Visions du futur : Star Wars IX et la quatrième trilogie – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 27 Mai 2016

La revanche du Jedi

Par Pierre-Eric Salard

Entre 1978 et 1980, George Lucas hésite longtemps sur le nombre d’épisodes que dénombrera sa saga. En mai 1978, la lettre d’information du fan-club officiel évoque douze films. Selon Mark Hamill (Luke Skywalker), le réalisateur mentionnait déjà quatre trilogies durant le tournage d’Un Nouvel espoir. Pour la sortie de L’Empire contre-attaque, neuf films sont annoncés : «La Revanche du Jedi (NDLR: Titre originel du Retour du Jedi) complétera la deuxième trilogie de l’épopée Star Wars en neuf parties. Après son achèvement, la première trilogie sera tournée, et finalement, la dernière trilogie. Si la production des neuf films se poursuit au même rythme, on peut espérer que le neuvième film sorte à l’automne 2001». Rétrospectivement, l’Épisode IX n’aura que 18 ans de retard sur ce programme… En 1980, George Lucas déclare avoir établi un document de douze pages résumant sommairement sept autres films. Lors d’une interview, il précise qu’il a en outre eu pensé à réaliser un film sur des robots — et donc dénué de présence humaine. Il caresse également l’idée de consacrer un long-métrage aux wookies. Ces concepts ne feront pas long feu, ce qui pourrait partiellement expliquer la réduction de douze à neuf opus. «J’ai éliminé les projets les plus étranges», précise le cinéaste. «Cette saga en neuf parties a un début, un milieu et une fin. Elle se déroule sur cinquante ou soixante ans, avec une vingtaine d’années entre chaque trilogie». Peu après, il affirme même avoir imaginé les titres et écrit de courts traitements – environ dix pages — pour chacun des neuf épisodes ! 35 ans plus tard, cela reste à démontrer… En 1981, alors que George Lucas termine d’imaginer les contours de son ambitieux plan au long terme, le premier film obtient enfin son titre définitif : Star Wars Episode IV : Un Nouvel espoir. Les entretiens qu’a donnés George Lucas à l’époque permettent de se faire une vague idée du contenu de cette troisième trilogie « fantôme ». Elle se serait déroulée 20 à 40 ans après Le Retour du Jedi, et aurait été consacrée à la reconstruction de la République suite au joug de l’Empire galactique. Les héros des précédents films n’auraient pas été pour autant oubliés. Désormais âgés, Mark Hamill, Carrie Fisher (Leia) et Harrison Ford y auraient repris leur rôle respectif. George Lucas n’avait pas encore décidé si le concept du mariage existait dans la galaxie lointaine, mais Leia et Han Solo auraient vécu ensemble. «C’est l’histoire d’une famille», rappelait George Lucas en 1980. «Même si cela reste flou, j’ai un cahier rempli de notes sur ce qui pourrait arriver à Luke à l’avenir». Selon le producteur Gary Kurtz (qui fait référence à des sessions de travail précédant la production du Retour du Jedi, et donc avant que Leia ne devienne la sœur de Luke), l’Épisode VII aurait été consacré à la formation Jedi de Luke Skywalker. Durant l’opus suivant, Luke aurait rencontré sa sœur (qui deviendra peu après Leia). Et l’Épisode IX clôturerait la saga sur le duel opposant Luke et l’Empereur. «L’histoire peut se dérouler de la manière que George avait originellement prévu, ou complètement changer», expliquait Gary Kurtz. «Au fur et à mesure de la production des films, la direction de la saga peut être altérée». Il existe une constante : le thème principal de la troisième trilogie. Qui aurait abordé des problématiques philosophiques : «La suite se penchera sur la formation des Jedi, sur la justice et sur la transmission de ce que vous avez appris», expliquait George Lucas. « Thématiquement, cette trilogie abordera la nécessité de faire des choix moraux, et la sagesse nécessaire pour distinguer le vrai du faux ». Lorsque Le Retour du Jedi sort au cinéma en 1983, Mark Hamill ne dit pas définitivement adieu à son personnage : George Lucas suggère encore que Luke pourrait apparaître dans l’Épisode IX, dans un rôle de mentor similaire à Obi-Wan Kenobi, aux alentours de l’année… 2011 ! Des retrouvailles forcément improbables…

Changement de perspective

En 1983, après une décennie de travail acharné (qui provoqua un coûteux et douloureux divorce), George Lucas décide de prendre un peu de repos, de recul, et d’abandonner temporairement sa saga. Au sein de Lucasfilm, le bruit court que la pause devrait s’éterniser une demi-douzaine d’années. Le temps, aussi, que l’essor technologique lui permette de donner vie à ses visions. En effet, malgré la qualité stupéfiante des trucages conçus par les artistes de son studio d’effets visuels, Industrial Light & Magic, le cinéaste s’est toujours déclaré frustré par les limites inhérentes aux techniques cinématographiques de l’époque. D’où le financement d’une édition spéciale de la trilogie originelle, bien plus tard, en 1997 (dont le succès permit, à son tour, de financer sans aide extérieure la « prélogie »). Au moment où Le Retour du Jedi sort sur les écrans, et malgré la fatigue, George Lucas envisage encore de produire, réaliser ou écrire trois trilogies. Mais seule la première possède une existence théorique : le cinéaste imagine déjà, dans les grandes lignes, la chute d’Anakin Skywalker. Encore faut-il disposer des outils nécessaires pour concrétiser sa vision ! En ce début des années 1980, Lucasfilm œuvre activement dans le domaine du « recherche et développement », par l’intermédiaire de son département Computer Division (initié à la fin des années 1970). Montage numérique, infographie, développement de jeux vidéo, son spatialisé : Lucasfilm envisage déjà l’avenir du divertissement. Les recettes du Retour du Jedi permettent de financer ces recherches jusqu’en 1985. Mais les coûts ne peuvent être soutenus sans la production de longs-métrages à succès. À partir de 1985, les dirigeants de Lucasfilm adoptent une gestion financière plus réaliste. Si Lucasfilm Games est épargné (le futur studio LucasArts étant le seul département qui n’est pas déficitaire), la plupart des projets sont abandonnés ou revendus. Dont ce qui deviendra le studio d’animation Pixar, mais il s’agit d’une autre histoire. À la même époque, Lucasfilm tente de surfer sur le succès de sa saga auprès des enfants. Ainsi sont produits deux téléfilms consacrés aux Ewoks, L’aventure des Ewoks (1984) et La Bataille d’Endor (1985) – qui bénéficient d’une sortie en salle en France. Passé le 9 janvier 1987, date à laquelle l’attraction star Tours est inaugurée au sein du parc Disneyland de Californie, l’univers Star Wars se plonge en congélation carbonique, et ce pour quelques années. La saga disparaît des écrans. Mais pas de la tête de George Lucas, qui, au cours de cette décennie, devient un producteur prolifique (Indiana Jones, Willow). Il indique d’ailleurs volontiers, en 1988, qu’il n’a pas abandonné son univers. «Les trois premiers films sont assez bien organisés dans ma tête, mais les trois autres sont juste rangés là, quelque part». Deux ans plus tard, il affirme que Star Wars sera un long film de 18 heures, divisé en neuf épisodes – comme un serial, donc. Peu après, le cinéaste semble toutefois changer d’avis. En 1991, Bantham Spectra obtient l’autorisation de publier un premier roman dont l’intrigue se déroule après Le Retour du Jedi : L’héritier de l’Empire. Cette permission d’explorer la période post Episode VI semble sonner le glas, sans tambour ni trompette, de la troisième trilogie. Après tout, le cinéaste n’a qu’une vague idée de la suite des aventures de Luke Skywalker, alors que cela fait près de quinze ans qu’il imagine la guerre des clones. Grâce à Industrial Light & Magic, il assiste, aux premières loges, à l’évolution des trucages numériques, du morphing de Willow (1988) au T1000 en métal liquide de Terminator 2 (1991), en passant par le pseudopode d’Abyss (1989). Le temps de renouer avec la saga approche. En novembre 1994, il se lance dans l’écriture de l’Episode I. Parallèlement, nombre de romans et comics racontant des histoires situées après la mort de l’Empereur sont publiés. Mais il est interdit de détailler ce qui s’est déroulé avant l’Épisode IV. Cette chasse gardée du cinéaste, qui contraste avec la liberté dont disposaient les auteurs des œuvres littéraires, démontre que George Lucas avait déjà fait – officieusement — une croix sur la troisième trilogie. En 1999, à l’occasion de la sortie de La Menace Fantôme, le discours de George Lucas a définitivement changé. La « prélogie » ne raconte plus seulement la jeunesse de Ben Kenobi et d’Anakin Skywalker, ou la guerre des clones : c’est la saga dans son entièreté qui est désormais consacrée à la chute et à la rédemption d’Anakin. Une altération de perspective qui enterre l’idée, ou le besoin, de créer une suite au Retour du Jedi. Star Wars n’est plus un simple serial, mais l’histoire tragique d’Anakin Skywalker. Le clou sur le cercueil de la troisième trilogie est l’introduction de la prophétie de l’élue «qui ramène l’équilibre dans la Force». En mettant un terme à la menace Sith, dans l’Épisode VI, Anakin accomplit sa destinée. Fin de l’histoire.

Ou plutôt, comme nous le savons désormais, la fin d’une ère.

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Sources : The Making of Star Wars/Empire contre-attaque/Retour du Jedi (Jonathan Rinzler, éditions Akileos), The Secret History of Star Wars (Michael Kaminski), La Guerre des étoiles (éditions Delcourt), Lucasfilm Magazine, Starlog, Cinefex, Variety, The Hollywood Reporter, Comingsoon.net, Starwars-Universe.com Bookmark and Share


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