Magie au Futuroscope : Entretien exclusif avec Bertran Lotth
Article Spectacles du Mercredi 05 Aout 2015

Bertran Lotth est depuis 2002 en résidence au Futuroscope. Occupant l’ancien palais des congrès, le théâtre fait salle comble trois fois par jour en haute saison. C’est en 2012 que Bertran Lotth et Arthur Jugnot créent le spectacle IMAGIC, actuellement présenté au Futuroscope. Un cocktail de show de magie à l’américaine et d’humour communicatif en interaction avec le public.

Propos recueillis par Nicolas Jonquères



Bertran Lotth, comment avez-vous commencé la magie ? Et quand avez-vous voulu en faire votre métier ?

J’ai commencé parce que j’ai dû voir des magiciens dans l’émission de télé la piste aux étoiles. À chaque fois que je voyais un magicien à la télévision, cela me donnait envie d’en faire. J’ai trouvé mes premiers petits tours dans pif gadget, par exemple. À 13 ans, j’ai vu un spectacle de magie en live, et là j’ai eu le coup de foudre. Je me suis dit, c’est ça que je veux faire plus tard ! Et depuis ce jour-là, je n’ai jamais lâché prise. Je m’étais juré de faire magicien ou rien d’autre !

Par rapport à d’autres illusionnistes, on vous sent très serein sur scène. Est-ce votre caractère ou un effet de style ?

Je n’en sais rien. (rires) Je pense que j’ai banni sur scène tous les gestes de magiciens, qui sont trop artificiels, qui tentent de faire croire que grâce aux mouvements les magiciens ont du pouvoir. C’est quelque chose que j’ai corrigé, car je le faisais dans l’ancien spectacle. Je l’ai fait volontairement. Dans la vie, je ne suis pas forcément calme, c’est le personnage qui est sur scène qui est calme. Mais je pense que je suis toujours comme ça sur scène. En privé, je suis peut-être un peu plus nerveux.

Justement, par rapport à l’ancien spectacle, la différence majeure, c’est que vous parlez directement au public

Tout à fait, dans le précédent spectacle, je ne m’adressais qu’une seule fois au public. Et c’était voulu, car le public du parc ne parlant pas forcément le français, pour être international, on s’est dit : « ne parlons pas ! » Et avec le temps, je me suis rendu compte qu’on gagnerait beaucoup à parler, même si tout le monde ne peut pas comprendre. Mais la part du public ne parlant pas français doit représenter 5 % de la salle. C’est donc dommage de se priver des rires des 95 % restant. Cela fait un spectacle, plus dynamique, plus drôle. Et je suis convaincu depuis longtemps que parler dans un spectacle de magie est très important. Cela permet de se rendre sympathique avec le public, de jouer avec lui, de le faire rire, ce qui est impossible si on ne fait que du visuel. Ce nouveau spectacle est donc ce qu’il est, parce que j’avais envie de parler. De plus, nous avons travaillé avec Arthur Jugnot sur la mise en scène. Arthur Jugnot est comédien, passionné de magie et il était certain en travaillant avec lui que le spectacle serait parlant.

Puisque vous parlez d’Arthur Jugnot, comment avez-vous collaboré avec lui ?

On a collaboré très simplement. Et comme vous me voyez sur scène. Il était très cool avec moi, et moi de même avec lui. On ne s’est jamais pris la tête ! Nous avions les grandes lignes du spectacle, j’avais choisi ce que j’allais faire et ensemble on a construit l’histoire durant les répétitions. Nous nous sommes enfermés pendant 1 mois dans le théâtre avec toute l’équipe pour monter le spectacle. C’est vraiment quelqu’un de charmant et à l’écoute. Il a beaucoup de talent. Il a aussi un esprit différent, car n’étant pas magicien à 100 %, il pose un autre regard sur la magie et c’était ce qui m’intéressait chez lui.

Nous aimerions maintenant aborder avec vous le processus de création d’une illusion, depuis l’idée de départ, jusqu’au résultat.

Avant de commencer à construire le spectacle, je voulais qu’il soit interactif et que les gens s’amusent, je voulais faire de la très grosse illusion et des numéros plus simples, pour qu’on puisse voir les deux extrêmes. Je ne savais pas comment j’allais le faire, mais je voulais qu’il soit comme ça. Avec Arthur, nous étions d’accord là-dessus. Et c’est ce cahier des charges qui a déterminé le choix des tours. Prenons, par exemple le laminoir, je l’ai choisi pour l’aspect comédie qui fait rire les enfants, mais je ne savais pas du tout comment nous allions le mettre en scène. C’est lors des répétitions que nous avons trouvé cette idée de chahuter avec les deux techniciens, parce que cela faisait suite au tour des pouces en l’air. Et le spectacle s’est écrit au fur et à mesure. Et si on a fait cela avec les techniciens, c’est parce qu’avant je me moque de mon assistante. C’est tous ces petits détails qui amènent ce tour-là. Mais je n’ai pas inventé le tour. L’effet existe depuis très longtemps, ce qui fait la différente c’est la façon de le faire. On invente très peu de choses en magie parce que tout a été dit et tout a été fait. C’est comme en musique, les notes existent depuis des siècles, on crée de nouvelles mélodies, on ne crée plus de nouvelles notes. C’est la même chose en magie. Une lévitation sera toujours une lévitation, quel que soit le procédé. On invente ou on trouve une idée nouvelle dans la façon de le faire, mais on n’invente rien. Il est rare qu’un magicien invente quelque chose de totalement innovant. Pour moi, Yann Frisch est quelqu’un qui a amené quelque chose de nouveau en magie. Ce qu’il fait ne ressemble à rien de ce qui existait avant. Parce qu’il vient du cirque et ce qu’il fait devient magique grâce à son jeu d’acteur. Mais ce qu’il fait est unique, il a vraiment inventé quelque chose de nouveau. Je ne me prétends pas inventeur. Ce qui est important, c’est d’avoir un spectacle qui devient personnel dans la façon de le jouer et dans la façon d’être sur scène. La personnalité du magicien, c’est ça qui est important. C’est comme avec les chanteurs. Il y a énormément de chanteurs, ce qui nous plaît, c’est le chanteur en lui-même, c’est ce qu’il chante, ce qu’il écrit. Ce sont toujours les mêmes mots, mais s’il les met différemment, il fait une nouvelle chanson.



Vous collaborez également avec Jean Régil...

Avec Jean, on se connaît depuis 35 ans. Il se partage entre Dani Lary et moi. (rires) c’est un peu curieux, mais c’est comme cela. Jean est une encyclopédie vivante. Il connaît presque tout ce qui a été fait en magie. Quand je monte un spectacle, il est en quelque sorte mon conseiller artistique. Parfois, je vais le voir, en lui disant : « Je veux réaliser cet effet », et on cherche tout ce qui a existé, pour éviter de le refaire comme ça a déjà été fait, mais en prenant des idées. C’est comme ça qu’on collabore. Il a travaillé avec moi sur la lévitation de l’ancien spectacle. Mais il a participé beaucoup aussi à celui-là, car on est allé ensemble à Las Vegas, on a cherché les numéros, acheté l’hélicoptère... Ça a été une collaboration de discussion. Il me rassure quand j’ai un doute, ou me dit quand je fais une erreur « Non, ça a été fait plein de fois, ne le fais pas ! ». Et l’homme est charmant par ailleurs.

Vous avez travaillé également avec le Puy du Fou...

Je travaille toujours au Puy du Fou. Je monte les spectacles avec eux, mais je ne les joue pas, c’est la différence. Je travaille avec Philippe de Villiers, Nicolas de Villiers et toute l’équipe qui monte les spectacles. J’ai même passé la journée d’hier avec eux ! On écrit les spectacles ensemble, on cherche ensemble. J’amène toujours des effets de magie, mais on ne fait pas de la magie pour de la magie, on fait des effets dans un spectacle. Et c’est comme cela que je travaille avec eux depuis 22 ans. Le Grand Parc existait depuis 3 ou 4 ans. Je suis venu parce qu’ils avaient besoin d’un œil différent, quand ils ont monté le parc. Le parc s’est créé à cause de la Cinéscénie. Les gens arrivaient de plus en plus tôt, et ils se demandaient comment les occuper. Et le Parc a commencé comme ça. Moi je suis arrivé quelques années après, je leur ai monté un spectacle et on s’est bien entendu, nous sommes d’ailleurs très amis. Je suis présent à chacune de leurs réunions, quand je peux, et on avance sur tous les projets.

Dans le précédent spectacle, vous faisiez beaucoup de clins d’œil aux autres attractions du Futuroscope, beaucoup moins dans celui-là.

C’est vrai qu’on essayait toujours de coller avec une ou deux attractions. Dans ce spectacle-là, il y a avait au début des images de Danse avec les robots, où je me téléportais là-bas et je revenais en sautant sur les toits. C’était filmé comme au cinéma et je l’ai supprimé parce que cela ralentissait le spectacle et puis on fait un clin d’œil aux Lapins Crétins. Mais c’est difficile et ça fait surtout plaisir à nous et à la direction du parc, mais je pense que le public ne s’intéresse pas à ce genre de détails. Ce n’est pas que ce n’est pas bien, mais ce n’est pas néfaste si on ne le fait pas. C’est bien de le faire, si on arrive à trouver le clin d’œil, car il faut que ce soit très léger. Il ne faut pas faire le clin d’œil pour faire le clin d’œil. Pour ce spectacle, on s’y est moins penché, il y avait déjà la vidéo de téléportation qui durait une minute et demie. On a laissé la vidéo en salle de préshow. C’est vrai qu’on ne fait pas de clin d’œil à part le lapin crétin. C’est comme ça ! Rires.

Comment définiriez-vous le fait d’être magicien ?

Comment je définirais ça ? C’est un métier comme tous les autres métiers. Évidemment, il est un peu marginal. Parce qu’on n’est pas beaucoup en France à exercer un métier artistique, tout au moins de la magie, sur 60 millions d’habitants. Quand je vois que le dernier festival de magie mondial où la France était représentée date de 2006. En France, on doit être mille, toutes formes de magie confondues, à exercer ce métier. Après il y beaucoup d’amateurs qui pratiquent la magie. Je pense que c’est un métier comme un autre, je le fais avec passion, c’est ça qui est bien, parce que je ne m’ennuie pas. Je n’ai pas d’appréhension en montant sur scène, et quand j’y suis, je ne me dis pas » Vivement que ça se termine ! », malgré le fait que je répète le même spectacle, tous les jours dans le parc. C’est toujours différent ! En plus, comme on parle dans ce spectacle-là, il plus facile pour moi de le jouer, que le précédent. Même si les effets sont plus forts, quand je joue, je ne pense pas à autre chose. Alors que dans le spectacle précédent, ont devient automatique. On est robotisé en quelque sorte et on peut penser à autre chose tout en le faisant. Donc on est plus avec les gens. Et le public se rend compte que l’âme n’y est plus. Alors que dans ce spectacle, je parle avec les gens, et donc je ne peux pas penser à autre chose. Je prends beaucoup mon pied avec ce spectacle-là. J’aime bien ce spectacle.

Comment arrivez-vous à gérer l’exploitation de votre autre spectacle de grandes illusions en parallèle avec le Futuroscope ?

J’ai une deuxième équipe. En fait, même au Futuroscope, il y a 2 équipes. Tout le monde est remplacé, parce qu’on joue tellement souvent, que tout le monde ne pourrait pas être là. Donc, quand j’ai un gros spectacle ailleurs, il y a une équipe qui s’en va là-bas pour tout installer, et quand j’ai fini, je me sauve très vite pour les rejoindre. Ou bien, je m’arrange avec le parc pour ne pas jouer ce jour-là. S’il s’agit d’un jour de faible affluence, s’il y a suffisamment de pavillons ouverts. Sinon, je joue plus tôt pour partir plus tôt. Évidemment, si on me demande d’aller à Marseille, ç’est plus problématique et là il faut que je prenne une journée ou 2. Mais autrement, je reste dans un secteur de 400 km, grand maximum. Je peux encore jouer à Paris, parce qu’il me suffit de prendre le train et à 7h15 je suis à Paris après mon dernier spectacle au Futuroscope. Mais j’ai une équipe qui part avant, car c’est une grosse logistique en grande illusion. On est une équipe de 9 personnes sur le spectacle de grandes illusions, et il faut monter le spectacle, le jouer et le démonter dans la journée. C’est lourd, mais j’aime beaucoup aussi, car ça nous fait sortir d’ici. Je peux faire un spectacle d’une heure et demie, une heure quarante, on rentre vraiment dans un monde avec le public, on est en osmose avec eux au bout d’une demi-heure. Alors qu’au Futuroscope, il faut qu’en 20/25 minutes, ça soit immédiatement gagné. C’est plus difficile de monter un petit spectacle, car il faut tout de suite cartonner. On n’a pas le temps de faire du bla-bla, d’avoir des longueurs. Même 3 minutes de blanc, c’est l’horreur. Mais j’aime bien les deux.

Vous qui émerveillez les gens, qu’est-ce qui vous émerveille dans la vie ?

Ce qui m’émerveille toujours, c’est l’espace, l’univers. Je suis toujours émerveillé devant ça. D’imaginer que c’est infini, d’imaginer qu’il y a une étoile qui est là, alors qu’elle est peut déjà morte, et qu’on la voit encore et les années lumières qu’elle met pour venir nous voir. Je suis très émerveillé de ça et du corps humain. Je trouve qu’on est une machine extraordinaire. Et tout découle de ça, quand on regarde un ordinateur, on voit que c’est conçu comme ça. Un ordinateur c’est pensé comme un être humain, le disque dur, la mémoire. Plus on travaille avec l’ordinateur, plus on lui fait faire des choses incroyables, et c’est nous qui lui faisons faire ! Même si l’ordinateur est capable de le faire parce qu’il a tout ! L’ordinateur sait tout, grâce à Internet. Il suffit de taper n’importe quoi, il sait tout. Je suis émerveillé par toutes ces technologies. C’est incroyable, ce qu’on a inventé en 1 siècle. 1 téléphone, c’est magique pour moi, même si on sait très bien qu’il y a des réseaux, des ondes... Une sonde s’est posée sur planète à des milliers de kilomètres d’ici, on peut voir les images c’est incroyable ! Imaginez, il y a 10 siècles ce genre de trucs. Même 100 ans en arrière, imaginez un téléphone comme maintenant. Ça, ça m’émerveille!



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