crayonné, This War of Mine offre la juste distance nécessaire pour prendre un peu de recul et ne pas oublier la dimension ludique de ce titre. Le joueur, lui, aura toutefois du mal à faire abstraction de certaines de ses décisions…

Et pour répondre à ceux qui se posent la question : non, lorsque le gang s’est introduit dans notre abri, Arica ne s’est pas fait violer. Les développeurs ont évoqué l’idée en cours de production – après tout, le jeu devait être réaliste, avec toutes les horreurs que cela entraine -, avant de décider que les événements racontés dans This War of Mine étaient déjà assez difficile à vivre. C’est vrai. Il y a une limite à ce que nous pouvons endurer. Malheureusement, ce n’est qu’un jeu vidéo. La réalité est bien différente…

Assistez à la création d’un personnage, modélisé à partir d’un programmeur du jeu :



Veuillez noter que la version physique de This War Of Mine est désormais disponible sur PC, en France, au prix généralement constaté de 19,99 €. Cette version est intégralement localisée en français (voix et texte).

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