Les effets visuels de Hellboy 2 : Quand Double Negative fait un travail…d’enfer
Article Cinéma du Lundi 17 Novembre 2008

Par Pascal Pinteau

Dans le second volet de la saga Hellboy, Guillermo Del Toro entraîne les spectateurs à la découverte d’un univers étonnant, d’une richesse visuelle qui surpasse celle du premier épisode. Après qu’un très ancien pacte de paix entre les humains et les créatures surnaturelles ait été brisé, l’enfer est sur le point d’envahir le monde. Le prince Nuada (Luke Gross), souverain impitoyable, veut réunir les trois parties de la couronne royale qui lui permettra de lever la mythique armée d’or et de s’en servir pour exterminer les hommes. Seuls Hellboy (Ron Perlman) et ses amis du bureau des recherches et défenses paranormales sont en mesure de l’arrêter. La compagnie anglaise Double Negative a pris en charge 1050 plans d’effets visuels du film, ce qui constitue son implication la plus importante sur un long métrage à ce jour. L’équipe de Dneg chargée des effets de Hellboy 2 était dirigée par le producteur des effets visuels Steve Garrad, les superviseurs des effets numériques Adrian De Wet, Andrew Chapman et Justin Martin et le superviseur de l’animation Eamonn Butler. La tâche qui les attendait était impressionnante, puisqu’ils devaient créer 16 personnages en images de synthèse ( 7 doublures numériques de personnages réels et 9 personnages 3D), plusieurs environnements virtuels très élaborés, ainsi que des effets de flammes, de vapeur, d’eau, de poussière et de débris ajoutés à de nombreuses scènes. Le fruit de leurs efforts a réjoui Guillermo Del Toro, qui a déclaré à l’issue de la la post-production : « Double Negative a dépassé toutes mes espérances et a livré un travail exceptionnel, en termes de qualité, de créativité et d’attention apportée aux détails. Ils resteront toujours au sommet de ma liste de collaborateurs préférés ! ».



Quand les fées montrent les dents

L’un des groupes de créatures sur lesquelles Double Negative a le plus travaillé est celui des « fées des dents ». (NDLR : Tooth fairy, en anglais, est l’équivalent de « la petite souris » qui vient chercher les dents de lait que les enfants cachent sous leurs oreillers, pour y retrouver une pièce le lendemain matin.) Ces petites silhouettes insectoïdes à l’apparence faussement fragile et aux ailes translucides sont en fait de véritables « piranhas » volants, avides de calcium ! Elles se précipitent d’abord sur les dents de leurs proies, puis dévorent leurs corps pour se régaler de leur squelette ! Dans une des scènes d’ouverture du film, Hellboy et son équipe pénètrent à l’intérieur d’une salle des enchères dont le personnel et les clients ont été dévorés par les redoutables bestioles. C’est en utilisant le logiciel dnSwarm, propriété de Double Negative, que les equipes des effets visuels ont chorégraphié les évolutions de milliers de créatures dans chaque plan, alors qu’elles surgissent des fissures dans les murs pour recouvrir les parois, planchers et plafonds de l’immeuble, puis se jettent sur les acteurs pour les attaquer. Chaque petit monstre était capable de se déplacer grâce à 17 cycles différents d’animation de vol et 9 cycles de marche. D’autres cycles ont été conçus pour les phases d’envol, d’atterrissage, de nourriture, ou d’errance sans but précis. Les « fées des dents » apparaissent dans de nombreux plans serrés, où on les voit se déplacer devant les acteurs, ou interagir très précisément avec eux. Une de ces créatures joue un rôle important dans une autre scène, qui se déroule un peu plus tard, dans une salle d’autopsie. Le personnage du Docteur Johann Krauss, devenu un ectoplasme enfermé dans un scaphandre, utilise ses pouvoirs pour ressusciter brièvement une « Fée des dents » morte afin d’en extraire quelques informations. Le talent des animateurs de Double Negative s’exprime tout particulièrement dans cette séquence. Le cadavre partiellement brûlé s’anime et reprend vie, et reconnaît alors Hellboy, qui l’a fait passer de vie à trépas de manière flamboyante. Eructant de rage, la créature n’arrive plus à se contrôler. C’est le moment que choisit le Dr Krauss pour sortir de ce corps. On voit alors la créature mourir à nouveau, chanceler, tousser, puis s’écrouler sur le plateau où on l’avait posée.

Un talent incendiaire

La séquence de la salle des enchères permet aussi de voir plusieurs utilisations du logiciel de simulation de flammes de Dneg, particulièrement vers la fin de la scène, lorsque Liz déchaîne une véritable tornade de feu autour d’elle. En plus des flammes qui entourent l’actrice Selma Blair, on peut voir des milliers de « Fées des dents » se transformer en petites torches volantes au contact de l’incendie. Des effets pyrotechniques réels, filmés à part, ont été ajoutés lors du compositing dans la scène, ainsi que des créatures semi-calcinées ou complètement brûlées.

Elémentaire, mon cher Hellboy

L’un des autres défis relevés par Double Negative est la création d’un monstre colossal d’origine végétale, qui naît sous la forme d’une cosse et se développe rapidement après avoir été jeté dans les égouts, sous les rues de New York. Lorsqu’il réapparait en défonçant la chaussée, le titan vert élémentaire déploie ses membres en forme d’énorme lianes-tentacules et culmine à 27 mètres de hauteur. Son corps recouvert de feuilles dégouline d’eau, tandis qu’il sème la panique et la destruction dans les rues, écrasant les véhicules sur son passage et défonçant les façades des immeubles. L’équipe de Dneg a utilisé des images d’archives de routes bombardées en Irak en guise de références de distorsions de chaussée, afin de juger des effets de poussière, de fumée et de projections de débris qu’il conviendrait d’ajouter dans les scènes de destruction. Des modèles 3D de voitures ont également été créés pour cette scène, car la créature élémentaire s’en saisit en les broyant, et les projette au loin, à l’autre bout de la rue, tandis qu’elle se contente d’en écraser d’autres en se déplaçant lourdement. Les différents modèles d’automobiles 3D mis au point devaient donc pouvoir s’aplatir et prendre l’aspect de carcasses aux tôles froissées et tordues. Au cours du combat, le monstre est blessé par plusieurs projectiles et la séquence s’achève par une scène complexe au cours de laquelle des racines émergent de la créature et se répandent sur la façade et dans la structure d’un immeuble. Ce moment du film a été inspiré par un classique de la BD et de l’animation japonaise, le célèbre Akira de Katsuhiro Otomo, où le corps d’un mutant se développe de manière tentaculaire. Double Negative a employé la technologie de simulation des fluides pour créer le sang visqueux de la créature, sang qui provoque l’apparition de mousse végétale sur toute surface sur laquelle il se répand. De cette mousse surgissent ensuite des fougères et des fleurs. Lorsque le géant meurt, sa tête se transforme en une sorte d’orchidée, qui libère des nuages de pollen dans l’air. L’équipe des effets visuels de Dneg a réalisé tous les plans qui décrivent le développement des plantes, y compris la fleur élémentaire principale, du concept artistique initial présenté au réalisateur jusqu’au composite final.

Des environnements prolongés en 3D

La séquence de la créature élémentaire nécessitait aussi que les décors réels soient prolongés par des perspectives virtuelles. C’est en utilisant le logiciel « maison » de projection de perspectives que l’équipe a conçu un décor virtuel complet, qui comprenait le célèbre pont de Brooklyn, la ligne d’horizon des gratte-ciels de Manhattan, les toitures des immeubles au milieu et à l’avant-plan du site, ainsi qu’un ciel nocturne nuageux, illuminé par l’éclairage de la ville. Ce décor virtuel a été complété par de nombreux effets dit « atmosphériques » : vapeur, fumée, feu, gerbes d’eau, etc. Certains de ces éléments étaient issus de prises de vues réelles, tandis que d’autres provenaient du stock d’éléments de Double Negative ou étaient créés en 3D. Pour ajouter du réalisme à la situation de la séquence, plusieurs hélicoptères de surveillance réalisés en 3D ont été ajoutés dans le ciel, ainsi que les faisceaux lumineux de leurs projecteurs, qui devaient raccorder avec les véritables effets de spots des projecteurs Xenon utilisés pendant le tournage. En plus de tout cela, des effets numériques plus traditionnels de destruction et d’explosions de voitures ont été ajoutés en plusieurs couches dans les prises de vues réelles, à côté des figurants jouant les passants new-yorkais. Certains des figurants avaient été filmés sur fond vert, et il restait à les inclure dans l’image en raccordant avec les mouvements de caméra du plan principal. Dneg a également remplacé le petit mannequin de bébé que tenait Ron Perlman/Hellboy par un double numérique animé, sans oublier la queue rouge de notre héros, et son énorme main de pierre, qui n’avaient pas été fixés sur le comédien pour faciliter le tournage de certains plans d’action (course, saut, etc.). En raison de la complexité de ces scènes, les spécialistes de Dneg étaient présents pendant tout le tournage, à la fois pour servir de consultants techniques à l’équipe principale, pour tourner et photographier des éléments destinés aux effets visuels sur place, et pour veiller a ce que le tournage des scènes de foule se déroule parfaitement bien. Il leur a fallu diriger 200 figurants, et les filmer grâce à trois caméras montées cote à côte sur une platine spéciale, afin d’obtenir une image extra-large en trois parties. Ce point de vue inédit allait être ensuite combiné numériquement pour n’obtenir qu’une seule image composite.



Le géant de pierre

La séquence du géant de pierre débute par une prise de vue aérienne de la côte d’Antrim, située en Irlande du Nord, que survole un avion Antonov recréé en 3D. En réalité, les « côtes d’Antrim » ont été représentées en filmant des paysages hongrois, devant lesquels ont été ajoutées des falaises, un océan et un ciel entièrement virtuels ! L’équipe de Dneg a également créé le géant de pierre qui est la porte d’entrée de Bethmoora, et l’a incorporé dans les prises de vues réelles en ajoutant de nombreuses couches d’éléments ainsi que des effets de terre, de poussière et de morceaux de roches tombant sur le sol. Nos héros traversent le passage situé dans le ventre du colosse minéral, et accèdent ainsi à la cité abandonnée de Bethmoora. Pour représenter ce paysage souterrain, Dneg a créé une série de matte paintings numériques, qui ont été projetés en 3D en utilisant des mouvements de camera calés sur les prises de vues des acteurs filmés devant un fond vert.

La salle des légions d’or

Lors de la confrontation finale entre Hellboy et le prince Nuada, la mythique légion d’or, composée de 490 soldats robots indestructibles, s’anime et prend vie. C’est en travaillant à partir d’un dessin que Dneg a conçu un robot complet, équipé d’une machinerie interne, de rouages, et de mécanismes apparents chauffés au rouge. Des distorsions optiques provoquées par la chaleur et des effets de vapeur interactifs, asservis aux mouvements des soldats de métal, ont été ajoutés autour de ces extraordinaires personnages. Guidée par Guillermo Del Toro, l’équipe de Dneg a prévisualisé et animé toute la bataille entre Hellboy et les légions d’or. Une première séquence de prévisualisation a été réalisée très tôt pour permettre de tester l’échelle des personnages et la chorégraphie des combats. A ce moment-là, les soldats incandescents mesuraient près de 4 mètres. « Plus une créature est grande, plus son intégration dans une scène est un défi à relever » remarque le superviseur de l’animation Eamonn Butler. « Vous voulez souligner à la fois le poids et la masse énormes de ces personnages, tout en les rendant dynamiques et agiles, car il faut que les spectateurs les trouvent menaçants et effrayants. » Pour parvenir à intégrer les robots dans le décor, des ombres interactives et des reflets des mécanismes incandescents ont été ajoutés dans les prises de vues réelles. Quand les soldats sont endommagés au cours des combats, ils laissent échapper des giclées d’huile, également simulées en 3D. Alors que la bataille atteint son paroxysme, les légions d’or subissent des dégâts plus importants, perdant des éléments de mécanismes et des rouages qui finissent par joncher le sol. Mais ensuite, ces éléments se regroupent comme s’ils étaient animés par la nanotechnologie : ils se réparent et viennent se réintégrer eux-mêmes dans les machineries des robots. Un moment-clé de cette scène est la description du « paysage de rouages » au-dessus duquel la caméra se déplace, puis semble traverser le sol pour révéler le monde souterrain rougeoyant situé en dessous, qui abrite de gigantesques mécanismes chauffés à blanc et des machineries de fonderie de métal enveloppées de lueurs ambrées et de vapeurs infernales. Ce plan a été réalisé intégralement en 3D.

Dans le scaphandre du Dr Krauss

La silhouette éthérée de Johann Krauss, composée de fumée, a été elle aussi réalisée en simulation 3D. Quand le personnage quitte son scaphandre pour prendre possession d’un robot des légions d’or, on peut voir s’animer la « vapeur intelligente » mise au point par les équipes de Dneg. La fumée serpente sur le sol et s’insère dans les mécanismes du robot pour en prendre le contrôle. La machinerie interne du soldat ainsi parasité émet alors une lueur bleue qui permet de le différencier visuellement du reste de la troupe. Après la bataille, Johann s’extirpe du robot et regagne son costume, qui est entièrement reconstitué en 3D dans ce plan. La doublure numérique de Johann est animée à la fois de manière traditionnelle (en animation de type « key frame »), et en utilisant des éléments de simulation de déplacement d’étoffe, afin de donner l’impression que le scaphandre se « regonfle » progressivement lorsque son propriétaire reprend place à l’intérieur. Le décor de la salle des légions d’or a été créé en utilisant un mélange de prises de vues filmées devant un fond vert et des éléments architecturaux réalisés en 3D. Quand la caméra recule pour révéler les légions d’or en train de s’éveiller, l’environnement est créé avec des projections 3D de mattes numériques et des couches d’éléments atmosphériques simulant du brouillard et de la fumée.

Effets divers

Dneg a également participé à plusieurs autres séquences du film, et notamment à celle du marché des trolls. Dans cette scène, on découvre une étonnante ménagerie de créatures parmi lesquelles figurent bien entendu des trolls, mais aussi des elfes, des fées, des entités Lovercraftiennes et un double numérique de l’énorme Wink, l’âme damnée du Prince Nuada, qui fut d’abord créé par Spectral Motion sous la forme d’un costume animatronique. Ces créatures numériques ont donc été ajoutées dans les décors réels du marché des trolls, filmés en Hongrie. Par ailleurs, Dneg a également animé les doubles numériques de Wink et de Abe Sapiens au cours de leur combat, ainsi que les créatures rapidement aperçues dans la scène du « couloir des phénomènes » à l’intérieur des locaux du bureau de recherches et défenses paranormales. Double Negative a obtenu l’intégralité du contrat des effets visuels de Hellboy 2, les legions d’or maudites, et d’emblée, il a été décidé qu’en raison du tournage du film en Hongrie, certaines parties du travail et certaines tâches seraient réalisées par le partenaire et sous-traitant de Dneg, la société hongroise Cube. Cette organisation a permis de tirer le meilleur parti d’un budget extrêmement serré pour répondre aux grandes exigences visuelles du projet tout en atteignant le haut niveau de qualité demandé par le réalisateur.

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