CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES, rn reboot enchanté – 1ère partie : entretien exclusif avec le producteur Mark Gordon
Article Cinéma du Vendredi 07 Decembre 2018

Fidèles à leur tradition d’adaptation des contes les plus célèbres, les studios Disney transforment l’œuvre classique d’Hoffmann en une superproduction aux magnifiques décors.

En dépit de la vivacité de son esprit, l’écrivain allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) n’a pu imaginer le fabuleux destin de sa nouvelle « Casse-Noisette et le Roi des Souris ». De son vivant, Hoffmann ne remporte en effet qu’un succès modeste et gagne sa vie en tant que juriste. Ses activités d’auteur et de dessinateur lui causent même de sérieux ennuis avec ses supérieurs hiérarchiques qui n’apprécient pas son sens de l’ironie. Après sa disparition, ses œuvres sont diffusées en France par l’un de ses amis, et inspirent à Jacques Offenbach l’opéra fantastique LES CONTES D’HOFFMANN, créé en 1881. L’année suivante, Tchaïkovski compose son ballet CASSE-NOISETTE à partir de l’adaptation française du conte par Alexandre Dumas, mais c’est l’opéra d’Offenbach qui inspire la plus belle adaptation cinématographique des récits de l’auteur : THE TALES OF HOFFMANN (1951) conte musical anglais de Michael Powell et Emeric Pressburger. Parmi les curiosités peu connues figure le ballet filmé CASSE-NOISETTE (1986) réalisé en 10 jours par Caroll Ballard avec un budget minuscule mais avec la contribution de Maurice Sendak – (auteur du classique de la littérature enfantine « Max et les Maximonstres » ), au scénario et aux designs des décors et des costumes. En 2010, CASSE-NOISETTE : L’HISTOIRE JAMAIS CONTEE, co-production anglo-hongroise de 90 millions de dollars tournée en relief par Andrei Konchalovsky est un flop spectaculaire, ne rapportant que 16 maigres millions au boxoffice mondial.

La nouvelle approche de Disney

Dans leur nouvelle version de l’histoire, les Studios Disney ne gardent que quelques éléments du conte original : exit les enfants Fritz et Marie, les nombreux casse-noisettes animés, et le roi et la reine des souris. Ne restent que Drosselmeyer, inventeur et parrain de l’héroïne, désormais rebaptisée Clara, et elle aussi douée pour concevoir toutes sortes de machines. Dans ce reboot dont le traitement visuel semble inspiré par LE MAGICIEN D’OZ de 1939, Clara recherche une clé unique en son genre : celle qui ouvrira la boîte contenant le cadeau que sa mère lui a laissé avant de mourir. À la fête de fin d’année organisée par son parrain, Clara découvre un fil d’or qui la conduit jusqu’à cette précieuse clé qui disparaît presque aussitôt dans un monde mystérieux. C’est dans cet univers parallèle que Clara va faire la connaissance d’un soldat nommé Phillip, d’une armée de souris, et des souverains de trois Royaumes : celui des Flocons de neige, celui des Fleurs et celui des Friandises. Pour retrouver cette clé et restaurer l’harmonie du monde Clara et Phillip vont devoir affronter la tyrannique Mère Ginger qui vit dans le quatrième Royaume, le plus sinistre de tous…



Entretien avec Mark Gordon, producteur.

Les amateurs de Fantastique, d’action et de films catastrophe ont pu voir le nom de Mark Gordon figurer dans les génériques de SPEED, RELIC, PLUIE D’ENFER, IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN, VIRUS, LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES, LE JOUR D’APRES, 2012, et SOURCE CODE.

Comment ce projet a-t-il débuté et pourquoi avez-vous choisi Lasse Hallström pour le réaliser ?

J’avais produit deux de ses films auparavant, CASANOVA et LE FAUSSAIRE, et apprécié la qualité de ses mises en scène, et la manière dont Lasse souligne l’humanité des personnages et les aspects émouvants des sujets qu’il traite. J’étais certain qu’en s’emparant de CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES, il apporterait au film une magie, un charme et une grande justesse de ton dans le traitement des rapports entre les jeunes protagonistes, même s’il s’agit d’une superproduction avec beaucoup d’effets spéciaux. Lasse est un excellent directeur d’acteur, et ses suggestions concernant les scripts sont toujours judicieuses. Et une fois encore, j’ai été ravi du travail qu’il a accompli.

Quels sont les éléments nouveaux de cette version du conte écrit par E.T.A. Hoffman ?

Nous avons imaginé beaucoup de péripéties inédites, par rapport à l’histoire originale et au contenu du ballet classique. Notre héroïne, Clara, rencontre la plupart des personnages du ballet, mais à partir du moment où elle arrive dans le monde des quatre royaumes, tout est nouveau et a été inventé par notre scénariste Ashleigh Powell et par l’équipe de production. Je dirais qu’en dehors du contexte du début du récit, il s’agit essentiellement d’une aventure originale, avec des nouveaux personnages.

CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES est le premier film fantastique de Lasse Hallström, et fait appel à de nombreux effets spéciaux de plateau et trucages numériques. Est-ce que cela vous a préoccupé, lui et vous ?

Pas vraiment, parce que Lasse est un réalisateur expérimenté, et que nous l’avons entouré des meilleurs superviseurs des trucages de plateau au monde : je pense notamment à Chris et Lynne Corbould…J’ai collaboré aussi avec le producteur Larry Franco, qui a une grande expertise en effets physiques et en trucages numériques. Notre équipe des effets visuels était formidable, tout comme notre directeur de la photographie, rompu à ce type de films. Pour toutes ces raisons, je ne me faisais pas de souci sur la manière dont Lasse allait incorporer les effets au film, car je savais qu’il allait être parfaitement conseillé pendant le tournage et la postproduction. L’essentiel était qu’il puisse mettre en scène cette belle histoire comme il le souhaitait, et qu’il dirige les acteurs sans contrainte. Il a été réconforté par la compétence et le talent des artistes qui l’entouraient, comme notre remarquable chef décorateur, Guy Hendrix Dias, qui a conçu tant de belles choses que vous découvrirez dans le film.

On imagine que l’un des défis que vous avez du relever a consisté à vous assurer que ces merveilleux décors très élaborés pourraient être construits dans les limites du budget…

Oui, c’était assurément l’un des plus grands défis du film ! (rires) Je crois que la complexité des trucages que nous avons filmés directement sur le plateau et le nombre de décors que nous sommes parvenus à construire est tout à fait remarquable. Bien sûr, de nombreux effets numériques onr permis d’amplifier tout cela par la suite, mais disposer de ces grands décors très élaborés a été un énorme avantage pour la mise en scène de Lasse, et pour permettre aux jeunes comédiens de s’immerger dans cet univers. Nous n’avons pas dépassé le budget qui nous avait été alloué, ce dont nous sommes ravis, car sur une superproduction de ce genre, les coûts peuvent vite devenir incontrôlables si tout n’a pas été anticipé dans les moindres détails. Je tiens d’ailleurs à saluer à ce sujet le travail de Larry Franco, qui a surveillé tout cela de très près. Notre travail consiste à savoir quand il faut dire non, et quand il faut laisser les gens faire ce qu’il ont à faire, sans paniquer. Et Larry est un maître dans ce domaine. Nous avons souvent collaboré et je n’aurais pas pu faire aboutir ce film sans lui.

Finalement, est-ce plus coûteux de construire 100 décors différents sur des plateaux ou de s’appuyer essentiellement sur des fonds verts et des décors numériques comme Tim Burton l’avait fait pour son ALICE AU PAYS DES MERVEILLES ?

Cela dépend du sujet. Dans notre film, nous utilisons ces deux options, même si nous avons construit beaucoup de vrais décors afin de permettre aux acteurs d’évoluer dedans. Nous avons également recours aux extensions de perspectives en 3D, dans les plans larges. Il nous arrive aussi de manipuler numériquement les vrais décors, en augmentant la hauteur des plafonds, et en écartant les murs. Le choix auquel vous faites référence dépend surtout des décisions artistiques qui sont prises au début du projet, en fonction de la vision du réalisateur et du budget disponible. Si le budget ne permet pas d’utiliser certaines options, il faut en trouver d’autres. En ce qui concerne CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES, nous avons fait le choix de fabriquer d’énormes décors et de tourner le film sur pellicule 35mm au lieu de recourir à des caméras numériques, parce que nous souhaitions obtenir des images imprégnées de magie. Le public n’est pas en mesure d’analyser des scènes et de dire s’il s’agit d’environnements réalisés en 3D ou de grands décors construits en plateau, mais il peut quand même le sentir instinctivement, et cela change tout. Je suis convaincu que les spectateurs tomberont sous le charme magique de cette approche traditionnelle, de ces décors et des images filmées en 35mm.

En découvrant les images de ces superbes décors, nous avons eu le sentiment que vous vous étiez inspiré du MAGICIEN D’OZ…

Je suis content que vous disiez cela, car c’était bien notre film de référence, à la fois pour le rendu fascinant et magique de ses décors, et pour la manière dont ils avaient été filmés. J’avais envie qu’une fois que notre héroïne arrive dans cet autre monde, on puisse sentir aussi qu’il s’agit d’une création artistique, car dans notre histoire, on apprend qu’une partie de cet univers a été imaginé par la mère de Clara avant sa mort. Et pour faire son deuil, Clara a besoin de comprendre ce que cela signifie. Traiter les formes et les textures de cet univers de façon réaliste aurait donc été une mauvaise approche : il fallait rester dans cette ambiance magique, où l’on devine que l’on évolue dans de superbes décors de studio, comme dans LE MAGICIEN D’OZ.

Comment Joe Johnston a-t-il achevé le film quand Lasse Hallström n’était plus disponible ? Comment vous êtes-vous assuré que la transition se ferait en douceur pour les acteurs et les équipes techniques ?

Le bon côté des choses est que Lasse et Joe ont eu le temps de parler longuement du film ensemble avant que Joe n’arrive pour prendre le relais et tourner des séquences additionnelles. Toutes les équipes artistiques et techniques ainsi que le casting étaient là pendant cette phase de dialogue, ce qui nous a permis d’assurer ensuite une transition fluide et cohérente entre les deux phases du tournage. Je pense que l’on ne sent aucune différence de traitement entre les scènes réalisées par Lasse et celles filmées par Joe. Ils ont vraiment bien dialogué et collaboré.

La bataille avec les soldats de fer blanc nous a rappelé celles des films de Ray Harryhausen où les héros se battent à l’épée avec des statues animées…

Je ne pourrais pas vous dire si c’est la référence cinématographique que Lasse et Joe avaient en tête pour cette séquence, mais Joe en a tourné la majeure partie. Il y a une réplique dans le film qui est « Il n’y a rien à espérer de ces soldats de fer blanc : ils sont creux », pour signifier qu’ils sont dépourvus d’âme. Ils émergent de la machine qui les assemble avec des défauts de fabrication.

Pour conclure, pouvez-vous nous parler de deux de vos projets : COWBOY NINJA VIKING et SOURCE CODE 2 ?

SOURCE CODE 2 n’en est qu’au stade de développement, mais j’espère que ce projet se concrétisera car le premier film était formidable et j’ai beaucoup apprécié ma collaboration avec le producteur français Philippe Rousselet. Nous avons repoussé le début du tournage de COWBOY NINJA VIKING au début 2019 afin de retravailler encore un peu le script, et Chris Pratt va en jouer le rôle principal. Ce sera un film d’action excentrique, délirant et très spectaculaire que le public devrait apprécier !

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La suite de notre dossier consacré à CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES apparaîtra bientôt comme par magie sur ESI. Bookmark and Share


.