Dossier A LA POURSUITE DE DEMAIN - 5ème partie
Article Cinéma du Vendredi 05 Juin 2015

EN ROUTE POUR DEMAIN

La conception de la cité du futur est revenue au chef décorateur Scott Chambliss, qui déclare : « Il n’y avait aucune indication sur cette ville dans le scénario. Avec Brad et Damon, j’ai donc passé beaucoup de temps à développer non seulement son esthétique, mais également son symbolisme. Imaginer une société utopique unique en son genre est une tâche titanesque. Mais c’était aussi l’occasion rêvée de créer un lieu spécial capable de surprendre les spectateurs. » Très vite, l’équipe a décidé que la cité de 1964 découverte par Frank et celle de 1984 dont Casey a des visions grâce au pin’s seraient toutes deux des sociétés très équilibrées. Le chef décorateur ajoute : « Nec Plus Ultra avait un sentiment de responsabilité envers l’environnement. Ses concepteurs voulaient non seulement le rendre agréable mais également le protéger et le soigner. À leurs yeux, l’homme est à la fois un créateur et le protecteur de la planète. La cité se dévoile donc progressivement au cœur de son environnement quand on l’approche et disparaît à nouveau dans la nature lorsqu’on la quitte. Ce qui illustre parfaitement la philosophie de ses habitants. »

Toutefois, trouver un lieu aussi futuriste dans le monde réel ne fut pas une mince affaire, et le créer de toutes pièces aurait été une entreprise longue et coûteuse. Mais par une série d’heureux hasards, Tom Peitzman, le producteur des effets visuels et coproducteur du film, est tombé sur un spot publicitaire pour une voiture dont les décors étaient si futuristes qu’il l’a enregistrée sur son téléphone pour la montrer à Brad Bird. Il s’agissait de la Cité des arts et des sciences de Valence, en Espagne, imaginée par Santiago Calatrava, dont le travail était déjà une source d’inspiration pour le chef décorateur Scott Chambliss.

Cette découverte répondait également à la préférence de Brad Bird pour les décors réels plutôt que virtuels. L’équipe s’est rendue sur place afin de faire des repérages, et la Cité des arts et des sciences est presque littéralement devenue le « squelette » de la ville du futur. Le producteur Jeffrey Chernov explique : « Le style architectural de Santiago Calatrava est incroyable, inventif et passionnant. Ses créations ont quelque chose de « squelettique » : on a l’impression d’être face à une colonne vertébrale de dinosaure ou de poisson préhistorique. Lorsqu’on pénètre dans la Cité des arts et des sciences, on n’a plus envie de partir. Et c’est précisément ce que nous voulions pour les décors du film. » George Clooney déclare : « Je ne m’étais jamais rendu à Valence bien que j’aie visité l’Espagne, qui est un pays magnifique. Cela a donc été un plaisir de travailler dans cette ville et de l’explorer. L’architecture de Santiago Calatrava est l’illustration d’une vision très optimiste de la vie. On dirait qu’il lui a suffi d’imaginer quelque chose pour que cela prenne vie. C’est assez extraordinaire. »

Mais la Cité des arts et des sciences de Valence ne pouvait pas accueillir la totalité de la ville futuriste, en particulier le monorail, l’immense sphère d’énergie et le gigantesque écran qui constituent le décor de la place Bridgeway. Il aurait été plus facile de construire un petit décor puis de le prolonger grâce à des images de synthèse, mais l’équipe a opté pour une approche plus réaliste. Tom Peitzman explique : « Sur ce genre de film qui fait la part belle aux effets visuels, il est important de trouver le juste équilibre entre décors réels et images de synthèse. Les cinéastes ont trop souvent recours à ces dernières, et par conséquent, le public sait que ce qu’il voit n’est pas réel. Sur ce point, je suis plutôt de la vieille école. Je pousse toujours le réalisateur à filmer autant que possible en décors réels de sorte qu’il ait quelque chose à regarder, à toucher et à éclairer. Même s’il ne s’agit que d’une toute petite partie de l’image, cela permet d’ancrer les effets visuels dans la réalité et d’obtenir un résultat naturel et homogène. »

Finalement, la construction de la place Bridgeway, dont la surface mesure environ la moitié d’un terrain de football, a nécessité six mois de travail. Elle est si grande qu’aucun studio ne pouvait l’héberger. L’équipe devait en outre pouvoir réaliser des plans aériens au-dessus de celle-ci et installer les immenses grues qui soutiennent les éclairages du décor. Pour compliquer encore les choses, cette énorme esplanade apparaît dans le film à différentes époques : en 1964, lorsque le jeune Frank la visite pour la première fois, dans la vision de Casey en 1984, et en 2014 où se déroule le reste de l’action. Chaque changement d’époque a demandé 6 semaines de réaménagement pour transformer le décor.

Initialement, le fait que ce dernier ait été construit en plein air à Vancouver ne posait pas de problèmes car le tournage devait avoir lieu en été. Mais George Clooney ayant été retenu sur le tournage de MONUMENTS MEN, la production du film s’est vue repoussée de cinq mois, reportant ainsi le tournage des scènes sur la place Bridgeway à fin novembre, début décembre, en pleine saison des pluies en Colombie-Britannique. Jeffrey Chernov se souvient : « Au début, je ne pensais pas que cela poserait le moindre problème car l’équipe de construction sur place était habituée au climat et savait construire des structures temporaires et tendre des bâches pour protéger les décors. Mais les idées qu’ils nous ont proposées nous auraient coûté plus de un million de dollar et comme rien ne garantissait leur fonctionnement, nous avons préféré compter sur la chance ! » L’optimisme a payé car la région a été épargnée par la pluie tout au long du tournage. Le producteur reprend : « Nous avons construit de nombreux abris afin de pouvoir nous protéger si la météo n’était pas de notre côté, mais nous n’en avons jamais eu besoin. Ça a apparemment été les six semaines les plus sèches qu’ait connues Vancouver depuis 1952 ! Un clin d’œil amusant au titre original du film : 1952. Tout le monde pensait que nous étions fous de tenter notre chance, et je dois dire que je l’ai pensé moi aussi. Cela a été un immense soulagement lorsque le tournage a pris fin. »

Petits miracles climatiques mis à part, l’élément le plus impressionnant du décor de la place Bridgeway est sans doute le monorail. Mike Vezina, le coordinateur des effets spéciaux, déclare : « Une fois entièrement construit, avec les systèmes d’éclairage et les vitres, il pesait près de 16 tonnes. Il a ensuite fallu trouver le moyen de le faire avancer en toute sécurité – avec les acteurs principaux à bord – sur des rails surélevés à environ cinq mètres du sol, et de l’arrêter précisément au même endroit à chaque fois. » L’équipe en charge des effets spéciaux a opté pour des treuils hydrauliques qu’ils pouvaient stopper très rapidement en cas d’urgence, et des freins qui leur permettaient d’arrêter le véhicule à un endroit donné. Les portes s’ouvraient ensuite automatiquement pour laisser sortir les personnages. La production a utilisé une pompe hydraulique de 500 chevaux et d’épais câbles métalliques afin de déplacer le monorail dans un sens puis dans l’autre, de sorte que le mouvement semble continu. Le coordinateur des effets spéciaux ajoute : « Pour que le positionnement des véhicules soit parfait, nous avons utilisé des faisceaux laser qui nous permettaient de savoir au millième de centimètre près si le monorail dépassait le repère où il était censé s’arrêter. Comme tout a toujours parfaitement fonctionné, nous n’avons jamais eu à activer les freins d’urgence. »

Parmi les autres défis relevés par Mike Vezina figure le décor de la tour Eiffel qui devait se scinder par le milieu pour laisser apparaître la fusée spatiale. Il raconte : « Il a fallu construire une réplique de la partie supérieure de la tour, que nous avons ensuite posée sur une base en métal de notre conception montée sur roulettes. Une rampe permettait de séparer et faire vaciller le décor en fonction des besoins de l’histoire. Il pesait en tout plus de 45 tonnes et était posé sur un système d’airbag qui nous permettait de le déplacer ou de le faire chanceler à l’aide de plus petites rampes. Nous avions aussi un système de rails qui permettait de le séparer en plusieurs parties et de le remettre en place facilement et rapidement car sur un tournage, on ne fait jamais rien une seule fois. »

Les décors du film ont beaucoup impressionné Hugh Laurie, qui les qualifie d’absolument magnifiques : « C’est très intimidant de se dire que tout cela a été construit pour que je puisse dire mon texte. C’est un peu comme assister à la construction du Caire. L’ampleur des décors est colossale et je suis certain que créer un univers futuriste est le rêve de tous les décorateurs car ils ne sont soumis à aucune règle et peuvent donner libre cours à leur imagination. »

Dans l’histoire, une recherche sur Internet conduit Casey à Houston au Texas, dans une curieuse boutique baptisée « Blast from the Past », qui a entièrement été construite en studio. Le chef décorateur Scott Chambliss commente : « Blast from the Past est un mélange de différents magasins de comics de science-fiction que Brad Bird et moi fréquentions quand nous étions plus jeunes. Il s’agissait de villes et d’échoppes différentes, mais nous tenions à recréer le sentiment qu’on éprouvait lorsqu’enfants, on passait l’essentiel de notre temps libre dans ce genre d’endroits, à feuilleter toutes les publications. L’ensemblière Lin MacDonald a mis plusieurs mois à rassembler l’impressionnant assortiment de milliers d’articles de collection, achetés ou fabriqués par la production. On y trouve aussi de nombreux originaux, dont certains proviennent de la collection personnelle de Brad. » À propos de la boutique, dont son personnage, Hugo Gernsback, et sa femme Ursula sont propriétaires, Keegan-Michael Key déclare : « Il y a des étagères remplies de bandes dessinées ainsi que des affiches de films de science-fiction cultes, une figurine originale de Luke Skywalker datant des années 70 et même des accessoires de la série « Cosmos 1999 ». L’équipe en charge des décors a littéralement construit une boutique au beau milieu d’un studio ! » La ferme de Frank Walker a elle aussi nécessité tout le talent des décorateurs, mais dans une direction différente. Scott Chambliss précise : « Tout comme son propriétaire, la maison de Frank manque d’affection. Nous nous sommes arrêtés juste avant qu’elle ne prenne des airs de repaire de type dangereux, mais Frank traversant une période sombre de sa vie, sa maison est l’illustration parfaite de sa paranoïa. Il a aussi essayé de recréer ce qu’il a vu plus jeune, mais aujourd’hui, cela illustre davantage ses peurs que le plaisir qu’il trouvait autrefois dans l’invention et l’exploration. »

Le chef décorateur a également eu pour mission de recréer l’exposition universelle de 1964 et a découvert avec surprise que l’Unisphere - une des œuvres d’art emblématiques de l’évènement -, se trouvait toujours à Flushing Meadows dans l’État de New York, devant l’USTA National Tennis Center. Les immenses jets d’eau à la base de la sphère sont encore présents aujourd’hui, tout comme les jardins qui l’entourent. La production a alors dépêché un photographe à New York afin de pouvoir intégrer de vrais clichés de la structure dans le film. Le décor le plus impressionnant pour l’équipe a cependant été le pas de tir de la NASA à Cap Canaveral en Floride, symbole du message d’espoir délivré par le film. Brad Bird déclare : « Pour beaucoup de membres de l’équipe, la NASA et son objectif occupent une place à part dans nos cœurs. C’est pourquoi pouvoir nous rendre à Cap Canaveral et y tourner une partie du film a été comme un rêve de gosse devenu réalité. Pendant le tournage, nous avons même pu assister au lancement de la sonde spatiale Maven pour Mars depuis le pas de tir d’où ont décollé de nombreuses missions de la NASA. »

Même si Cap Canaveral est de loin le lieu le plus chargé en émotions, il ne s’agit pourtant que d’un des nombreux décors spectaculaires du film. Le tournage principal de À LA POURSUITE DE DEMAIN a en effet débuté dans une ferme de Pincher Creek dans l’Alberta (Canada), où les cinéastes ont payé un agriculteur pour qu’il fasse pousser un blé d’hiver d’une teinte ambrée particulière correspondant à la vision idéale de la campagne de Brad Bird. L’équipe s’est ensuite installée dans une ferme d’Enderby dans l’Okanagan, en Colombie-Britannique, afin de tourner les scènes qui se déroulent dans la ferme de Frank Walker et dans ses champs de maïs, cultivés également spécialement pour la production. Les scènes se déroulant sur des terres agricoles se sont révélé une expérience particulière pour Britt Robertson : « J’ai passé ma première semaine de tournage dans des champs de blé au fin fond de l’Alberta, où la production avait fait planter plusieurs hectares de céréales. C’était incroyable, tout était magnifique, je n’avais jamais rien vécu de tel. Je n’ai même pas eu à jouer la comédie tant j’étais émerveillée par ce que j’avais sous les yeux. Le film fait vivre des expériences au public, mais pas seulement : aux acteurs aussi ! On y voit les comédiens vivre des expériences authentiques et uniques. »

Outre l’Espagne et le Canada - où le Hall des inventions et la place de l’Unisphere ont été recréés à Vancouver -, le film a été tourné dans l’attraction « It’s a Small World » au parc Disneyland d’Anaheim en Californie ainsi que sur une plage des Bahamas. La deuxième équipe a quant à elle réalisé des prises de vues à Paris. Si on compte les images de l’Unisphere à Flushing Meadows réalisées par le producteur des effets visuels Tom Peitzman, on peut alors ajouter New York aux destinations du film. Au total, À LA POURSUITE DE DEMAIN comprend plus de 90 combinaisons différentes de décors en studio et de décors réels, et l’équipe s’est déplacée dix fois, ce qui constitue un record dans l’industrie. Le producteur exécutif John Walker commente : « Je n’avais jamais travaillé sur un film d’une telle ampleur. Chaque semaine surpassait la précédente, entre les immenses décors montés sur cardans ou la vieille fusée spatiale elle aussi placée sur cardans, l’écran à 360 degrés qui diffusait les images d’une séquence inspirée par Google Earth, ou Thomas Robinson, 11 ans, en lévitation dans les airs dans un simulateur de chute libre… Partout où je posais le regard, j’étais époustouflé. Cela a été un tournage très complexe qui a nécessité une énorme préparation, beaucoup de travail et de technologie, mais ça a aussi été une aventure fantastique. »

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