Crimson Peak – Guillermo del Toro modernise les maisons hantées
Article Cinéma du Mardi 16 Juin 2015
Deux ans après le spectaculaire Pacific Rim, Guillermo del Toro s’apprête à renouer avec ses premiers amours grâce à un long-métrage dans la veine de ses premières œuvres, en langue espagnole. Le cinéaste mexicain aux multiples projets va donc proposer en fin d’année un conte gothique… dont il a écrit le scénario il y a près d’une décennie !
Par Pierre-Eric Salard
Alors qu’il vient de fêter ses cinquante ans, Guillermo del Toro n’a plus de temps à perdre. Les années 2000 lui avaient pourtant porté chance. S’il n’avait auparavant réalisé que deux longs-métrages, Cronos (1993) et Mimic (1997), son emploi du temps de désemplira pas jusqu’en 2008. Entre deux réjouissantes productions hispano-mexicaines – L’échine du diable en 2001 et Le labyrinthe de Pan en 2006 —, il signe Blade II (2002) et Hellboy (2004) pour Hollywood. La seconde aventure d’Hellboy – dont le sous-titre, Les légions d’or maudites, parait quasiment prophétique — marque pourtant un coup d’arrêt à sa filmographie. De projets abandonnés en films mort-nés, du Hobbit pré-Jackson aux Montagnes Hallucinées d’H.P. Lovecraft, Guillermo del Toro sera absent des écrans de cinéma pendant cinq ans, jusqu’à la sortie de Pacific Rim en 2013. Il n’est donc guère étonnant que le cinéaste n’ait pas tardé à rebondir sur le succès (à l’international) de son dernier film en date. L’inévitable Pacific Rim 2 devra toutefois attendre 2017 pour voir le jour. Après sa version d’un kaiju? eiga, à quel genre allait-il apporter sa touche inimitable ? Guillermo del Toro a complété le script de Dark Universe à l’automne 2014. Il s’agit d’une libre adaptation des (DC) comics Justice League Dark, qui rassemblent des super(anti)héros spécialistes du surnaturel, dont John Constantine/Hellblazer, Swamp Thing et Deadman. Ce film pourrait s’inscrire dans l’univers cinématographique de DC Comics (au côté de Man of Steel, Wonder Woman et Batman v Superman). Reste à savoir si les dirigeants de Warner Bros donneront un jour le feu vert à ce projet atypique ! Après l’annulation du développement d’un jeu vidéo aux accents lovecraftiens, InSane, en 2012, le réalisateur s’est associé avec Hideo Kojima (Metal Gear Solid) pour concevoir un nouvel opus de la saga Silent Hill, prévu pour 2016. Monstres et robots géants, superhéros de l’ombre, jeu vidéo horrifique… Ne manquerait-il pas des vampires et des fantômes pour compléter cette réjouissante liste ? Après la postproduction de Pacific Rim, le cinéaste mexicain décide justement de ne pas se lancer immédiatement dans le tournage d’un autre long-métrage. Non, il préfère ménager son emploi du temps afin de pouvoir créer la série horrifique The Strain. Rappelons que cette nouvelle incursion des vampires sur le petit écran est basée sur la trilogie littéraire qu’il a coécrite, entre 2008 et 2011, avec Chuck Hogan. De septembre à octobre 2013, Guillermo réalise donc le pilote de ce projet qui lui tenait à cœur. Et pour cause : avant de ressusciter sous forme de romans, The Strain avait été proposé dès 2006, en vain, aux responsables de Fox TV ! Cet important délai reflète le parcours du prochain long-métrage de cinéaste : Crimson Peak (un titre que l’on pourrait traduire littéralement par «la crête écarlate», ou le «pic pourpre»). En effet, l’origine de ce film d’épouvante remonte aux mois suivants la sortie du Labyrinthe de Pan (2006). «C’est le premier scénario que j’ai écrit après ce film», précise le réalisateur.
Une longue gestation
Guillermo del Toro a coécrit une première version de Crimson Peak avec un fréquent collaborateur, Matthew Robbins. Ce dernier n’est guère un inconnu pour les amateurs de fantastique. Outre l’écriture et la réalisation du Dragon du lac de feu (Dragonslayer, 1981) et de Miracle sur la 8e rue (Batteries Not Included, 1987), Matthew Robbins a participé, dès 1971, à l’élaboration du THX 1138 de George Lucas. Il n’y est pas cependant pas crédité au générique (pour l’anecdote, il incarne le protagoniste éponyme dans le dernier plan du film). Par la suite, il écrit le scénario du premier véritable long-métrage de Steven Spielberg, Sugarland Express (1974) – Duel était à l’origine un téléfilm. Bien plus tard, il signe le script de Mimic pour Guillermo del Toro (puis Don’t be Afraid of the Dark, dont le mexicain était producteur). Plus récemment, il a travaillé sur les premières ébauches des Montages hallucinées. En 2006, le scénario de Crimson Peak, qui est donc l’œuvre de deux cinéastes férus de fantastique, est acheté par Universal Pictures sous l’impulsion de Donna Langley, qui codirige alors le studio (elle est ainsi considérée comme l’une des femmes les plus influentes de l’industrie du cinéma). «Donna a adoré le script, et il était prévu que je réalise le film», se souvient le cinéaste. «Et puis Hellboy II est arrivé…» Guillermo del Toro enchaine ensuite sur Le Hobbit, Les Montagnes hallucinées, etc. Après quelques années, Donna Langley lui propose de se contenter de produire Crimson Peak ; mais le projet lui tient particulièrement à cœur. Plusieurs cinéastes reçoivent le scénario ; aucun ne semble lui plaire. Le script va donc prendre la poussière… En 2012, lors du tournage de Pacific Rim, le cinéaste noue d’excellentes relations de travail avec ses producteurs Thomas Tull et Jon Jashni, de Legendary Pictures – à qui l’on doit, entre autres, Superman Returns (2006), 300 (2007), The Dark Knight(2008), Watchmen (2009), Inception (2010), Sucker Punch (2011), Man of Steel (2013) ou Godzilla (2014). Autant dire que cette société de production est à l’origine d’un grand nombre de spectaculaires films fantastiques ! «Pacific Rim fut tout simplement la meilleure expérience de ma carrière», souligne Guillermo del Toro. Peu après avoir terminé le tournage, les dirigeants de Legendary Pictures — créé en 2000 par Thomas Tull (son actuel PDG) — l’incitent à embrayer sur un deuxième film. «Je leur ai envoyé les scripts des Montages hallucinés et d’un autre projet que je tente de faire depuis vingt ans, Le Comte de Monte-Cristo». Il leur confie également le scénario de Crimson Peak, mais sans y croire. «Je ne m’attendais pas à une réaction ; ce n’était pas le genre de films typiquement produits par Legendary». Le soir même, Thomas Tull l’appelle au téléphone : «je ne sais pas comment l’histoire se termine, mais je suis à la page 45 et je l’adore !» Guillermo del Toro obtient ainsi le feu vert. Peu après, Universal Pictures accepte que le film soit produit ailleurs. Nous sommes en 2012, et cela fait près de dix ans que Legendary Pictures produit exclusivement les principaux blockbusters de Warner Bros. Or en 2013, la société de production s’associe avec Universal Pictures. Tous les films produits par Legendary à partir de 2014 seront distribués par Universal. Outre Jurassic World et Warcraft (2016), Crimson Peak devient donc l’une des premières œuvres issues de cette collaboration. Au premier trimestre 2013, l’inépuisable Guillermo del Toro œuvre sur plusieurs fronts. Tout en supervisant la préproduction de la série TV The Strain, cet incorrigible touche-à-tout s’occupe de la postproduction de Pacific Rim et travaille sur le script de Pacific Rim 2 avec Travis Beacham. En parallèle, il fait appel à une dramaturge britannique, Lucinda Coxon, pour réaliser une réécriture du scénario de Crimson Peak…
Classique et moderne
Ce projet lui tient particulièrement à cœur. Il envisage Crimson Peak comme une lettre d’amour aux grands classiques du cinéma d’épouvante du XXe siècle, ainsi qu’à la littérature gothique des XVIIIe et XIXe siècles. Il cite ainsi volontiers les noms d’Emily Brontë (Les Hauts de Hurlevent, 1847) et d’Ann Radcliffe (The Romance of the Forest, 1791), mais aussi le roman Jane Eyre (Charlotte Brontë, sœur d’Emily, 1847) et le conte La Barbe bleue (1697) de Charles Perrault. Des récits qui partagent la découverte inattendue d’un côté sombre chez l’être aimé… Le cinéaste n’en fait aucun mystère : malgré son origine hollywoodienne, ce long-métrage navigue davantage dans les eaux de ses œuvres hispano-mexicaines, moins spectaculaires, mais plus macabres et effrayantes : Cronos, L’échine du Diable et Le Labyrinthe de Pan. «Crimson Peak représente ma première incursion dans le genre horrifique depuis Mimic», explique Guillermo del Toro, pour qui L’échine du Diable était davantage un essai sur les fantômes qu’une véritable histoire de fantômes. Nuance, donc. «C’est la première fois que j’essaie d’aborder la sensibilité d’un Labyrinthe de Pan ou L’Échine du Diable à l’aide d’un plus gros budget et d’une distribution plus conséquente». Entre-temps, le cinéaste a toutefois produit ou écrit des films d’horreur fantastiques, dont L’Orphelinat (2007), Les yeux de Julia (2010) et Don't Be Afraid of the Dark (2011). Réalisé par Troy Nixey, ce dernier, écrit par le même duo que Crimson Peak, a été fraichement reçu par la critique — et n’a pas été non plus un franc succès (37 millions de dollars de recettes pour 25 millions de budget). Guillermo del Toro explique que Don't Be Afraid of the Dark n’avait pas les mêmes ambitions que Crimson Peak. «Ce film d’horreur était destiné à la jeune génération. Nous l’avons conçu comme un film déconseillé aux moins de treize ans, mais il a reçu une interdiction aux mineurs». Ce qui explique partiellement pourquoi de nombreux amateurs du genre ont été déçus par le résultat… Crimson Peak se déroule principalement au tournant du XXe siècle, dans un endroit reculé du comté de Cumbria, une région rurale et montagneuse au nord-ouest de l’Angleterre de l’époque victorienne. «C’est à la fois une histoire de fantômes et une romance gothique dont nous aurions subverti les conventions», précise le réalisateur et scénariste.
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