Entretien exclusif avec Rob Letterman, réalisateur de CHAIR DE POULE - 3ème partie
Article Cinéma du Jeudi 17 Mars 2016

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Parlez-nous de la manière dont vous avez conçu les autres scènes d’action avec les créatures …

Chacune de ces scènes a été réécrite, redessinée et retravaillée un grand nombre de fois avant d’arriver à la version que j’ai validée et tournée. La difficulté venait du fait que les monstres devaient être dynamiques et spectaculaires sans être sinistres ni trop effrayants, car cela aurait nuit au traitement humoristique du film. A l’inverse, on ne pouvait pas les rendre trop cartoonesques non plus, car cela les aurait rendu ridicules et pas assez menaçants. Trouver les bons designs de ces personnages et le bon traitement des scènes de poursuite a été un processus complexe, mais je crois que nous sommes parvenus à préserver un bon équilibre entre frousse et rires.

Vous avez réussi également à donner un aspect et un traitement visuel différent à chaque attaque des monstres, comme pendant la scène du combat contre les nains de jardin…

Je dois avouer que je hais les nains de jardin ! (rires) A chaque fois que j’en vois sur une pelouse entourant une maison, je les trouve horribles, mal sculptés, et peints avec des couleurs criardes ! Mais comme R.L. Stine en a fait les protagonistes maléfiques d’un de ses livres, j’ai imaginé de les animer comme les créatures de GREMLINS, qui est un film que j’adore depuis ma jeunesse. Et dans ce film, l’une de mes scènes favorites est celle où les Gremlins attaquent la mère du héros dans la cuisine de la maison familiale. J’adore la manière dont elle se défend, en poussant un gremlin dans le four à micro-ondes et en le faisant exploser, tout en en tassant un autre , tête la première, au fond du mixer ! (rires) J’aime aussi l’idée de jouer sur la claustrophobie, et de montrer des personnages qui se font attaquer dans un espace très réduit par une multitude d’horribles petits monstres. Dans cette séquence, j’ai joué sur l’opposition avec les autres scènes qui se déroulent à l’extérieur ou dans de grandes salles comme celle de la patinoire. J’ai également demandé à nos designers et aux artistes qui ont animé les nains de jardin de veiller à ce qu’il soient toujours mignons et souriants pendant qu’ils attaquent nos trois héros et essaient de les tuer. Cela donne un côté surréaliste et sardonique à la séquence.

La plupart des monstres sont réalisés en images de synthèse, mais vous avez aussi eu recours aux maquillages spéciaux. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez choisi de créer en 3D, et ce que vous avez préféré réaliser en direct devant la caméra ?

J’ai toujours donné la priorité aux effets que l’on pouvait réaliser devant la caméra, à chaque fois que c’était possible. Dans le cas contraire, les trucages étaient confiés à l’équipe des effets visuels du studio MCP, et réalisés dans leurs différents bureaux de Vancouver, Montreal et Londres. Comme j’ai débuté dans le registre des effets numériques, je savais que les meilleurs trucages 2D et 3D sont ceux qui s’appuient le plus possible sur des prises de vues réelles. Même s’il faut remplacer par un personnage 3D un figurant de chair et d’os présent sur le plateau pour représenter un monstre devant un acteur, le résultat final sera bien meilleur parce que la posture du figurant aura eu un impact sur l’animation de la créature 3D et que l’attitude du comédien sera plus crédible que s’il jouait face à une silhouette en carton ou une balle de tennis orange fixée au bout d’une perche. Même pendant le tournage de la scène avec l’abominable homme des neiges, l’équipe des effets visuels plaçait dans la lumière une grande balle recouverte de fourrure blanche afin de pouvoir reproduire exactement le même rendu et les mêmes effets lumineux sur le Yéti 3D pendant la postproduction.

Quelle a été la séquence d’action la plus difficile à visualiser et à mettre en scène ? Et pourquoi ?

Celle du Blob, parce qu’au début, je n’arrivais pas à représenter cette créature semi-liquide par un dessin convaincant ni à l’imaginer dans des situations assez tangibles pour qu’elles deviennent effrayantes. Je m’en suis remis à l’équipe des effets numériques de MCP et je lui ai demandé de réaliser le design du Blob en se basant sur les effets de simulation, de textures et de couleurs qu’ils maîtrisaient parfaitement. Et ils y sont parvenus en créant des algorithmes nouveaux, spécialement conçus pour générer et animer ce personnage informe ! Ils m’ont envoyé des dizaines de tests pendant la période de recherche et de développement, et c’était fascinant à voir. On aurait dit des prises de vues d’une expérience de laboratoire très inquiétante ! (rires) Pendant le tournage, j’ai cadré l’action avec les acteurs en fonction de la manière dont j’imaginais que le Blob allait se déplacer en les poursuivant. J’ai croisé les doigts en espérant que les effets visuels correspondraient bien à ce que je souhaitais. Ce n’est que pendant les tout derniers jours de la postproduction du film que nous avons reçu les plans truqués finalisés avec le Blob, car la création de ce type de simulations 3D de fluides qui entrent en contact avec les objets de l’environnement immédiat nécessitent des calculs aussi complexes que longs à produire. Et MCP nous a livré une fois encore un travail remarquable. Ce n’est pas un hasard si ce studio est devenu l’un des plus réputés au monde.

La représentation des monstres qui se matérialisent à partir de l’encre des pages des livres est très intéressante. Qu’est-ce qui vous a inspiré ces images ?

Aucune référence en particulier : cette idée m’est venue en discutant avec notre superviseur des effets visuels Erik Nordby. Je lui ai demandé que le surgissement de l’encre se fasse comme si l’on avait filmé puis montré à l’envers des gouttes d’encre tombant sur une feuille de papier. Je lui ai demandé aussi de simuler une profondeur de champ très limitée sur ces images, afin de leur donner l’aspect de prises de vues réalisées en macrophotographie. Je crois que ces effets de flous ont contribué à crédibiliser ces animations de l’encre qui surgit des pages pour former un monstre. MCP a produit de nombreux tests pour arriver à créer exactement l’effet que je souhaitais.

Comment avez-vous filmé les interactions entre les acteurs et les créatures en synthèse ? Avez- vous utilisé beaucoup de prévisualisations en 3D schématiques afin de guider le jeu de vos jeunes acteurs ?

Oui, j’ai eu recours à tous les moyens de préparation possibles, car les méthodes de tournage variaient de séquence en séquence, et les monstres n’étaient jamais filmés de la même manière. J’ai d’abord tout storyboardé, comme je vous le disais précédemment, puis nous avons fait réaliser des prévisualisations 3D par les équipes de MCP. J’ai même subdivisé les séquences de préviz en plans individuels afin d’être toujours certain de ce que je devais filmer au cours de chaque plan. C’est un peu long à faire, mais cela évite les quiproquos ou les erreurs pendant le tournage. Cette préparation intensive nous a servi de guide, mais nous avons aussi prévu des éléments concrets sur le plateau pour représenter les monstres face aux acteurs, jour après jour. Je vais vous en donner un exemple : l’acteur qui jouait le rôle du Loup-Garou est un champion de Parkour. Il portait une tenue de lycra vert, et des extensions aux bras de manière à pouvoir se déplacer comme le monstre le ferait. Pendant toute cette séquence, il était présent devant les acteurs pour jouer les actions du Loup-Garou. En revanche, l’abominable homme des neiges était trop grand pour être incarné par un acteur. C’est donc l’un des membres de notre équipe technique qui s’est dévoué pour porter une tige de trois mètres de haut au sommet de laquelle nous avons collé une découpe en carton du visage du Yéti. Il courait sur la glace de la patinoire derrière les acteurs en la brandissant ! (rires) Nos trois jeunes héros ont donc toujours eu quelque chose devant eux pour les aider à réagir. Cela a été très utile, car ils n’avaient pas encore participé à un tournage avec autant d’effets visuels. Jack Black, en revanche, était aguerri à tout cela, notamment parce que nous avions travaillé ensemble sur LES VOYAGES DE GULLIVER.

Pourquoi le film a-t-il été converti en relief au lieu d’être tourné directement en 3-D ?

Il n’aurait pas été possible de tout tourner directement en relief : cela aurait aurait nécessité trop de temps supplémentaire et nous aurions dépassé notre budget à cause de cela. De plus, comme j’utilisais des objectifs anamorphiques très anciens de Panavision, il aurait été impossible d’aligner correctement ces objectifs pour réaliser une image A et une image B créant le relief. Pour ne rien vous cacher, ces objectifs sont tellement anciens et tellement recherchés par les réalisateurs et les chefs opérateurs d’Hollywood que je n’aurais même pas pu obtenir une seconde série d’objectifs si je l’avais voulu ! La plupart des autres exemplaires étaient accaparés par JJ Abrams pour tourner LE REVEIL DE LA FORCE. En fait, il n’existe que 15 ensembles de ces objectifs au monde, et JJ en a obtenu 5, Christopher Nolan en a eu 3, Zack Snyder aussi, et quand mon tour est venu, ils m’ont dit « désolé, nous ne pouvons pas vous en donner. » Je les ai tellement suppliés, et j’ai tellement insisté qu’ils ont fini par accepter, pour faire plaisir à mon directeur de la photographie. Et encore, cela ne s’est produit qu’après qu’un des dirigeants de Sony ait appelé personnellement l’un des dirigeants de Panavision ! (rires) Et en fin de compte, ils nous ont donné le pire ensemble d’objectifs, le dernier qui restait ! Ces objectifs sont si anciens que les directeurs de la photographie qui sont de vrais connaisseurs notent scrupuleusement leurs numéros de référence, afin de pouvoir les retrouver. Ils savent ainsi exactement quelles sont les caractéristiques particulières de chacun d’entre eux. Mais j’ai été ravi de pouvoir travailler avec les objectifs que l’on nous a prêtés. Il m’a fallu réaliser le film assez vite, avec un budget limité et dans de nombreux décors extérieurs, et les techniques de conversion en relief qui se prêtent bien à des productions tournées dans ces conditions sont si bonnes aujourd’hui que l’on peut vraiment obtenir d’excellents résultats. Pour ne rien vous cacher, le « petit secret honteux » des films en relief, c’est que même dans les films soit disant entièrement filmés en 3-D native, et même dans AVATAR, la plupart des très gros plans sont retravaillés et convertis en relief à partir de plans originaux 2D. Il ne faut donc par se fier aux informations quelquefois erronées que l’on fait circuler sur le processus de conversion en relief. Dans le cas précis de CHAIR DE POULE, les 800 et quelques plans d’effets visuels avec des créatures animées ont tous été réalisés directement en relief. Les images finales sont donc un mélange de conversion et de vrai relief.

Y aura-t-il un autre chapitre des aventures des héros de CHAIR DE POULE ? Aimeriez-vous travailler à nouveau avec cette équipe d’acteurs ?

Eh bien tout dépend de la manière dont le film va être accueilli en France (rires) mais je ne veux surtout pas vous « mettre la pression » pour en dire du bien ! (rires) Plus sérieusement, je me suis beaucoup amusé en travaillant avec l’équipe technique et avec les acteurs. Même si cela semble être l’une de ces phrases convenues que tout le monde dit pendant la promotion d’un film, nous sommes réellement devenus tous amis pendant le tournage de CHAIR DE POULE, et nous n’avons gardé que des souvenirs délicieux de notre collaboration. Comme je parle souvent avec Jack Black, je sais que lui aussi serait partant pour tourner tout de suite un autre épisode. Pour l’instant, je dois dire que le studio n’a donné aucun signe en ce sens, mais cela peut changer en fonction des résultats de CHAIR DE POULE à l’internationale. Bookmark and Share


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