Entretien avec Jeremy Latcham, producteur exécutif
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

L’univers Marvel regorge de personnages. Comment choisissez-vous ceux que vous allez adapter au cinéma ? Et ceux que vous allez intégrer à une histoire comme celle d’Age of Ultron ?

Ce serait amusant de faire intervenir dans notre film tous les personnages qui sont intervenus au cours de la saga d’Ultron dans les comics. Nous essayons d’en présenter le plus possible, tout en préservant la lisibilité de l’histoire de ce film. Pour revenir à votre question plus générale, nous avons tellement de personnages formidables à notre disposition que nous pouvons nous permettre de choisir des héros très différents les uns des autres. L’un de nos buts avec Les Gardiens de la Galaxie et avec d’autres films que nous préparons, c’est de présenter au public des personnages très peu connus, et de lui permettre de découvrir à quel point ils sont intéressants. Les Gardiens de la Galaxie est un bon exemple du potentiel de héros peu connus qui vont venir s’intégrer à la grande histoire globale que nous sommes en train de raconter avec les aventures individuelles des superstars de Marvel que sont Thor, Iron Man, Captain America, et avec leurs missions dans le groupe des Avengers. Nous pensons qu’il est plus intéressant de mettre en avant ces personnages méconnus au fort potentiel que d’essayer d’intégrer – si c’était possible – des personnages Marvel qui ont été adaptés au cinéma par d’autres studios dans nos productions, car ils ne se fondraient pas aussi facilement dans nos histoires. Comme on le disait à l’époque de l’ouest sauvage « Il faut consommer ou utiliser toutes les parties d’un bison » ! C’est la raison pour laquelle nous faisons tout ce que nous pouvons faire avec les personnages dont les Studios Marvel ont l’entière propriété des droits d’adaptation cinématographiques et télévisuels. Nous essayons de raconter les histoires les plus intéressantes possibles avec ces personnages-là, sans nous préoccuper des personnages dont les droits d’adaptation ont été acquis par d’autres studios. Bien sûr, il nous arrive de nous dire « Ah si seulement nous pouvions utiliser tel méchant dans cette histoire-là, ce serait formidable ! » mais quand ce n’est pas possible, nous explorons notre vivier de méchants et nous nous rendons compte que nous en avons des dizaines d’autres à notre disposition qui ont eux aussi un potentiel cinématographique énorme. Je crois que vous vous en rendrez compte quand nous annoncerons les protagonistes des films de la troisième phase de production des Studios Marvel, et je pense que vous serez agréablement surpris (Il s’agit de La Panthère Noire, des Inhumains, de Docteur Strange et de Captain Marvel, NDLR). Il y a une scène tirée d’une BD des années 70 que nous voulions absolument intégrer dans Age of Ultron, malheureusement, l’un des protagonistes fait partie des personnages que nous ne pouvons pas utiliser, car son usage est réservé à un autre studio. Eh bien nous avons quand même adapté cette scène dans notre film, en faisant jouer ce rôle par un autre personnage Marvel, et en fin de compte l’impact dramatique n’en a pas souffert du tout. Il est même devenu plus fort grâce à cette modification. Voilà comment nous nous débrouillons avec les personnages dont nous disposons.

Au début, avez-vous hésité avant de mettre en place de nombreuses interconnections entre tous les films des Studios Marvel ? Le risque était que les intrigues deviennent tellement complexes que les spectateurs nouveaux venus peinent à s’y retrouver…

Nous nous sommes lancés dans ce mode de narration d’abord parce que c’était amusant, inédit au cinéma et intéressant, et aussi parce que c’est comme cela que les comics de Marvel sont racontés depuis 60 ans. C’était un réflexe naturel pour nous, car les fans de Marvel ont eu l’habitude de voir ces interactions entre les personnages principaux depuis toujours : Spider-Man venait prêter main forte aux Quatre Fantastique, il y avait une rotation constante de personnages au sein de l’équipe des Avengers, bref ces histoires ont toujours été liées entre elles. Quand nous avons entrepris d’adapter nous-mêmes ces BDs au cinéma, Kevin Feige a tout de suite décidé de tisser des liens entre nos films pour créer peu à peu un univers cinématographique cohérent. Cela n’avait jamais été fait auparavant, mais Kevin était certain que c’était la seule manière de procéder. Au début, je dois dire que nous l’avons surtout fait pour avoir le plaisir de pouvoir faire surgir Tony Stark dans une aventure de Hulk, et de préparer peu à peu la réunion de ces personnages dans Avengers. Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est que le succès de cette démarche l’a transformée aux yeux d’autres studios en une stratégie commerciale exemplaire, en un modèle qu’ils essaient de reproduire à leur tour. Ils raisonnent en termes d’exposition des consommateurs à plusieurs gammes de personnages en même temps, aux synergies commerciales que cela permet de mettre en œuvre, alors que nous l’avions fait spontanément, pour nous amuser et pour satisfaire les fans de comics, sans penser le moins du monde à une stratégie marketing ! (rires) Tout cela a commencé le jour où nous avons tourné la courte apparition de Nick Fury à la fin du premier Iron Man. Quand Samuel Jackson a dit à Robert Downey Jr « Vous ne le savez pas encore, mais vous venez tout juste d’entrer dans un univers beaucoup plus vaste », nous nous sommes dits « Si les spectateurs réagissent bien à cette apparition et à ce que cette phrase signifie, cela va ouvrir tout un monde d’opportunités pour nos prochains films ! » C’était vraiment une illumination, une révélation, un déclic. Les choses se mettaient concrètement en place. A partir de cet instant, nous avons imaginé concrètement toutes les réunions de personnages que cela pourrait nous permettre d’organiser et toutes les histoires que nous pourrions adapter ainsi sur le grand écran. Mais à aucun moment nous ne nous sommes dits « Ah, ça va devenir une formidable stratégie commerciale ! » (rires)

Vous n’avez donc aucune frustration à voir Spider-Man ou Wolverine utilisés par d’autres studios ?

Non. Nous sommes très heureux de travailler avec les personnages que nous avons en stock, d’autant qu’il y en a des milliers, et beaucoup qui méritent d’être découverts par le grand public, comme Les Gardiens de la Galaxie. Ce film nous permet de tester comment les gens réagissent à des personnages Marvel dont ils n’ont jamais entendu parler auparavant. Au moment où nous parlons, les premières réactions aux bandes-annonces sont très bonnes, et nous espérons que tout se passera bien en août. (Le souhait des studios Marvel à ce sujet a été exaucé, puisque Les Gardiens de la Galaxie a été le plus gros succès cinématographique de l’été 2014, totalisant près de 600 millions de dollars au boxoffice mondial en un mois, alors que sa carrière en salles se poursuivait encore ! NDLR)

Avez-vous créé des connections narratives entre Les Gardiens de la Galaxie et Age of Ultron ?

Il y a des liens tissés entre les évènements que l’on voit dans Les Gardiens de la Galaxie et l’univers cinématographique de Marvel, mais pas liens qui semblent immédiatement explicites avec ce deuxième épisode d’Avengers. Mais tout cela évolue constamment, et nous verrons bien ce que nous déciderons de faire pendant la postproduction d’Age of Ultron.

Comment votre travail a-t-il évolué depuis que Marvel a été acheté par Disney ? Avez-vous gardé toute votre liberté créative, ou avez-vous dû vous intégrer à une stratégie globale et vous plier de ce fait à certaines instructions ?

Heureusement, jusqu’à présent, et j’en profite pour toucher du bois, on nous a laissé agir exactement comme avant, avec la même liberté d’action. Je peux vous dire qu’à mon niveau, absolument rien n’a changé depuis que nous avons été achetés par Disney. Nous avons été en mesure de planifier nos films comme avant, de choisir librement les gens avec lesquels nous avions envie de travailler, nos envies de casting n’ont pas été débattues avec Disney et personne ne nous a empêché de proposer des rôles principaux aux comédiens qui nous intéressaient le plus. Je me souviens que quand nous avons décidé de confier la réalisation du premier Iron Man à Jon Favreau, les gens nous ont dit « C’est un drôle de choix ! » Mais nous n’avons pas changé d’avis pour autant, parce que nous étions confiants et que nous savions que le talent de Jon en tant qu’auteur, réalisateur et directeur d’acteur allait lui permettre d’obtenir d’excellents résultats. Tant que nous produirons des films qui auront du succès et qui fonctionneront bien , on nous laissera agir comme nous l’entendons. Je crois que notre mode de fonctionnement un peu fou a fini par être accepté et reconnu comme étant assez efficace. Si nous continuons à faire de bons choix, bien accueillis par le public, la direction de Disney nous laissera procéder ainsi et engager toutes les personnes que nous avons choisies. Je dois dire que je suis étonné que nos décisions récentes aient toutes été validées sans réticences, surtout quand nous venions en disant « Bon, pour réaliser Captain America 2, nous avons choisi ces deux frères qui n’ont jamais travaillé qu’à la télévision, sur des sitcoms ! » (rires) Idem quand nous avons confié la réalisation de Thor à Kenneth Branagh, alors qu’il n’avait plus dirigé une grosse production depuis longtemps. Je crois que le plus grand compliment que l’on nous fait indirectement quand l’un de nos films sort, c’est la frénésie qui s’empare des autres studios, car soudain ils bombardent nos réalisateurs de propositions de films, alors qu’ils ne les connaissaient même pas six mois auparavant ! Quand nous avons engagé les frères Russo, je peux vous dire que cela a suscité beaucoup de scepticisme. Mais avec le succès remporté par Captain America, Le Soldat de L’Hiver et la perspective du prochain Captain America qu’ils vont réaliser aussi, il est évident qu’on va leur offrir de mettre en scène d’énormes films dans les prochaines années. Nous nous en réjouissons, car cela signifie que nous avons bien fait notre travail.

La suite de cette visite du tournage sera bientôt publiée sur ESI !

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