Par Pascal Pinteau

Les Premiers Hommes dans la Lune ( First Men in the Moon) USA 1964 Réalisation: Nathan Juran. Scénario : Nigel Kneale et Jan Read d’après le roman de H.G. Wells. Production : Charles H. Schneer. Effets visuels : Ray Harryhausen. Musique : Laurie Johnson. Avec : Edward Judd, Martha Hyer, Lionel Jeffries. Cinemascope Couleurs. Distribution : Columbia. Durée : 1h43. L’histoire : Dans les années 60, un module américain se pose sur la lune. Les astronautes y font une étrange découverte : un vieux drapeau britannique lesté de cailloux, auquel est joint une lettre signée par trois anglais proclamant que cet astre a été conquis au nom de la Reine Victoria ! Sur terre, des enquêteurs retrouvent le dernier des signataires encore en vie, Arnold Bedford. Il leur narre son histoire et le récit reprend en 1899…Le jeune Bedford et sa fiancée Katherine Callender rencontrent Joseph Cavor, créateur de la « cavorite » pâte adhésive qui permet de défier la gravité. Cavor a fabriqué une sphère de métal aux parois remplies de cavorite, et attend l’alignement planétaire propice pour se rendre sur la lune. Il persuade Bedford de l’accompagner dans cette aventure. Katherine se joint à eux juste avant le décollage. La sphère atteint sa destination et les explorateurs découvrent les sélénites, des créatures insectoïdes réfugiées sous la surface lunaire, et capables d’y créer une atmosphère respirable. Cavor est fasciné par leur technologie et échange des informations. Mais la curiosité des sélénites cache de sombres intentions…

Une lecture de jeunesse

C’est pendant son adolescence que Ray découvre Les premiers hommes dans la Lune écrit par H.G. Wells en 1901. Trente ans plus tard, son enthousiasme pour ces aventures humoristiques n’a pas faibli. Il tente de convaincre Charles Schneer de l’intérêt du projet, mais ce dernier estime que les péripéties du roman ne sont pas assez variées pour porter un long métrage, et que le public qui a suivi la vraie conquête spatiale les trouvera peu crédibles. Schneer mentionne cependant l’idée de Ray au scénariste Nigel Kneale, auteur de la série de SF QUATERMASS, grand succès de la BBC. Kneale suggère d’ajouter un prologue situé dans le présent pour raconter ensuite cette aventure rétro en flashback. L’étape suivante consiste à contacter Frank Wells, le fils de l’écrivain. Il se trouve que Wells connaît et apprécie les films de Schneer & Harryhausen : il est ravi de leur céder les droits d’adaptation du roman. Ne reste plus qu’a convaincre la Columbia, qui a les mêmes réserves initiales que Schneer. Après un temps de flottement, le studio décide de faire confiance au duo dont les créations ont été largement profitables, et valide le développement du script. Kneale se met au travail et ajoute son introduction avec les astronautes américains découvrant un vieux drapeau britannique sur la lune. Il intègre aussi un autre élément: le professeur Cavor est grippé lorsqu’il se lance dans ce voyage. C’est la raison pour laquelle les sélénites ne se sont plus jamais manifestés : ils été décimés par les germes du savant. Mais ce premier traitement de Kneale est difficile à transposer : l’une des créatures herbivores élevées par les sélénites et appelée mooncalf (littéralement « veau lunaire ») dans le roman, est devenue une bête de 60 mètres de haut, constitué de gelée translucide ! La description des sélénites est aussi étrange, puisque leurs corps sont creux, avec une cage thoracique ouverte, et un organisme contenu dans une enveloppe de chair qui ressemble à un manteau porté sur les épaules ! Et les architectures labyrinthiques de cette civilisation évoquent les structures d’une termitière géante. Schneer demande à Jan Read de collaborer avec Kneale sur une adaptation qui pourra être produite avec les moyens disponibles, et Ray dessine les illustrations qui vont concrétiser le projet. La réalisation du film est confiée à Nathan Juran, dont Ray et Schneer connaissent le sens de l’humour et la maîtrise des scènes d’action.

L’épreuve du Cinémascope

La production est validée, mais la Columbia exige que le film soit tourné en Cinémascope. Pour Ray, c’est une catastrophe, un casse-tête bien plus complexe que la préparation des trucages en couleur du 7EME VOYAGE DE SINBAD. Malgré l’aide des experts de Panavision, il constate que la rétroprojection d’images en cinémascope ne fonctionne pas, car la luminosité baisse beaucoup trop sur la gauche et la droite de l’image. Seul le tiers central conserve un aspect normal. Ray doit donc abandonner la Dynamation pour ce film, et réorganiser tous les trucages en animant les créatures dans des décors miniatures. Et comme un ennui ne vient jamais seul, le système d’incrustation sur écran jaune ne marche pas non plus avec les objectifs anamorphiques cinémascope. Les acteurs devront donc être filmés sur des fonds bleus puis intégrés aux environnements miniatures grâce à des travelling mattes. Ray doit abandonner plusieurs séquences, comme celle où des savants sélénites sont « stockés en hibernation ». Une machine géante devait les saisir puis les insérer dans des capsules hexagonales. Ray ne peut sauver que trois scènes : la rencontre entre Cavor et les savants sélénites, la chenille géante (ex « veau lunaire ») qui poursuit Bedford, et le grand Sélénite recevant le professeur. En raison de ces complications, les ouvriers sélénites sont joués par des enfants portant des costumes en latex dont Ray supervise la fabrication, même s’il déteste utiliser cette méthode. Il demande à Nathan Juran de les laisser dans l’ombre pour les rendre acceptables. En juin 1963, Frederick Harryhausen commence à préparer l’armature complexe de la chenille géante, et celles du grand chef et de plusieurs sélénites. Ce sera hélas son ultime collaboration avec son fils, car il décédera peu après…

Le maquettiste de la Hammer

Ray a besoin d’aide pour filmer les nombreux décors miniatures du film. Il fait appel à Les Bowie, l’expert en trucages de la Hammer, qui travaille dans son propre studio de Slough. Ray y tourne les animations des créatures. Tout est réalisé en vingt semaines. L’équipe de Bowie construit de beaux décors et deux maquettes de la capsule spatiale des héros. Un grand modèle de 60cm de diamètre sert à filmer la trajectoire de la sphère vers la Lune, tandis qu’une petite version de 22cm de diamètre équipée d’amortisseurs à ressorts est jetée par Ray dans le décor miniature de surface lunaire, et filmée à 96 images/seconde. Les Bowie a dispersé une poudre très fine sur la maquette, afin que l’alunissage de la capsule soulève des nuages de poussière. La capsule à taille réelle, elle, se pose dans un grand décor de surface lunaire érigé à Shepperton. Bernard Hermann ayant augmenté ses tarifs après JASON ET LES ARGONAUTES, Morningside n’a plus les moyens de faire appel à lui. C’est donc son ami Laurie Johnson qui le remplace, et s’acquitte honorablement de sa tâche, après être venu dans le studio de Slough et avoir demandé à Ray de lui raconter les scènes du futur film. Malgré de bonnes critiques qui soulignent l’originalité de cette comédie spatiale et la qualité de ses trucages, les résultats au boxoffice sont décevants. Quoi que charmant et fidèle à H.G. Wells, le film est trop bavard et manque d’action. Ray va se rattraper en revenant à ses créatures de prédilection : les dinosaures.

La suite de notre saga Ray Harryhausen apparaîtra bientôt sur ESI.

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