La télévision selon Spielberg : Disparition ( Taken), l’autre rencontre du troisième type
Article TV du Vendredi 20 Mars 2015

Diffusée en 2002 sur Sci Fi Channel et un an plus tard sur Canal +, la mini-série Disparition renouait avec les premiers amours du cinéaste : les O.V.N.I. et les petits hommes gris.

Par Pierre-Eric Salard



La série Falling Skies, dont la quatrième saison a été récemment diffusée sur le bouquet OCS, couvre les conséquences d'une invasion extraterrestre - qui n'est pas sans rappeler celle de sa Guerre des Mondes (2005). Ce n'est un secret pour personne : entre Steven Spielberg et les extraterrestres, il existe une véritable histoire d'amour. Dès 1964, l'un de ses premiers films amateurs, intitulé Firelight, abordait le thème des O.V.N.I.. Mais les spectateurs se souviennent surtout des gentils aliens du début de sa carrière, ceux des Rencontres du Troisième Type (1979) ou celui qui s'est perdu en Californie dans E.T. (1981). Deux décennies plus tard, les attentats du 11 septembre ont vraisemblablement impacté la vision du cinéaste, qui proposera par la suite de découvrir les belliqueux envahisseurs de La Guerre des Mondes et Falling Skies. Entre-temps, en 2002, la mini-série Disparition (Taken) met en scène des créatures dont l'évolution est tellement en avance – de plusieurs millions d'années ! - sur celle de l'homo sapiens qu'elles en ont perdu la notion du bien et du mal. Ils ne sont également plus capables de ressentir des émotions. Manifester des sentiments est tellement primitif...

L'avantage du format

Le développement de Disparition est annoncé en avril 1999. DreamWorks Television, une société co-fondée par Steven Spielberg, s'associe avec USA Networks (alors propriétaire de Sci Fi Channel) pour produire ce qui serait « la plus grande mini-série de l'histoire la télévision américaine ». Et les studios mettent effectivement les petites soucoupes (volantes) dans les grandes. Un budget de 40 millions de dollars est investi dans la création de ce projet, qui comptera dix épisodes de 88 minutes. Soit un récit s'étalant sur une quinzaine d'heures ! Il ne fait aucun doute que le concept de Disparition s'inspire de la plus célèbre série fantastique des années 1990, The X-Files (1993-2002). D'autres feuilletons se sont d'ailleurs mesurés – avec plus ou moins de succès - aux aventures de Fox Mulder et Dana Scully, dont Dark Skies (1996-1997), Le Visiteur (1997), Strange World (1999), Roswell (1999-2002), Mysterious Ways (2000-2002), The Dead Zone (2002-2007) et Les 4400 (2004-2007). A l'époque, les thèmes du paranormal, de la vie extraterrestre et de la conspiration gouvernementale envahissaient les antennes de la télévision. Mais en proposant de créer une mini-série (c'est-à-dire un nombre d'épisodes précis, ainsi qu'un début et une fin programmés et imaginés dès le départ), Steven Spielberg met toutes les chances de son côté. Les spectateurs sauront d'avance que les scénaristes ne vont pas les perdre dans d'ubuesques circonvolutions narratives dignes de The X-Files. « Ce format nous offre l’opportunité de combiner la puissance narrative du cinéma au luxe de pouvoir raconter une histoire sur une bien plus longue durée qu'un simple film », déclarait Steven Spielberg. En outre, le confortable budget et l'apposition du nom du cinéaste à côté du titre de la série sont autant de fructueux avantages ! « Comme le prouvent ses films Rencontres du troisième type et E.T., Steven Spielberg s'est toujours montré intéressé par le sujet des extraterrestres », déclare alors le PDG d'USA Networks, Barry Diller. « Son idée de départ était simple : les enlèvements d'êtres humains par des créatures de l'espace ne sont pas nés de l'imagination des citoyens américains. Cela se produit réellement depuis les années 1940. Steven a donc décidé de raconter l'histoire de ce phénomène à travers le destin de nombreux personnages, sur plusieurs générations et cinq décennies ». Le réalisateur n'a jamais dissimulé sa fascination pour les questions qu'induisent d'éventuels enlèvements extraterrestres – rappelons que Taken signifie « enlevés ». « Que nous voudraient-ils ? », se demande Steven Spielberg. « Qu'est-ce qu'ils pourraient découvrir en nous kidnappant ? Ne serait-il pas plus simple de prélever un bout de peau ou un cheveu ? Et pourquoi enlever des humains dans le plus grand secret ? Pourquoi ne pas simplement venir nous voir avec une éprouvette et nous demander un échantillon d'ADN ? Même si ce sont de nouvelles légendes urbaines, il est étonnant de remarquer les nombreuses similarités entre les différentes affaires. On parlait des O.V.N.I. et des enlèvements bien avant Rencontres du troisième type, et le sujet est toujours d'actualité ! Nous voulions donc imaginer une histoire qui répondrait à certaines questions ».

Réécrire l'Histoire

Il est prévu que la production de la série débute à l'été 1999 pour une diffusion sur Sci-Fi Channel (Farscape, Sliders, Battlestar Galactica) lors du dernier trimestre de l'an 2000. « Je suis un grand fan de Sci-Fi », s'enthousiasme alors Steven Spielberg. « C'est le réseau câblé idéal pour proposer une mini-série aussi époustouflante que Disparition ! ». C'était sans compter la complexité du projet, qui conduira à un report de deux ans de la diffusion. Le réalisateur étant alors très occupé par la pré-production, puis le tournage, des films A.I. et Minority Report, il confie l'écriture et la supervision de la mini-série au scénariste américain Leslie Bohem (Freddy 5 - L'enfant du cauchemar, Le Pic de Dante, Daylight, The Darkest Hour 3D). « Au départ, il m'avait demandé d'écrire les trois premiers épisodes », précise ce dernier. « Mais il a convaincu le sceptique des O.V.N.I. que j'étais, et j'ai fini par signer les dix épisodes ! » Si Steven Spielberg accole son nom à la série, il ne participera ni à l'écriture, ni à la réalisation des épisodes. Leslie Bohem accouche d'une intrigue reprenant scrupuleusement tous les « clichés » de l'ufologie : enlèvements, soucoupes volantes, petits hommes gris, perte des repères temporels, crash de Roswell, conspiration gouvernementale, « crop circles » (motifs réalisés dans les champs de céréales), Zone 51, implants corporels, culte du secret, hybrides, « foo fighters » (phénomènes lumineux aériens rapportés lors de la Seconde Guerre Mondiale)... Le scénariste détourne au passage quelques grands événements de la seconde moitié du XXème siècle (Apollo 13, crise de Cuba, etc). Il semblerait qu'il se soit également inspiré d'un ouvrage homonyme écrit par Karla Turner, une « abductée », et des récits de nombreuses « victimes d'enlèvements ». Leslie Bohem mêle cette mythologie foisonnante avec les ingrédients du (mélo)drame familial. L'intrigue de Disparition s'étale ainsi sur cinq décennies. Le pilote s'ouvre sur la découverte des « foo fighters » par des pilotes de bombardiers, en 1944, avant de se pencher sur le célèbre crash de Roswell, en 1947. Les cinq segments suivants se déroulent à environ dix ans d'intervalle les uns des autres, et les derniers épisodes se concentrent sur les premiers mois du nouveau millénaire. Au cours de ce voyage à travers les époques, nous découvrons les mésaventures, sur plusieurs générations, des membres de trois familles. Celle des Crawford rassemble les ambitieux antagonistes du récit, dépositaires du secret de l'existence des extraterrestres, et prêts à tous les sacrifices et monstruosités pour parvenir à réaliser leurs objectifs. Les Keys, quant à eux, subissent régulièrement des enlèvements. Enfin, le destin de la famille des Clarke a basculé depuis que Sally a recueilli le seul E.T. (sous forme humaine) rescapé du crash du Roswell... et engendre avec lui un hybride ! Deux générations plus tard, la naissance de l'hybride Allie Keys, ultime produit des expérimentations des aliens, permettra d'obtenir enfin les réponses aux nombreux mystères. Bien entendu, aucun personnage (et donc acteur) n’apparaît d'un bout à l'autre de la mini-série – exceptée Allie Keys, qui narre les événements de la série.



Une production digne du grand écran

Si le casting compte peu d'acteurs connus, on remarquera la présence de Joel Gretsch (Les 4400, V, Minority Report), Julie Benz (Buffy contre les vampires, Dexter), Eric Close (Dark Skies, FBI Portés disparus), Heather Donahue (Le projet Blair Witch), et surtout la toute jeune Dakota Fanning (la saga Twilight, La Guerre des Mondes) dans le rôle d'Allie Keys. Pour l'anecdote, sa sœur Elle Fanning (Super 8) incarne ce même personnage à l'âge de trois ans, dans l'épisode 6. Notons qu'Anton Yelchin (Terminator Renaissance, Star Trek) y joue également l'un de ses tous premiers rôles ! Le tournage de Disparition se déroule à Richmond, près de Vancouver. « Chaque épisode fut filmé en quatre semaines, comme un film », précise l'actrice Julie Benz. « Nous disposions de davantage de temps que pour une série traditionnelle, mais moins que pour un film d'une envergure similaire. Il ne fallait donc pas perdre de temps ! » Chaque épisode est confié à un réalisateur différent, dont Bryan Spicer (Heroes), Jeremy Paul Kagan, Félix Enríquez Alcalá (Battlestar Galactica), John Fawcett (la série Blade), Michael Katleman (Life on Mars), Sergio Mimica-Gezzan (Falling Skies), Jeff Woolnough (V) et Thomas J. Wright (Millenium). Breck Eisner, le réalisateur des films Sahara et The Crazies, s'est occupé du second épisode. Mais les fantasticophiles porteront davantage intérêt au nom du réalisateur du pilote. Il s'agit du talentueux – et malheureusement oublié - Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse, L'invasion vient de Mars) ! Rappelons que ce dernier avait collaboré, en 1982, avec Steven Spielberg pour réaliser Poltergeist... à tel point qu'il est difficile d’attribuer à l’un ou l’autre la paternité du film ! Mais ceci est une autre histoire... Dans l'ensemble, les dix réalisateurs ont tenté de reproduire l'esthétique de Rencontres du troisième type, non sans l'aide des directeurs de la photographie Joel Ransom (The X-Files) et Jonathan Freeman (Rome). Notons que la supervision des effets visuels, réussis pour l'époque, fut confiée à James Lima (SeaQuest, Strange Days, Space Jam, True Blood). Lors de sa diffusion, Disparition reçoit un accueil sans précédent et bat les records d'audience du câble américain. Ce succès sera couronné par un Emmy Award de la meilleure mini-série en 2003. Il faut dire que l'âge d'or de la télévision n'a pas encore réellement commencé ; les qualités tant artistiques que narratives des séries n'ont pas encore pris le pas sur le cinéma hollywoodien... Steven Spielberg, après plusieurs insuccès, choisit enfin le format qui lui convient pour raconter des histoires à la télévision. Et le thème des extraterrestres continue de fonctionner. Sauf que dans la série Falling Skies, ces créatures ne souhaitent que nous exterminer ! On regrettera bientôt les enlèvements chers aux productions de la fin des années 1990...

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