LE LIVRE DE LA JUNGLE : la vision du réalisateur – 2ème partie
Article Cinéma du Samedi 25 Juin 2016

Nous émerveiller et nous faire redécouvrir un grand classique de la littérature en utilisant la technique d’AVATAR, tel est le pari réussi de Jon Favreau dans cette nouvelle version du LIVRE DE LA JUNGLE aux images particulièrement impressionnantes.



Entretien avec Jon Favreau, réalisateur

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Votre directeur de la photographie sur ce film est Bill Pope…

Oui, j’avais déjà travaillé avec Bill sur des spots publicitaires, mais c’est notre première collaboration sur un long métrage.

Sur un film comme LE LIVRE DE LA JUNGLE qui repose essentiellement sur des tournages en Mocap et sur fond vert, comment travaillez-vous avec Bill Pope sur la direction de la photographie ?

Sur un film comme celui-ci, il faut que votre directeur de la photographie comprenne que des décisions qu’il aurait normalement pu prendre et mettre en œuvre seul en tournant des prises de vues réelles vont désormais devoir être partagées et mises en commun avec de nombreuses autres personnes afin de créer les plans en images de synthèse. Quand on crée une scène en 3D, l’éclairage est un élément très important de cet effet visuel. Il y a donc un processus de négociation qui se met en place. Généralement, un directeur de la photographie observe attentivement ce qui se trouve sur un plateau, puis il va créer son éclairage en fonction de la position des décors et des acteurs. Je me suis rendu compte dans le passé que cela peut créer des problèmes avec les effets visuels qu’il faudra ajouter dans l’image, car plutôt que ces éclairages esthétiques assez directs, j’ai constaté que ce sont les éclairages par l’arrière qui conviennent le mieux aux éléments réalisés en synthèse. Bien souvent, quand vous tournez sur un fond vert, vous réservez ces effets de contre-jour à l’acteur qui joue là, mais cela veut dire que les personnages 3D auxquels il est sensé faire face vont être éclairés par une lumière frontale qui ne leur conviendra pas…C’est la raison pour laquelle nous devons négocier la manière de placer et d’orienter la lumière pour que tout marche bien dans les deux axes, comme dans la scène de la caverne avec Baloo dont je vous ai montré des extraits. Dans ce cas-là, nous avons décidé d’éclairer Neel avec une lumière frontale, ce qui est parfait pour un jeune acteur comme lui, avec un beau visage et une peau toute lisse, tandis que l’ours a énormément bénéficié du rétro-éclairage qui mettait en valeur le contour de sa silhouette et les détails de sa fourrure. Je dois préciser que si Bill Pope est connu pour son travail sur la saga MATRIX, il a également travaillé sur SPIDER-MAN 2 et 3 dans lequel il y avait également beaucoup d’effets 3D intégrés aux prises de vues réelles, et qu’il a eu l’occasion de tourner souvent sur fond vert les interventions de l’astrophysicien Neil DeGrasse Tyson, qui présente la nouvelle série documentaire COSMOS. En le choisissant, je savais que je pourrai compter sur un directeur de la photographie qui n’aurait pas de ressentiment contre les effets visuels, mais qui les considérerait comme des éléments essentiels des images à créer, et qui serait heureux d’apporter aussi sa contribution artistique aux choix à faire pendant la conception visuelle des décors virtuels, le montage des scènes tournées sur fond vert, et l’inspection des plans d’effets numériques en cours de fabrication. Il fallait que cette personne ne considère pas ce projet comme un film standard et un job rapide de quatre mois, mais comme un engagement sur le long terme. Au moment où nous parlons, nous sommes encore en pleine postproduction et Bill intervient très régulièrement pour donner des indications afin que les plans finalisés correspondent exactement à ce que nous avions déterminé ensemble. Il n’y a qu’une poignée de directeurs de la photographie qui possèdent une expérience aussi complète de la gestion de la lumière dans les tournages sur fonds verts et les décors virtuels et Bill en fait partie.

Quelles ont été les difficultés artistiques et techniques à surmonter pour trouver le ton juste, entre l’hommage au film de 1967 et la nécessité de créer une approche fraîche et nouvelle avec des personnages d’animaux 3D hyperréalistes, des environnements virtuels et de la 3-D native ?

Il fallait trouver le moyen de présenter au public les quelques chansons incontournables du film de 67 dont il se rappelle pour ne pas le décevoir. Les images-clés, aussi. Mais si nous nous étions contentés de transposer le dessin animé en 3D réaliste, ce film n’aurait eu aucun intérêt, aucune originalité. On en revient à cette question que l’on doit se poser en tant que réalisateur « Qu’est-ce que j’aurais envie de découvrir sur l’écran en allant au cinéma pour voir LE LIVRE DE LA JUNGLE ? » J’ai constaté plusieurs fois déjà que si l’on se base sur cela, c’est à dire sur ses envies personnelles, son instinct, on réussit généralement à plaire au plus grand nombre de gens, alors que paradoxalement, si on tente de séduire le public le plus large en faisant des compromis, on obtient le résultat inverse et on ne convainc personne ! Sur ce point, j’ai appris beaucoup de choses en travaillant avec de grands maîtres de la gastronomie quand j’ai réalisé mon film CHEF. Quand ils imaginent une nouvelle recette, un nouveau plat, ils ne tiennent compte que de leurs propres goûts, que de leur recherche d’excellence personnelle. Et c’est uniquement ainsi qu’ils réussissent à faire plaisir à leurs clients. Mes goûts et mes envies sont la seule boussole dont je dispose pour prendre mes décisions sur le film, et pour créer des moments drôles ou des scènes d’action captivantes. Aujourd’hui, j’ai réalisé assez de films pour être certain qu’il faut que je fasse toujours confiance à mon instinct.

Vous parlez de CHEF comme d’une expérience qui a transformé votre démarche de réalisateur. Pourtant, il s’agissait d’une comédie à petit budget dans laquelle vous incarniez un Chef qui perdait son restaurant, et qui se mettait à travailler dans un « Food Truck » pour se reconstruire, et tisser de nouveaux liens avec les membres de sa famille que son rôle de patron de l’établissement l’avait entraîné à délaisser. Bref, il s’agit là d’un petit film indépendant qui n’a quasiment aucun point commun avec un blockbuster, et en dehors du fait de miser sur votre instinct, on comprend assez mal quelles autres leçons vous avez pu en tirer pour les appliquer sur LE LIVRE DE LA JUNGLE…

Chef a été un excellent « Hors d’œuvre » pour LE LIVRE DE LA JUNGLE ! (rires) Une excellente « entrée en matière ». Le budget du film était si réduit que j’ai dû faire de nombreuses choses par moi-même : l’écrire, le produire, le réaliser et jouer le rôle principal. Et pour la même raison, beaucoup de gens ont accepté de gérer eux aussi plusieurs postes. Nous avons été contraints de tourner très vite. Dans de telles circonstances, vous êtes obligé de solliciter toute votre énergie, de réfléchir vite et bien, et d’agir le plus intelligemment possible. C’est comme un entraînement sportif de haut niveau, dans le domaine spécialisé du cinéma. Le rythme de fabrication du LIVRE DE LA JUNGLE est totalement opposé : il est très lent. Même si la montagne bouge, elle bouge de manière parfois imperceptible ! Cela vous oblige à faire preuve de beaucoup de patience, à être attentif à tous les détails, et à vous focaliser au long cours sur tous les objectifs que vous devez atteindre pour réussir le film. L’entraînement de CHEF m’a énormément aidé à me préparer à ce marathon artistique et à garder mon énergie tout au long de ce projet. LE LIVRE DE LA JUNGLE est d’abord et avant tout le fruit d’un travail d’équipe, car je collabore avec des centaines de personnes.

Vous ne vous occupez quand même pas de cuisiner les plats de la cantine du studio MPC ?

(rires) Non ! Mais un jour, j’ai quand même préparé des sandwichs au fromage grillé pour toute l’équipe ! (rires) Franchement, au-delà de cette boutade, la préparation d’un repas est une excellente métaphore de la réalisation d’un film comme celui-ci. Je trouve que la démarche des grands chefs est très proche de celle des metteurs en scène de cinéma. Mais les chefs font aussi des choses très subtiles que nous ne faisons généralement pas, et dont j’ai tenté de m’inspirer.

La suite de ce dossier paraîtra bientôt sur ESI

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