Du « Mocap » à la « Performance capture » : La petite histoire des personnages 3D
Article 100% SFX du Jeudi 03 Avril 2008

Le cinéaste français d'origine hongroise Peter Foldes est l'un des premiers créateurs de personnages animés en images de synthèse. Dans ses films "Metadata" (1970) et "La Faim" (1975), il s'approprie cette technique d'une manière originale, en transformant successivement des images 2D pour leur donner l'aspect de graphismes 3D en déplacement. Ce procédé hybride produit des images fascinantes, mélanges du geste de l'artiste et des métamorphoses gérées par l'ordinateur...
Par Pascal Pinteau

Extrait de La Faim de Peter Foldes :


Des films expérimentaux aux acteurs de synthèse

Les premiers personnages 100% 3D qui apparaissent dans les années 80 sont des objets animés ou des personnages humains très schématiques. A l'époque, les ordinateurs spécialisés dans le traitement de l’image n’existent pas. On doit détourner des calculateurs industriels qui servent à piloter des usines ou des centrales nucléaires, comme le Cray XMP/48, lorsque l’on veut créer des images 3D avec des effets de volumes complexes. C’est la société Kleiser-Walczak qui réussit à créer les premiers "synthespians" troublants à la fin des années 80. Ce néologisme - amalgamme des mots anglais Synthesis (synthèse) et "thespians" (acteurs de théâtre) - désignera désormais les acteurs synthétiques. Mais à cette époque, la représentation réaliste d'un être humain pose des problèmes si insurmontables que la plupart des compagnies se spécialiseront dans les personnages de style "Cartoon". Mais on continue à rêver aux possibilités futures de la 3D. L’un des fantasmes les plus répandus de l’époque consiste à évoquer le jour où l’on arrivera à reconstituer une Marilyn Monroe synthétique indiscernable de l’originale ! Tom Porter, superviseur technique des effets 3D chez Pixar, se souvient de cette obsession des années 70/80 : « On entendant beaucoup de prédictions contradictoires. On disait, "Dans dix ans, on verra des films avec des acteurs synthétiques", alors que nous n'avions qu'une faible idée de la complexité grandissante des techniques. Une séquence en images de synthèse réussie dépend de la capacité de calcul des machines, mais surtout du savoir-faire des techniciens et des artistes. Et de nos jours, cette connaissance doit être de plus en plus fine, car les palettes de possibilité sont de plus en plus grandes. »

Des logiciels au secours des animateurs

Au fil des ans, les ordinateurs deviennent plus puissants et beaucoup plus rapides. Ils sont conçus pour être dédiés au traitement de l’image, et de nouveaux logiciels comme Maya et Renderman (de Pixar) permettent de modeler des décors, des accessoires et des personnages. Dans les années 90, les personnages 3D sont plus perfectionnés, mais restent très contraignants à animer. Il faut à la fois programmer leurs gestes, mais aussi animer indépendamment leurs vêtements et leurs cheveux. Peu à peu, on libére les animateurs des tâches subalternes qui peuvent être gérées automatiquement par de nouveaux logiciels. Désormais, ils ne perdent plus de temps à animer des flocons de neige, des plis de vêtements, des poils ou des ondulations d'algues sous l'eau. Des programmes adaptés du logiciel Maya permettent de simuler des tissus de toutes sortes. Grâce à eux, on peut habiller un personnage 3D et le tissu bouge automatiquement lorsque l'on bouge le corps du personnage : les plis se forment naturellement.

Les premiers personnages hyperréalistes

Tous ces progrès seront poussés à leurs limites en 2001, quand Final Fantasy sort dans les salles. Des acteurs virtuels hyperréalistes s'emparent pour la première fois de l'écran. Si les personnages de Final Fantasy sont fascinants, leurs capacités d'acteurs sont encore limitées. Et pourtant, la création des personnages 3D a nécessité plus de quatre ans de recherches intensives. Les textures de peaux, les rides d'expression des visages et l'incroyable richesse des détails du film dépassent tout ce que l'on avait pu voir auparavant. Les actionnaires de la société de jeu vidéo SquareSoft, de la société Japonaise Gaga-Humax et du studio américain Columbia ont misé 140 millions de dollars sur ce projet. Le matériel réuni est à la hauteur du défi : les animateurs disposent de 200 stations Octane SGI, avec 10 terraoctets de mémoire pour les données 3D et 5 terraoctets pour les données 2D. Les images sont calculées par 960 stations Linux Red Hat 6.2...

Bande-annonce de Final Fantasy :


Dès le début, l'équipe affiche sa volonté de ne contourner aucune difficulté. Les visages 3D apparaîtront en très gros plan. Il faut donc les doter d'imperfections subtiles et de petits détails qui sonnent juste, comme les poils de barbe sur les visages des soldats qui entourent l'héroïne, Aki Ross. Le rendu de la peau est le fruit d'un long travail, et de superpositions de nombreuses couches 3D qui mêlent des effets de brillance, de transparence et de surfaces opaques dessinées et "mappées" sur le visage d'Aki Ross. Le réalisme des personnages est dû à une accumulation de petits détails : la transparence de la peau, les petits défauts de pigmentation, le degré de brillance et les différentes nuances de couleur des dents, l'aspect humide des yeux, etc. Comme chaque personnage du film, Aki est composée d'environ 100 000 polygones subdivisés. Sa chevelure est composée de 60 000 cheveux modélisés et animés individuellement. Son corps est animé grâce aux données recueillies par le système de capture "Motion Analysis". Les mouvements d'une actrice vêtue d’une tenue spéciale (elle est couverte de demi-sphères qui réfléchissent la lumière) ont été enregistrés en 3D grâce à 16 caméras disposées sur le plateau de tournage. Les caméras sont équipées d’une lampe infrarouge dont la lumière éclaire les sphères, et sont réglées pour ne «voir » que ces points lumineux. Les 16 points de vue différents des caméras sont traités par un logiciel qui permet de situer chaque sphère dans un espace en trois dimensions qui reconstitue celui du studio de prises de vues. Les expressions faciales et les mains d'Aki, en revanche, sont encore. programmées par des animateurs, comme des personnages de cartoon. Après la sortie de Final Fantasy, Square Pictures réalise encore le remarquable segment The last flight of the Osiris pour la compilation de courts-métrages The Animatrix (2003).

Sony Imageworks, le studio de l’animation hyperréaliste

A partir de 2001, c’est le studio d’effets numérique Sony Imageworks qui devient le leader de l’animation de personnages humains réalistes. Et pourtant, leur première vedette a été la charmante petite souris de Stuart Little 1 & 2, dont le rendu était déjà impressionnant. Aujourd’hui Sony Imageworks créé les doublures virtuelles des acteurs de Spider-Man 1, 2 et 3, et de Superman Returns. Il était donc tout naturel que Robert Zemeckis s’associe à cette équipe pour développer la technique de « Performance capture » dont il avait besoin pour faire aboutir le projet du Pôle express (2004). Contrairement à la « Motion capture » traditionnelle, qui n’enregistre que les mouvements du corps, la « Performance capture » permet d’enregister également les expressions faciales des acteurs, et de les restituer avec exactitude. Dans le film, Tom Hanks joue plusieurs personnages : le jeune héros, le contrôleur du train, le père Noël, un vagabond étrange. Afin que l’on puisse numériser son jeu d’acteur, Hanks doit non seulement porter un costume noir muni de 72 points de repères blancs, mais aussi 152 petites sphères blanches que l’on colle une par une sur son visage ! Toute sa performance est alors enregistrée en une seule « prise », dans un espace virtuel qui rayonne à 360° autour du ou des personnages. Certes le système a ses limites : en 2004, on ne peut pas encore capter les mouvements des yeux. Les petites sphères ne peuvent être collées que sur certains endroits du visage, mais pas sur d’autres. Prenons l’exemple des lèvres : on ne peut pas coller les sphères à l’intérieur des lèvres, contre les dents. D’abord parce que cela modifierait la forme des lèvres, et aussi parce que cela gênerait la prononciation de l’acteur . Il manque donc une partie du volume des lèvres, que les animateurs sont obligés de reconstituer. Le même problème se pose avec les paupières. Tom Hanks a des petits replis de peau au-dessus des paupières supérieures. Quand on lui colle des sphères sur le bord des paupières, elles disparaissent sous les replis de peau dès qu’il ouvre les yeux, et on ne peut plus capter les mouvements de ces parties de son visage ! Il faut alors créer des animations complémentaires pour résoudre ce problème.

Bande-annonce du Pôle Express :


Panique sur le plateau

Il arrive aussi qu’une de ces fameuses petites billes faciales se décolle et tombe, ce qui provoque une belle panique sur le plateau : cela signifie que le système va générer une image du personnage avec son oreille qui pend jusqu’au sol, ou un nez horriblement déformé ! Ce serait très drôle à voir si ce genre d’incident ne retardait pas toute l’équipe de Zemeckis. Pour éviter cela, une personne est chargée de vérifier entre chaque prise si toutes les sphères sont toujours en place, et, le cas échéant, de les recoller ! Il faut aussi imaginer une astuce pour s’assurer que les marqueurs sont bien collés exactement au même endroit sur le visage de Tom Hanks, jour après jour. Son visage est moulé et cette empreinte sert de matrice pour fabriquer des masques en plastique rigide thermoformés dans lesquels on perce des trous à chaque endroit où l’on doit coller une sphère. Il suffit de placer le masque percé sur le visage de Tom Hanks, puis de coller les sphères une par une au travers des trous, pour réussir à les fixer exactement au même endroit chaque jour ! Cependant, malgré la sophistication du procédé de « performance capture », les données recueillies sur le plateau doivent être longuement retravaillées et complétées par des animateurs. L’animation d’un personnage humain est sans doute la tâche la plus complexe qui existe dans le domaine de l’infographie, parce que chacun de nous observe des êtres humains en train de bouger au cours de sa vie quotidienne. Chaque spectateur a donc un regard très critique sur les personnages 3D réalistes. En dépit de la difficulté de ce travail, l’animation des personnages du Pôle express est terminée en un an, et le film connaît une belle carrière dans les salles, et dans sa version en relief projetée dans les salles IMAX 3D. Après Monster House, de Gil Kenan, Beowulf est la troisième grande aventure réalisée grâce au système révolutionnaire de Robert Zemeckis.

Court reportage sur la technologie de Beowulf :


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