Dans les coulisses de L'Empire Contre-attaque – 3ème partie : Yoda & Bespin
Article Cinéma du Samedi 16 Mai 2020
Par Pierre-Eric Salard
Une marionnette inoubliable
Lorsque les artistes chargés des recherches artistiques tentèrent d'imaginer le Maître Jedi Yoda, ils se heurtèrent à un problème de taille : comment donner vie à ce personnage hors norme, sans qu'il ne paraisse pour autant ridicule ? On élimina rapidement les designs préliminaires, où Yoda ressemblait à un elfe arborant la barbe du Père Noël... « Quand je suis arrivé en Angleterre pour le tournage des intérieurs, je savais qu'il y aurait un certain Yoda, mais je ne savais absolument pas à quoi il ressemblerait », explique Irvin Kershner. « Nous avions pensé utilisé des singes, puis un chimpanzé, un acteur de petite taille, voire un enfant... Cela n'aurait pas fonctionné ! Nous avons ensuite imaginé un géant de 2,5 mètres de hauteur avec une barbe blanche – il me faisait penser à Moïse. Les idées fusaient dans tous les sens ! Finalement, un spécialiste anglais des maquillages spéciaux, un gars merveilleux, a travaillé sur un design pendant une journée et nous a apporté la solution... » Cet artiste providentiel se nomme Stuart Freeborn, le légendaire maquilleur qui a créé les costumes des singes du prologue de 2001, l'Odyssée de l'Espace ! Ce dernier trouva la solution en créant un design véhiculant simultanément la sagesse et l'humour du personnage. « Précisons d'abord que les grandes lignes de l'apparence physique de Yoda ont été définies par Ralph McQuarrie », explique Stuart Freeborn. Lorsqu'il commence à dessiner pour la première fois le visage du vénérable Jedi, il garde deux idées en tête : « Je voulais qu'il soit à la fois sage et amusant. Pour le côté sage, je me suis inspiré d'une photo d'Albert Einstein. Vous pourrez d'ailleurs remarquer que la lèvre supérieure de Yoda est la réplique de la moustache du scientifique ! Les rides du physicien m'ont également inspirées ». Pour l'aspect amusant, Stuart Freeborn s'inspire de... lui-même ! « On m'avait dit que j'avais un drôle d'air (rires) ! Le visage de Yoda a donc été créé en plaçant devant moi un miroir et une photo d'Einstein... » Plusieurs marionnettes à l'effigie du vieux Jedi sont ensuite fabriquées. « Si ces marionnettes n'avaient pas convaincues, le film n'aurait eu aucun succès », précise George Lucas. Elles étaient heureusement animées par un professionnel, Frank Oz, qui a travaillé sur les émissions télévisées de Jim Henson, dont le Muppet Show. Oui, Yoda est bel et bien un cousin plus ou moins éloigné de Kermit la grenouille ! Comme le plateau était surélevé d'1,50 mètre, Frank Oz manipulait la marionnette par en-dessous, à travers de discrètes ouvertures camouflées dans le sol. Trois autres animateurs l'aidaient grâce à des mécanismes complexes situés à l'intérieur de la tête de Yoda. Ce système leur permettait d'animer ses lèvres, ses yeux et ses oreilles. Mais Frank Oz prêtait également sa voix au Maître Jedi, dans le film comme sur le plateau ! La configuration du plateau posait de sérieux problèmes de communication : l'animateur se trouvant sous le sol, il entendant particulièrement mal les instructions du réalisateur ! Et quand il s'agissait de donner la réplique à Mark Hamill, la situation pouvait tourner à la mauvaise comédie... Lorsque Yoda est transporté sur le dos de Luke, il est bien sûr impossible que Frank Oz puisse manipuler son personnage. Il s'agissait donc d'une marionnette télécommandée, à l'animation rudimentaire... L'interprète de Luke Skywalker se souviendra longtemps de ce tournage - passant son temps, seul, face à une marionnette et un R2-D2 muet... Ce qui ne lui a pas empêché de livrer une excellente performance ! Le jeu de l'acteur a sans aucun doute permis de rendre crédible l'existence de la créature verte...
L'art du matte painting
Quittons maintenant les marécages de Dagobah pour rejoindre les ciels pastels de Bespin. « Cette planète abrite une Cité des Nuages, administrée par Lando Calrissian », rappelle le directeur de la photographie pour les effets spéciaux, Dennis Murren. La plupart du temps, il s'agit de matte paintings conçus par Ralph McQuarrie et Harrison Ellenshaw. « La Cité des Nuages imaginée par George Lucas ressemblait à une cité volante tirée de l'univers de Flash Gordon », expliquait Ralph McQuarrie. « Il m'a laissé carte blanche. J'ai inventé l'architecture de cette ville de A à Z ! Quand je travaille, je m'imagine marcher dans l'environnement, comme si je visitais moi-même tel endroit incroyable... ». En tout, l'artiste aura dessiné une quarantaine de peintures sur verre pour le film, sur des panneaux de 1,80 mètres de large. Harrison Ellenshaw (Le Trou Noir, Tron), quant à lui, n'a pu rejoindre la production qu'une fois le tournage terminé. « Il ne me restait que six mois pour faire le travail ! », précise-t-il. « J'étais très enthousiaste à l'idée de rejoindre le projet. J'avais travaillé sur Un Nouvel Espoir : c'était une expérience inoubliable ! J'avais beaucoup d'admiration pour George Lucas et le producteur Gary Kurtz. Mais il y avait bien plus de matte paintings à faire pour le second épisode ! J'étais heureusement épaulé par Ralph McQuarrie, qui s'est occupé d'environ la moitié des mattes. Son aide a été précieuse : quand je suis arrivé, une énorme quantité de travail m'attendait (rires) ! Nous avons commencé à peindre dès que possible ». Pour les plans d'ensemble, la structure de la Cité des Nuages fut peinte par sur une plaque de verre distincte du fond nuageux, afin que les deux puissent être déplacées l'une par rapport à l'autre selon les besoins des plans. Cela permettait d'économiser du temps... A propos d'économies, les plans panoramiques furent utilisés deux fois : pour le jour et pour la nuit ! Il suffisait de copier le plan du jour, de l'assombrir, puis d'utiliser le résultat obtenu à une échelle différente pour le distinguer de l'image originale ! Mais le plus dur est à venir : il faut mélanger des prises de vues réelles à des matte paintings pour montrer les héros sortir du Faucon Millenium et marcher à travers l'aire d'atterrissage de la Cité des Nuages... « Il fallait que nous dessinions les décors qui seraient combiner à ce qui avait été tourné », précise Harrison Ellenshaw. « Au final, cela a fonctionné, mais ce n'était pas gagné d'avance. Ce type de plans m'inquiète toujours. Lorsque vous devez agrandir visuellement des décors réalistes, ou ajouter un paysage montagneux en arrière-plan, si vous faites correctement votre boulot, le public ne s'en apercevra pas. Or tout le monde sait très bien que les villes volantes n'existent pas, et personne n'en a jamais construit pour un film (rires). Les spectateurs savent que la magie du cinéma a été invoquée. Les gens penseront forcément que c'est une peinture, une maquette ou un quelconque trucage. Il faut donc réussir à leur faire oublier l'astuce. Ce travail doit être parfait... et est finalement très anxiogène (rires) ! Ralph McQuarrie a heureusement fait un bon nombre de ces peintures et, bien sûr, il maîtrisait parfaitement le sujet. Son sens du design était impressionnant. Je pense que nous avons réussi à créer l'illusion... » La scène de la plate-forme d'atterrissage a en réalité été réalisée grâce à trois moyens distincts : un plan panoramique conçu en matte painting, une miniature de 1,80 mètre de long sur laquelle une maquette du Faucon Millenium atterrit, et... le plancher du fameux plateau Star Wars, sur lequel reposait la réplique grandeur nature du vaisseau de Han Solo (qui n'a donc toujours pas bougé, et ne bougera pas avant d'être définitivement démontée) ! Dans ce dernier cas, seuls le plancher, le Faucon et le rampe d'accès sont réels. Une peinture sur verre de Ralph McQuarrie a été ensuite incrustée sur la prise de vue originale. :« Ma peinture préférée est celle qui montre l'arrivée du Faucon Millenium au centre de cette grande aire ronde située au bout d'une des plate-formes d'atterrissage », n'hésite pas à déclarer l'artiste. Afin de combiner les prises de vues réelles au matte painting, le responsable de la photographie des matte paintings, Neil Krepela, utilisa la technique de la projection frontale. La scène filmée est projetée à travers une plaque de verre semi-réfléchissante qui transmet directement certains faisceaux lumineux, et qui en réfléchit d'autres. Une caméra filme ainsi la peinture combinée à l'élément projeté ! Le projecteur et la caméra étant sur le même axe, il n'y a pas de distorsion de perspective.
Un puits sans fond
Les intérieurs de la Cité des Nuages ont également bénéficié d'astuces salvatrices. Le nombre de décors étant limité, ils étaient régulièrement repeints pour pouvoir être utilisés dans des plans sensés se dérouler à d'autres endroits de la ville. On filmait également les décors à partir de plusieurs angles. Afin de parfaire l'illusion, ils pouvaient également être rapidement recombinés pendant que les acteurs étaient filmés ailleurs ! Par exemple, à l'occasion d'un plan-séquence, les comédiens marchent dans un grand couloir, tournent deux fois puis débouchent dans un autre couloir. En réalité, il s'agit du couloir où le plan a commencé ! Il a été redécoré à toute vitesse pendant que la caméra et les acteurs faisaient le tour du plateau ! Quand la magie du cinéma ne tient qu'à un fil... Passons à la scène culte du film, voire de toute la saga Star Wars : l'affrontement entre Luke Skywalker et son père à l'intérieur du puits de ventilation de la Cité des Nuages. Le combat se termine au-dessus d'un impressionnant gouffre de 300 mètres de diamètre, sans fond. Plusieurs matte paintings représentaient l'intérieur du puits pour les plans d'ensemble. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, Mark Hamill et David Prowse (Dark Vador) n'ont pas joué devant un fond bleu ! Il s'agissait en fait d'une utilisation ingénieuse de deux fonds plats : l'un pour les angles inclinés, l'autre pour les perspectives frontales. Ils étaient peints de façon à figurer les perspectives à l'intérieur du puits de ventilation. Si l'on devait par exemple montrer Luke Skywalker en difficulté, on installait le fond dédié aux angles inclinés : filmer d'en haut, le Jedi semble surplomber un dangereux précipice ! Pour les contre-plongées, le fond dédié aux angles inclinés pivotait à 180 degrés et était placé au-dessus des acteurs. Il fallait y penser ! Rappelons que les lames incandescentes des sabre-lasers sont ajoutées en post-production par le biais de la rotoscopie. Quitte à décevoir les enfants émerveillés, sachez que les acteurs jouaient avec de simples bâtons ! Et quand Dark Vador coupe la main de Luke Skywalker, Mark Hamill n'avait qu'à presser une poignée dissimulée dans sa manche pour qu'une fausse main se décroche... Lorsque le Jedi se retrouve, un peu plus tard, accroché à une antenne sous la Cité des Nuages, seules cette dernière et la trappe qui la surplombe existent réellement. Pour les plans panoramiques, les artistes d'Industrial Light & Magic ont utilisé une maquette avec une perspective forcée en arc de cercle. Pour l'anecdote, pour filmer a scène où Lando Calrissian emprunte l'ascenseur du Faucon, l'acteur Billy Dee Wiliams se trouvait dans un minuscule décor (si la caméra reculait, on découvrirait les coulisses du plateau !). Et c'est un simple chariot élévateur qui simule son ascension ! Terminons notre visite sur l'un des derniers plans du film : la caméra s'éloigne de la flotte de l'Alliance Rebelle alors que les héros observent le départ du Faucon Millenium par une fenêtre de la frégate médicale. Les prises de vues du centre médical furent simplement projetées par transparence sur la fenêtre d'un modèle réduit de la frégate. Alors que le London Symphony Orchestra entonne le thème principal de la saga, nous savons que nous n'avons plus qu'à attendre le Retour du Jedi...
Retouches numériques
Quand on se rend compte de la richesse du travail effectué par les équipes d'ILM sur L'Empire Contre-Attaque, il n'est guère étonnant d'apprendre que le studio a reçu un Oscar et un Saturn Award pour la qualité des effets spéciaux du film ! George Lucas ne s'est pourtant pas endormi sur ses lauriers : à l'occasion de l'Edtion Spéciale de la trilogie, en 1997, cet Episode V a été retouché. « Quand la Fox nous a demandé de restaurer les épisodes 4, 5 et 6, à l’occasion du 20ème anniversaire de Star Wars, nous avons saisi cette opportunité pour réaliser de nouveaux effets numériques et insérer des plans auxquels George avait dû renoncer à l’époque », explique le producteur Rick McCallum. Le scène du wampa, sur la planète Hoth, a ainsi pu bénéficier de tous nouveaux plans : la créature en devient bien plus inquiétante ! La plupart des plans de la bataille sur Hoth furent également recombinés numériquement sur le logiciel de compositing Sabre afin d'effacer les lignes de cache autour des véhicules. Mais le plus gros du travail s'est concentré sur la Cité des Nuages. Les images de synthèse autorisent le survol de la ville : celle-ci fut modélisée sous le logiciel Alias. Et de nouvelles fenêtres permettent d'admirer de l'intérieur de la Cité le superbe panorama qui l'entoure. Mais ceci est une autre histoire, qui se déroule pourtant toujours dans cette galaxie lointaine, très lointaine...
Ce dossier fut réalisé à l'aide d'ouvrages que nous ne cesseront de conseiller aux plus curieux : les Making of publiés en France par les éditions Akileos, Naissance d'une galaxie de Lorne Peterson (Akileos), les deux volumes de Star Wars Storyboards par Huginn & Muninn, Star Wars Chronicles, Le cinéma de George Lucas (La Martinière), Effets Spéciaux : 2 siècles d'histoires (Bragelonne), The Art of Empire Strikes Back, ainsi que les revues SFX, Cinefex, Star Wars Insider et Lucasfilm Magazine (auquel le rédacteur en chef vient de consacrer un livre : Les années Lucasfilm Magazine (Hors collection).