La bourse des super-héros : La petite histoire des droits des personnages Marvel
Article Cinéma du Vendredi 18 Mai 2018

Il fut un temps où les studios Marvel n’accumulaient pas les succès au box-office. Où les superhéros issus de la «Maison des idées» ne s’illustraient que bien trop sporadiquement sur le grand écran. Lorsque les films X-Men et Spider-Man initièrent la mode du film de superhéros, à l’entame du millénaire, la plupart des personnages Marvel, éparpillés entre les mains de plusieurs studios hollywoodiens, n’interagissaient pas entre eux. Originaires d’une même maison d’édition de comics, ces superhéros s’épanouissaient dans autant de réalités parallèles. Et ce n’est qu’en 2008 que les Marvel Studios plantèrent les premières graines de ce qui deviendra l’univers cinématographique Marvel, ou MCU. Retour sur le parcours de ces icônes…

Par Pierre-Eric Salard



Précisons d’emblée que cet article est consacré aux seuls droits d’adaptation cinématographique (et, parfois, télévisuel) des personnages Marvel. Nous n’aborderons pas les droits liés au merchandising, aux jouets, aux parcs d’attractions ou aux jeux vidéo, car une entreprise s’étant procuré les uns ne dispose pas forcément des autres. Or les superhéros furent longtemps boudés par Hollywood. Certes, quelques têtes d’affiche bénéficièrent de leurs heures de gloire. Dans les années 1970, les aventures de Spider-Man, Wonder Woman et Hulk furent transposées sur le petit écran. Du côté de l’éternel concurrent DC Comics, Superman et Batman enthousiasmèrent les spectateurs, respectivement en 1978 et 1989 (engendrant chacun trois suites d’une qualité de plus en plus discutable). Pour Marvel, le parcours fut plus chaotique. En 1986, Howard the Duck, une co-production Universal Pictures et Lucasfilm, fut vite oubliée. Les adaptations cinématographiques de The Punisher, en 1989, et Captain America, en 1990, furent réservées au marché vidéo pour le territoire américain. Les aficionados devront ainsi attendre le XXIe siècle pour assister aux premières véritables victoires de Marvel au cinéma, avec X-Men (2000), Spider-Man (2002) et, dans une moindre mesure, Blade (1998). Trois longs-métrages produits par autant de majors hollywoodiennes : 20th Century Fox, Sony/Columbia Pictures et New Line. Hulk (2003) et The Punisher (2004) seront quant à eux issus des studios Universal et Artisan Entertainment. Et si les longs-métrages consacrés à Daredevil (2003) et Ghost Rider (2007 et 2012) ont été créés sous l’égide de la Fox, ils ne font pas partie intégrante de l’univers des films X-Men, pourtant produits par le même studio. Dans ces conditions, les fans ne risquaient pas d’assister aux aventures communes, coutumières des comics ! Les studios Warner Bros, eux, possèdent l’intégralité du catalogue DC. Un avantage qu’ils ne feront pourtant fructifier qu’à partir de Man of Steel, en 2013, puis Batman v Superman, en 2016 (malgré, il est vrai, une première tentative d’univers cinématographique cohérent dans les années 2000). Une dissemblance qui s’explique par les difficultés rencontrées par Marvel Comics dans les années 1990…



De la faillite au firmament

Suite à une série de revers – dont, notamment, le départ de plusieurs artistes de renom, des acquisitions onéreuses, un reflux des ventes des comics et des pertes financières sèches —, le groupe Marvel déclare faillite en 1996. Ce n’est guère la première fois que cette société affronte d’importantes difficultés, et elle ne tarde pas à rebondir en fusionnant avec un fabricant de jouets, Toy Biz. À partir de 1998, Marvel Enterprises entame une ambitieuse réorganisation, dont fait partie Marvel Studios, une branche consacrée aux adaptations audiovisuelles. En réalité, cette filiale a vu le jour dès 1993, sous le nom de Marvel Films. La même année, elle signe un partenariat avec Twentieth Century Fox afin de développer un long-métrage X-Men. Auparavant, les droits d’adaptation de ces mutants avaient été accordés à Orion Pictures (RoboCop) puis Carolco (Total Recall), sans succès. En ce qui concerne le grand écran, tout l’univers des comics X-Men appartient donc désormais à la Fox. Le projet d’adaptation de Blade remonte, lui, au milieu des années 1990. Cet accord avec New Line Cinema sera le premier à fonctionner, puisque le film sort dès 1998. Sous la supervision d’Avi Arad, responsable de Marvel Films, et Jerry Calabrese, Président de Marvel Entertainment Group, la filiale entame de fructueuses collaborations avec les majors hollywoodiennes, qui porteront leurs fruits à l’entame de la décennie suivante. Même s’ils comptent se reposer sur l’expérience et les moyens financiers des studios pour transposer leurs (nombreuses) franchises sur le grand écran, les cadres des studios Marvel conservent un certain contrôle. L’objectif étant évidemment que les films soient suffisamment réussis pour asseoir la notoriété des licences (un but globalement atteint, à quelques exceptions près). En 1996, 20th Century Fox décide de poursuivre son association autour des X-Men pour sept ans. Le premier opus, réalisé par Bryan Singer, va ainsi obtenir le feu vert, tant attendu par des hordes de fans. En 1997, les deux sociétés discutent également des adaptations de Daredevil, Elektra et Les Quatre Fantastiques, alors que Marvel Studios et Saban Entertainment envisagent un long-métrage consacré à Namor. Ce dernier projet ne verra pas le jour, et Universal Pictures se procurera les droits du personnage en 2002 (et les conservera jusqu’en 2014).



Changement de programme

Certains contrats remontent déjà à plusieurs années. Ainsi les responsables d’Universal Pictures se sont-ils procuré en 1990 les droits de Hulk – le film, réalisé par Ang Lee, ne sortira qu’en 2008 – et d’Iron Man. Lesdits droits seront récupérés par la Fox en 1996, puis New Line Cinema en 1999. Cette année-là, Marvel octroie les droits d’adaptation de Spider-Man à Sony/Columbia Pictures, dont les dirigeants ne tarderont pas à recruter Sam Raimi. Le premier volet de la trilogie sort ainsi en 2002. Entre-temps, le succès rencontré par Blade et X-Men convainc les investisseurs du potentiel des superhéros. Les studios Marvel ne tardent donc pas à co-développer avec Artisan Entertainment un ambitieux programme ; Captain America, Deadpool ou encore Thor font partie des personnages sélectionnés. Mais cette association n’engendrera que le seul The Punisher, vite oublié, en 2004. Les deux premiers Spider-Man rapportent près de 65 millions de dollars à Marvel, dont les responsables décident de passer à la vitesse supérieure. À l’époque, les locaux des studios Marvel ne rassemblent qu’une douzaine de personnes : un certain Kevin Feige est alors chargé d’annoter les scripts pour les studios partenaires. À partir de 2003, David Maisel supervise la production des studios Marvel. Maintenant que les films réalisés par des Majors hollywoodiennes fonctionnent au box-office, il décide de s’inspirer du parcours de George Lucas, qui avait conservé les droits de Star Wars, et ainsi son indépendance. Et si les Marvel Studios produisaient leur propre série de longs-métrages, en court-circuitant leurs partenaires habituels ? Ils signent alors avec Lionsgate un contrat visant à développer des films d’animation destinés au marché de la vidéo. Si les studios Marvel se chargent de produire ces œuvres, Lionsgate finance majoritairement le projet. Cet essai étant couronné de succès, David Maisel peut entamer la seconde phase de son plan : l’autonomie financière.

Retours au bercail

En 2005, les Marvel Studios s’associent avec la banque d’investissement Merrill Lynch. Ils disposent désormais d’un budget de 525 millions de dollars, pour produire jusqu’à dix films en l’espace de huit ans. Si ce plan s’avérait être un échec, l’hypothétique dette serait financée par la revente des droits. Dix licences de Marvel Comics sont sélectionnées ; des superhéros dont Marvel dispose alors des droits d’adaptation : Ant-Man, Captain America, Cloak & Dagger, Doctor Strange, Hawkeye, Nick Fury, Shang-Chi ou encore The Avengers. Les studios Marvel signent ensuite avec Paramount Pictures pour la distribution des films. Le pari est risqué, mais les étoiles vont bientôt s’aligner au-dessus du berceau du jeune studio indépendant. Car en 2005, Marvel récupère les droits d’Iron Man auprès de New Line Cinema ! Quelques mois plus tard, Hulk retourne également dans le giron de la Maison des idées, car Universal Pictures a tardé à produire une suite à Hulk (2003). Artisan Entertainement abandonne la licence Black Panther, à l’instar de Sony pour Thor. Puis c’est au tour de Lionsgate de délaisser son projet d’adaptation de Black Widow/la Veuve noire, initié en 2004. Les droits retournent chez Marvel, qui annonce sa volonté de produire, à moyen terme, un film consacré à Thor. En 2007, alors que le tournage d’Iron Man commence devant les caméras de Jon Favreau, Kevin Feige devient le responsable de la production des Marvel Studios. Fan avéré des comics, ce dernier songe à transposer leur concept d’univers cohérent, où les personnages peuvent s’inviter dans les planches de leurs collègues. Et si Iron Man, Captain America et consorts pouvaient former les rangs des Avengers sur le grand écran ? Nick Fury et l’agent Phil Coulson feront ainsi le lien, dès Iron Man (2008), entre les différents films des studios Marvel, formant ainsi la colonne vertébrale de ce qui deviendra la première phase de l’univers cinématographique Marvel. En 2009, suite au succès d’Iron Man, Disney rachète Marvel pour 4 milliards de dollars (Marvel Studios deviendra d’ailleurs en 2015 une filiale à part entière de The Walt Disney Studios). La même année, suite aux difficultés de production vécues par le projet Spider-Man 4, Sony négocie un prolongement de son contrat en échange des droits télévisuels du personnage. Ce qui leur permettra de produire The Amazing Spider-Man en 2012. Or le triomphe réservé par les spectateurs au MCU, et à The Avengers (2012) en particulier, incite Marvel Studios à poursuivre sa politique de récupération des droits.



Retournement de situation

À commencer par ceux de The Punisher (qui apparaîtra en 2016 dans la seconde saison de la série «Daredevil», sur Netflix). Si la Fox insiste pour conserver la licence X-Men en multipliant les opus, le studio accepte – aucun nouveau film n’était entré en production – d’abandonner Daredevil et les personnages afférents (dont Elektra) à cette série de comics. En 2012, Marvel récupère également les droits de Blade auprès de New Line Cinema. L’année suivante, le studio obtient Ghost Rider, peu après la sortie du second opus produit par Sony, avec Nicolas Cage dans le rôle-titre. Sony délaisse également les droits de Luke Cage, dont aucun projet d’adaptation n’avait abouti. Tous ces personnages vont ainsi obtenir une seconde jeunesse… sur le petit écran ! En 2015, Daredevil obtient sa propre série, dans laquelle seront réintroduits Elektra et The Punisher au sein du MCU. Ghost Rider, lui, rendra visite aux «Agents of SHIELD». Et Luke Cage rencontrera Daredevil dès cet été, après l’exploitation d’une première saison en solo sur Netflix, l’année dernière. Sur le grand écran, les fans réclament un personnage emblématique des comics Avengers : Spider-Man. Suite à la renégociation du contrat, en 2009, Sony offrit deux nouvelles aventures à Peter Parker : The Amazing Spider-Man (2012 et 2014). Mais les spectateurs ne leur réservèrent pas le succès escompté. Contre toute attente, Sony décide donc de faire un pas vers Marvel, en 2015, en proposant de faire apparaître ce personnage au sein du MCU. Si Sony conserve le contrôle des droits et de la production de son film, Homecoming, Marvel Studios peut enfin utiliser Spider-Man. Ce qui sera fait dès 2016 dans Captain America : Civil War. Avant de retrouver les Avengers dans Infinity War en 2018 ! Ce qui n’empêchera pas Sony de développer son propre univers, à partir de l’année prochaine, autour de personnages issus des comics Spider-Man, dont Venom. L’année 2015 est également marquée par le retour des Avengers avec l’Ère d’Ultron. Suite dans laquelle figure Quicksilver/Vif-Argent, pourtant membre des X-Men dans les films Days of Future Past (2014) et Apocalypse (2016) produits par la Fox ! Il s’agit toutefois de deux versions différentes du personnage, les deux studios partageant les droits pour des contextes distincts. Ainsi la Fox est la seule entité à pouvoir utiliser le terme «mutant» et faire référence à l’identité du véritable père de Quicksilver. L’Ère d’Ultron, lui, met simplement en scène ce personnage sous son nom, Pietro Maximoff. Et si Ego (Kurt Russell) peut apparaître dans Les Gardiens de la Galaxie 2, c’est grâce à un accord avec la Fox concernant les pouvoirs d’un personnage de Deadpool ! Maintenant que Disney s’est lancé dans le processus de rachat des studios Fox, il est possible que le gang des X-Men finisse par croiser la route de leurs confrères, dans les années 2020. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Que les fans prennent leur mal en patience : les X-Men, Deadpool et les Quatre Fantastiques ne risquent pas de rejoindre le MCU avant bien longtemps… Bookmark and Share


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