ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR : Entretien avec James Bobin, réalisateur - 3ème partie
Article Cinéma du Vendredi 12 Aout 2016

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez travaillé en tant que scénariste et réalisateur pour la série hilarante DA ALI G SHOW dans laquelle Sacha Baron Cohen incarnait un rappeur anglais particulièrement frimeur et stupide. On imagine que vous avez pris un grand plaisir à travailler alors ensemble, mais qu’est-ce qui vous a donné l’idée que Sacha Baron Cohen serait l’acteur parfait pour incarner le Temps ?

Sacha et moi nous connaissons depuis les années 90, et quand nous collaborions sur DA ALI G SHOW, nous nous amusions à créer ensemble ce personnage, à imaginer ses relations avec sa famille, ses amis, ses opinions sur les grands problèmes de société, etc. Quand j’ai accepté de réaliser ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR, les scènes de voyages temporels figuraient déjà dans le script, mais pas le personnage du Temps. J’ai donc suggéré que nous le créions, parce qu’il me semblait capital de le représenter. J’en profite pour préciser que Lewis Carroll parle bel et bien de de ce personnage dans ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, et que c’est donc lui qui l’a créé. Quand nous avons commencé à imaginer ses caractéristiques, je me suis dit qu’il ne fallait pas trop amplifier ses pouvoirs qui sont déjà considérables, puisqu’il contrôle le temps et peut voyager dans le passé et le futur grâce à sa chronosphère. J’ai pensé qu’il serait intéressant d’en faire un être un peu stupide, qui a une confiance totale en lui ! Il s’agit précisément d’un type de personnage que Sacha adore interpréter. Je lui en ai donc parlé en sachant qu’il apporterait son bagage comique et son brin de folie, et que ce serait une nouveauté qui s’intégrerait bien dans cet univers. Sacha a immédiatement accepté et a commencé à réfléchir à la manière de représenter son personnage. Il fallait aussi que l’on soit impressionné par lui lorsqu’on le voit pour la première fois dans le film. Nous avons donc déterminé qu’il fallait qu’il soit grand, semi-mécanique, et que ses épaulettes et son chapeau amplifient démesurément sa silhouette pour faire comprendre qu’il veut se donner un aspect impressionnant. Comme nous avions déjà une Reine Blanche et une Reine Rouge et un Chapelier Fou roux, et que le temps pour moi représente le néant et l’obscurité, nous lui avons donné des vêtements noirs, coordonnés avec les murs d’obsidienne de son palais cathédrale. Ensuite, quand nous avons construit sa personnalité, nous avons déterminé que le Temps était un être solitaire, ne savait pas comment agir avec les autres, et n’avait jamais rencontré de femme de sa vie. C’est la raison pour laquelle il tombe éperdument amoureux de la terrible Reine de Cœur, car c’est la première femme qu’il voit ! (rires) Après, nous avons réfléchi à la voix et à la démarche du personnage, car une démarche est toujours un élément très important de la physicalité d’un personnage comique. Comme nous avions déjà de nombreux accents anglais différents de par notre casting, j’ai préféré que nous allions dans une autre direction, et en pensant à l’horlogerie suisse, j’ai proposé que le temps ait un accent suisse-allemand. Sacha l’a réinterprêté à sa manière en le transformant en un accent excentrique mi-allemand, mi-américain.

Quelles sont les idées les plus folles qu’il vous a proposées concernant son personnage du Temps ? Qu’a-t-il apporté au rôle pour vous amuser et vous surprendre ?

Sacha propose tout le temps des idées folles. Tout le temps ! Et il veut souvent repousser les limites de ce que l’on a vu au cinéma, comme on a pu le constater dans ses films. Je l’encourageais à exprimer ses idées parce que cela pouvait bénéficier à sa performance, mais il fallait aussi qu’elles puissent fonctionner dans le cadre du film. Pour être sûr d’aller dans la bonne direction, j’ai souvent répété à Sacha qu’il fallait que le public finisse par aimer ce personnage du Temps, en se rendant compte qu’il est manipulé par le bout du nez puis trahi par la Reine de Cœur, et qu’au fond, il est naïf et gentil. Et Sacha joue donc sérieusement des scènes d’émotion et fait passer tout cela dans son interprétation.

Vous avez travaillé avec Alan Rickman sur ce qui sera hélas sa dernière performance : la voix de la chenille bleue…

Oui, nous avons tous été très choqués quand nous avons appris sa disparition. Nous ne savions pas qu’il était malade. Alan était un être délicieux et un acteur époustouflant. Sa voix était si particulière qu’il était le seul acteur capable de jouer Absolom en lui donnant à la fois la dignité d’un mentor et l’espièglerie d’un être qui n’aide Alice que par l’intermédiaire de charades qu’elle doit résoudre. Alain faisait merveilleusement passer toutes ces nuances dans sa voix. A chaque fois que je l’entendais dire ses répliques pendant les sessions d’enregistrement, j’en avais des frissons ! Il nous manque terriblement et je suis très touché d’avoir eu le privilège de travailler avec lui.

Comment avez-vous conçu les grandes scènes d’action du film ? Quelles ont été vos sources d’inspiration visuelles ?

J’aime qu’Alice soit devenue une jeune femme curieuse, courageuse et prête à se lancer dans toutes sortes d’aventures. Mais je ne voulais pas non plus la transformer en super-héroïne. C’est la raison pour laquelle je montre qu’elle se donne beaucoup de mal pour franchir les obstacles physiques qui se dressent devant elle, et que c’est difficile à faire. C’est ainsi que j’ai demandé à Mia de bien souligner qu’elle avait de la peine à monter aux cordages du bateau dans la séquence d’ouverture de l’attaque des navires pirates chinois. Idem pour la scène de la fin du film où elle conduit la chronosphère et doit courir pour la replacer dans la grande horloge du temps. J’ai démonté l’arrière de la pendulette à balanciers qui se trouve dans mon bureau et j’ai observé les engrenages qui se trouvent à l’intérieur en me disant « Bon, alors dans les décors du palais, je vais reproduire celui-ci, et celui-là, et celui-là aussi… » (rires) Je savais que ce serait intéressant et spectaculaire de montrer Alice évoluer au milieu de ces engrenages géants, et j’étais sûr que cela plairait aussi à ma fille aînée, quand elle verrait le film ! (rires)

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.