Daredevil : un pari réussi pour Netflix, et une seconde saison déjà très attendue
Article TV du Lundi 29 Juin 2015

Avec cette série, la chaîne à péage a créé de solides fondations pour construire le reste de son univers Marvel.

Par Pascal Pinteau



Netflix avait réussi un coup d’éclat en 2013 produisant sa première série, House of Cards, formidable adaptation du programme anglais éponyme décrivant les impitoyables coulisses de la vie politique. Daredevil, dont les treize épisodes ont été rendus disponibles d’un bloc le 10 avril dernier, est un événement de la même ampleur et une nouvelle victoire décisive pour la chaîne, qui a présenté là le premier élément d’une fresque de quatre séries. Reprenant la stratégie de création d’un univers cohérent qui a fait le succès des films des Studios Marvel, Netflix va réunir aux côtés de Daredevil, dans le décor du quartier New Yorkais de Hell’s Kitchen, les justiciers Luke Cage, Jessica Jones et Iron Fist, qui feront ensuite équipe dans la minisérie The Defenders. L’impact de ce projet reposait en grande partie sur l’accueil réservé à Daredevil, première pierre de l’édifice. Netflix et ses équipes créatives devaient convaincre d’emblée le public et les critiques. C’est chose faite : les réactions très positives et même souvent enthousiastes autour de Daredevil ont incité Netflix à lancer immédiatement une seconde saison, dans laquelle on verra apparaître la séduisante tueuse à gages Elektra et le Punisher.

Une adaptation solidement ancrée dans le réel

Les producteurs exécutifs Drew Goddard (scénariste de Cloverfield et de World War Z, et auteur/réalisateur de La Cabane dans les Bois) et Steven S. DeKnight (la série Spartacus) ont intelligemment rendu hommage à la BD originale écrite par Stan Lee et dessinée par Bill Everett. S’inspirant de ses origines modestes, Stan Lee avait délibérément fait de Daredevil un justicier issu de l’un des quartiers les plus défavorisés de New York, « la cuisine de l’Enfer », et il avait eu aussi l’audace d’en faire le premier super-héros handicapé de l’histoire des comics. On retrouve dans le Daredevil de Netflix les étapes principales de la genèse du héros et de l’enfance de Matt Murdoch, qui ressurgissent par le biais de flashbacks efficaces et émouvants : l’exposition accidentelle aux produits chimiques qui vont à la fois le priver de la vue et amplifier considérablement ses autres sens, le calvaire de son père, boxeur doué qui ne supporte plus de devoir se coucher sur le ring pour toucher sa commission sur les paris truqués des bookmakers, le développement des pouvoirs de Matt, et les débuts difficiles du cabinet d’avocat qu’il a fondé avec son ami Foggy Nelson. La force de ces scènes repose à la fois sur la qualité des scripts aux dialogues justes et percutants, à une mise en image très graphique dont les effets de contre-jour soulignent les silhouettes des personnages, et sur un casting épatant. L’acteur anglais Charlie Cox ( vu dans Boardwalk Empire) campe avec sensibilité la dualité de Matt Murdoch / Daredevil, qui culpabilise en abandonnant le cadre légal de sa profession pour traquer lui-même les criminels qui infestent son quartier natal. Cox est tout aussi crédible en jeune avocat courageux qu’en justicier se battant à mains nues contre des bandits armés. Les séquences de combat déjà bien réglées dès le premier épisode, gagnent encore en efficacité dans ceux qui suivent. Comme dans la BD originale, sous les traits de pinceaux de Gene Colan, puis de Frank Miller à la fin des années 70, Matt Mudoch paie cher le prix de ses batailles nocturnes : il échappe de peu à la mort, sauvé par une infirmière (la ravissante Rosario Dawson) qui le retrouve gisant dans une benne à ordure. Couturé de toutes parts, celui qui n’est encore que « L’homme au masque », puisqu’il agit le visage couvert par un foulard noir, suit les traces de son père boxeur et encaisse les coups les plus rude sans jamais s’avouer vaincu. A chaque fois, il se relève et retourne sur le ring de Hell’s Kitchen pour affronter les gangs de criminels qui contrôlent le quartier.



Des personnages attachants, complexes, aux sentiments contradictoires.

Aux côtés de Matt Murdoch/ Charlie Cox, Elden Henson sait exprimer la gentillesse et l’empathie du personnage de Foggy Nelson, le meilleur ami et associé du héros. Eperdu d’admiration pour Matt, ce bon vivant qui place tous ses espoirs dans la réussite de leur cabinet d’avocats aurait pu être traité comme un banal « comic relief » allégeant l’ambiance des moments sombres. Fort heureusement, il n’en est rien : comme tous les personnages principaux, Foggy est présenté sous toutes ses facettes, y compris les plus tristes, quand l’un des rebondissements majeurs de ces treize premiers épisodes chamboule son univers et remet en cause la confiance qu’il accordait à son ami Matt. Karen Page, la secrétaire des jeunes avocats, échappe aussi à un traitement convenu car elle arrive dans leur vie après avoir été victime d’un complot, et sauvée par le mystérieux homme au masque. Comme Matt, Karen porte son lourd bagage de traumatismes, de faiblesses et de secrets, et c’est sa présence dans le trio formé avec Foggy, pour lequel elle éprouve beaucoup de tendresse, qui va lui permettre de surmonter ses démons. Au-delà des événements de ces premiers épisodes, il est évident que la dynamique de cette équipe soudée sera un moteur efficace pour les saisons à venir.

Un antagoniste d’anthologie

« Meilleur est le méchant, meilleur est l’histoire » a-t-on coutume de dire. Eh bien celui de Daredevil est exceptionnel. Le casting de Vincent D’Onofrio ( l’inoubliable soldat « Baleine » de Full Metal Jacket de Kubrick et l’effrayant « Edgar » de Men In Black) dans le rôle de Wilson Fisk, alias « Le Caïd », est à la fois une évidence – l’acteur semble être né pour tenir ce rôle – et ce qui confère à cette série une capacité de fascination étonnante. Le coup de génie des concepteurs de Daredevil est d’avoir consacré autant de temps à la description du « méchant » qu’à celle du héros, en lui inventant un traumatisme d’enfance jamais décrit dans les comics. L’acte fondateur de sa jeunesse, qui va le pousser malgré lui à choisir la voie de la violence et du crime, en fait aussi une victime des circonstances et un être blessé à jamais. Magnifiquement interprété par Vincent D’Onofrio, qui sait être sobre tout en donnant l’impression qu’il peut exploser de colère à tout moment, Wilson Fisk est un criminel de haut vol, souvent impitoyable, que l’on voit apprendre à se méfier des gangs chinois, japonais et russes avec lesquels il s’est associé pour réguler toutes les activités illégales dans Hell’s Kitchen. Tragiquement, plus Fisk dévoile sa sensibilité, notamment en rencontrant la femme de sa vie, plus ses activités ne lui apportent que problèmes et souffrances. Et même si le spectateur reste du côté de Matt Murdoch / Daredevil, il ne peut s’empêcher d’éprouver aussi de l’empathie pour ce colosse aux pieds d’argile, hanté chaque nuit par le même cauchemar. Nous nous garderons d’en dire plus sur cette superbe production de Netflix, si ce n’est qu’il nous tarde de découvrir les trois séries complémentaires dans les mois à venir, en espérant qu’elles atteignent elles aussi un tel niveau de qualité.

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