ILMxLAB : En quête de nouvelles réalités
Article Jeux Vidéo du Lundi 26 Fevrier 2018

À l’occasion de la récente inauguration des installations Secrets of The Empire aux États-Unis et à Londres, nous vous proposons de revenir sur les avancées technologiques auxquelles a participé Lucasfilm, ainsi que sur les expérimentations que mène désormais ILMxLab. Le lointain avenir de la saga sera virtuel, ou ne sera pas.

Pierre-Eric Salard

Après plusieurs décennies de fantasmes, la réalité virtuelle est sur le point de s’installer dans les foyers. Le marché ne décollera certes pas avant plusieurs années, mais il s’agit avant tout, pour de nombreuses sociétés, de ne pas rater le départ. Ces entrepreneurs se sont ainsi lancés dans une véritable course technologique, à grand renfort de «recherche & développement». Car il est avant tout nécessaire de défricher le terrain, tout en inventant une nouvelle grammaire. Lucasfilm, par l’intermédiaire de sa nouvelle division (elle-même issue du célèbre studio d’effets visuels Industrial Light & Magic – ILM), s’est placé aux avant-postes de cette révolution. L’objectif est ambitieux : ILMxLAB prépare discrètement l’avenir de la franchise Star Wars.



Un territoire à explorer

En réalité, les travaux d’ILMxLAB – abréviation d’Industrial Light & Magic Experience Lab — ne se limitent pas à la réalité virtuelle. Ce studio explore de nombreuses pistes, en espérant que certaines recherches aboutiront à de nouveaux moyens de raconter des histoires. Dans l’absolu, ces expériences ont deux points communs : l’affichage d’images animées et l’interactivité. Bien entendu, la plus lucrative des licences appartenant à Lucasfilm, Star Wars, fait office de terrain idéal pour lesdites expérimentations. Doté des moyens financiers considérables de Lucasfilm, ILMxLAB a d’ores et déjà dévoilé quelques essais en réalité virtuelle (une simulation informatique interactive et immersive, que l’on explore à l’aide d’un casque doté de technologies de pointe), en réalité augmentée (la superposition d’une image ou d’une animation 3D sur notre perception de la réalité, à l’aide d’un casque, de lunettes ou d’un smartphone), ou encore en cinéma interactif (la possibilité d’interagir au sein d’un film, sur un écran). Sans oublier d’ambitieux projets d’attractions à destination des parcs Disneyland (Californie) et Disneyworld (Floride). Il serait cependant incorrect de croire que les expériences menées par ILMxLAB représentent un processus inédit pour Lucasfilm. Certes, le rachat de la société par The Walt Disney Company, en 2012, n’y est probablement pas étranger. Et le succès rencontré par Le Réveil de la Force n’a pu qu’inciter les dirigeants de Lucasfilm et Disney à investir dans l’avenir du divertissement et de la franchise Star Wars. Mais il faut remonter dans le passé pour comprendre que Lucasfilm a toujours été, d’une manière ou d’une autre, en avance sur son temps. « «Depuis plus de 40 ans, les gens qui travaillent ici se sont acharnés à réaliser l’impossible», déclare Kathleen Kenny, présidente de Lucasfilm, à l’occasion de la création d’ILMxLab en 2015. «Raconter des histoires de manière créative, c’était ce que George Lucas a inculqué dans chacune de nos compagnies, dès leurs premiers jours». Ce n’est effectivement guère la première fois que Lucasfilm est à la pointe en matière de recherche et développement.

Il y a longtemps

Cette société de production fut fondée en 1971, peu après la sortie de THX 1138, le premier long-métrage de George Lucas (alors âgé de 27 ans). Deux ans plus tard, elle produit American Graffiti, écrit et réalisé par le cinéaste. Cette comédie dramatique douce-amère rencontre son public, ce qui permet au jeune Lucas de choisir sur projet suivant. Ce sera d’abord Apocalypse Now, puis un space opera s’inspirant des serials Flash Gordon des années 1930. Ce projet, qu’il développe depuis l’aube des années 1970, obtient finalement ses faveurs. Pour concrétiser sa vision, il forme en 1975 un studio d’effets visuels, Industrial Light & Magic (ILM), qui va réussir à mettre au point des trucages révolutionnaires pour l’époque. Grâce au succès-surprise d’Un Nouvel espoir (ou « la guerre des étoiles » à l’époque), en 1977, et une clause du contrat signé par les studios Fox et Lucas, le cinéaste obtient l’intégralité des bénéfices issus de la gestion de cette nouvelle licence et de la vente des produits dérivés. Devenu riche, George Lucas peut s’atteler à la suite de son «western spatial»… et investir dans les champs de recherche qui le passionnent. Non sans espérer en récolter des bénéfices, dans un avenir plus ou moins lointain. En 1979, il recrute Edwin Catmull, un jeune chercheur du New York Institute of Technology, pour mettre en place un département consacré à la R et D : The Lucasfilm Computer Division. Grâce à un budget colossal, les chercheurs vont mettre au point d’importantes avancées technologiques. L’un de ces laboratoires, The Graphics Group, va œuvrer sur le processus de rendu des images de synthèse, ou sur les effets de particules. Ces recherches permettent ainsi de créer l’effet Genesis – la terraformation quasiment instantanée d’une planète – de Star Trek 2 : La colère de Khan, en 1982. Ou de construire un ordinateur particulièrement puissant, le Pixar Image Computer, destiné à la conception graphique.



En 1982, The Games Group précède la création de Lucasfilm Games (LucasArts à partir de l’aube des années 1990), un studio qui développera notamment Habitat (1986). Il s’agit du premier univers virtuel communautaire, précurseur des jeux de rôle massivement multijoueur, à utiliser une interface graphique (et non textuelle) ; ce jeu introduit également le concept d’avatar virtuel du joueur. En 1983, George Lucas finance la création de THX, dont l’objectif est de s’assurer que les conditions d’exploitation des films respectent le mixage audio réalisé en postproduction. Au fil du temps, THX deviendra un label de qualité. Afin d’apporter plus de souplesse au processus de postproduction d’un film, la division The Droid Works met au point une installation de montage virtuel, EditDroid, qui utilise le format Laserdisc. Ce département sera ultérieurement racheté par Avid, qui deviendra l’un des mastodontes du secteur du montage numérique. Si LucasArts reste dans le giron de Lucasfilm jusqu’en 2013, The Graphics Group est racheté dès 1986 par Steve Jobs pour devenir Pixar. Au milieu des années 1980, suite à son divorce et à la baisse des revenus issus de la licence Star Wars, George Lucas ne dispose plus des moyens financiers pour supporter les recherches de Lucasfilm. ILM les poursuivra toutefois en matière d’infographie. Ce qui leur permet d’obtenir l’Oscar des effets visuels pour les trucages numériques d’Abyss (1989), Terminator 2 (1991) ou Jurassic Park (1993). Au début des années 1990, George Lucas fait appel à toutes les technologies qu’il a précédemment aidé à démocratiser pour produire, à bas coûts, la série des «Aventures de jeune Indiana Jones». Enfin, pour sa prélogie, George Lucas impose les caméras numériques. «L’esprit de pionnier qui a inspiré les artistes à improviser, innover et imaginer une galaxie lointaine se retrouve dans l’ADN d’ILMxLAB, déclare Rob Bredow, actuel directeur technique de Lucasfilm. «Nous voyons xLAB comme un laboratoire pour les divertissements immersifs. C’est incroyable de pouvoir travailler sur un nouveau média : nous pouvons aider à réinventer la manière dont les histoires sont racontées et vécues». Sous l’ère Disney, ILMxLab est donc l’héritier d’une longue tradition.

Le temps des expérimentations

Les technologies de réalités virtuelle, augmentée et mixte sont au croisement entre les techniques de narration du cinéma et des jeux vidéo. «Bientôt, nous franchirons le quatrième mur : le cinéma deviendra un portail menant à de nouvelles plateformes d’expression immersives», déclare le directeur créatif d’ILMxLab de 2015 à 2017, John Gaeta, autrefois superviseur des effets visuels de la trilogie Matrix (et qui a depuis rejoint la société de réalité mixte Magic Leap). «Le défi d’ILMxLAB consiste à découvrir à quoi ressemblera la narration dans ce nouvel espace», ajoute Kathleen Kennedy. Il s’agit donc d’un terrain de jeu dont les créatifs, les auteurs et les cinéastes d’un nouveau genre ont tout juste entamé l’exploration. Attendues depuis vingt ans par les plus technophiles, les interfaces ne sont certes pas encore arrivées à maturité. D’ici la prochaine décennie, les casques – ou lunettes ? – seront sans doute perfectionnés, offrant un rendu photoréaliste, des sensations non nauséeuses, un poids acceptable et des prix abordables pour le grand public. Surtout, toute une nouvelle grammaire de narration est en cours de création dans les laboratoires et autres start-ups. ILMxLab en fait partie. Or cette entité dispose également des fonds de la maison-mère, et de l’enthousiasme de Kathleen Kennedy, qui envisage déjà des expériences immersives Star Wars inédites pour les années 2020. Pour la productrice, l’avenir de la saga se joue également dans la possibilité d’explorer, de visiter et d’avoir un impact dans cet univers-monde. En 2014, Lucasfilm recrute Rob Bredow, un ancien superviseur des effets visuels (Men in Black 3, Tempête de boulettes géantes), pour superviser son nouveau département, Advanced Development Group. «ILMxLAB travaille à partir des technologies développées par Advanced Development, un groupe de talentueux ingénieurs et artistes œuvrant ensemble pour créer les outils nécessaires à la réalisation de nos expériences immersives». Dès l’année suivante, ILMXLab entame le défrichage de ce territoire quasiment vierge. Ce laboratoire de R et D est un projet commun de Lucasfilm, Skywalker Sound et Industrial Light & Magic. Chaque société apporte ainsi son expérience, sa spécialisation. Ainsi les infographistes d’ILM peuvent produire les éléments visuels d’un projet, dont le montage sonore serait conçu par Skywalker Sound, et l’histoire issue du Story Group de Lucasfilm. Selon Rob Bredow, qui est depuis devenu le directeur technologique de Lucasfilm, ces nouvelles technologies ne représentent qu’un moyen comme un autre de relater des récits engageants. «Il s’agit vraiment de créer des histoires émotionnellement engageantes». Et de générer les technologies qui permettront d’atteindre cet objectif. «Nous nous intéressons vraiment à toutes les formes de divertissement immersif : la réalité virtuelle comme la réalité augmentée. Il existe toutes sortes de nouvelles inventions dans ce secteur, en ce moment, ce qui représente des opportunités pour raconter des histoires qui ne peuvent être vécues que de cette manière».



Un éventail d’opportunités narratives

Selon Rob Bredow, la réalité virtuelle et le divertissement expérimental s’inscrivent dans leur propre catégorie. Ils doivent donc être abordés d’une nouvelle manière. Toute une grammaire reste à inventer. L’un des prototypes mis au point par l’équipe d’ILMxLab reprenait encore certaines caractéristiques de la narration cinématographique, en y ajoutant une couche d’interactivité. Une tablette numérique iPad, dans laquelle est installée une application développée par l’Advanced Development Group de Lucasfilm, y fait office de fenêtre ouvrant sur un monde virtuel. Ce logiciel, baptisé V-Scout, permet d’explorer un village intégralement réalisé en images de synthèse. Il est ainsi possible de regarder au-delà des angles et prises de vues sélectionnés par un réalisateur. Un court-métrage linéaire présente une mission de stormtroopers, à la recherche de C-3PO et R2-D2, dans un village éclairé par les deux soleils de Tatooine. Après être revenu au début de la vidéo, le «joueur» peut finalement décider de suivre les droïdes, cachés dans un bâtiment. Ou le chasseur de primes Boba Fett, qui marche non loin de là. Il devient ainsi possible de découvrir les différents parcours qui mènent à un même événement, mais aussi de modifier la météo ou de faire tomber la nuit à la volée ! Seule l’histoire ne change pas. Un casque de réalité virtuelle permet également de s’immerger dans la scène. «Est-ce que cela se rapproche plus d’un film ou d’un jeu vidéo», questionne Rob Bredow. «Ce sont deux médias que nous connaissons bien. Mais il y a probablement des enseignements à tirer de ces deux formes de divertissement». Une autre expérimentation du laboratoire ILMxLab repose sur la réalité augmentée : CAVE. Il suffit de porter des lunettes spécifiques pour voir BB-8 circuler à ses pieds, pendant que C-3PO engage une conversation. Ce test a été rapidement recyclé en une application concrète, puisque le réalisateur Gareth Edwards a pu prévisualiser certains décors de Rogue One – et les modifier à la volée – à l’aide d’un système similaire. Une sorte de «Holo-cinéma», comme l’appelle Rob Bredow.



Si les consommateurs ne sont généralement pas encore convaincus par les futures applications de ces technologies, les cinéastes, eux, ont déjà sauté le pas. Et James Cameron, pour les besoins de la production d’Avatar, reste un précurseur. En 2015, ILMxLab se concentre sur la création de prototypes, utilisant diverses technologies et interfaces, dont les « expériences » — à défaut d’inventer un autre terme – ne durent qu’une dizaine de minutes, au mieux. Mais l’objectif, à long terme, reste de proposer un divertissement dont la durée n’aurait rien à envier à un long-métrage. D’ici là, il est nécessaire que les casques de réalité virtuelle deviennent assez confortables pour permettre des immersions, ou des sessions, plus longues. Depuis lors, ILMxLab cherche à inventer, comme tant d’autres studios, des aventures dont la longueur et le contenu narratif épouseraient les limites actuelles de la technologie. «Nous n’avons pas encore trouvé le bon langage», déclarait Rob Bredow en 2016. «Nous n’avons pas résolu toutes les choses que nous devons résoudre. Nous ne pouvons pas encore dire : “Nous allons proposer une expérience de deux heures”. Mais peut-être que nous y arriverons». Ces rapides progrès technologiques résultent de la puissance exponentielle des ordinateurs, qui permettent dorénavant de projeter en temps réel des images de synthèse quasiment photoréalistes, comme dans un jeu vidéo (alors que les films affichent des images de synthèse précalculées). «Cela ouvre un éventail d’opportunités en terme de narration», souligne Rob Bredow. Fin 2015, ILMxLab propose ainsi ses premières applications destinées au grand public…



La suite de ce dossier sera publiée prochainement dans cette réalité !

Sources : ILMxLAb/Starwars.com/Deadline.com/VRfocus.Com/The Hollywood Reporter/RoadtoVR.com/Popular Mechanics/FXGuide.com/Wired/GDconf.com/Kotaku.com/GameInformer.com/Polygon.com/Bloomberg/Wall Street Journal/Gamasutra/com/RollingStone.com/TheVerge.com/Slashfilm.com/Comingsoon.net/Forbes/Variety/The Void Bookmark and Share


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