CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES - 2ème partie : entretien exclusif avec le chef décorateur Guy Hendrix Dyas
Article Cinéma du Vendredi 14 Decembre 2018

En tant qu’amateur de science-fiction, j’ai été extrêmement impressionné par la beauté de vos décors dans INCEPTION et plus récemment dans PASSENGERS...

Merci. Ces deux projets étaient très riches, et j’ai pu travailler avec deux excellents réalisateurs, Christopher Nolan et Morten Tyldum. INCEPTION offrait des possibilités visuelles extraordinaires. Chris est vraiment l’un des génies du cinéma actuel.

Quelles sont les premières indications que Lasse Hallstrom et l’équipe de production de Disney vous ont données afin que vous puissiez entamer votre travail de conception visuelle ?

C’est amusant que vous veniez de me parler à l’instant de PASSENGERS, car il se trouve que c’est juste après avoir achevé mon travail sur le tournage de ce film à Atlanta que j’ai été convié à rencontrer Lasse Hallström à Los Angeles pour parler de CASSE-NOISETTE avec lui. J’étais heureux d’avoir l’opportunité de collaborer avec un auteur-réalisateur comme lui, car j’apprécie ses films depuis longtemps, dès MA VIE DE CHIEN que j’avais vu en 1985 et qui m’avait beaucoup ému, tout comme GILBERT GRAPE, LE CHOCOLAT ou plus récemment LES RECETTES DU BONHEUR. Ils sont tous portés par de grandes performances d’acteurs, par des scènes très émouvantes, mais moins par le spectacle visuel : jusqu’à présent Lasse n’avait pas eu à créer entièrement des mondes imaginaires complexes. Dès notre première rencontre, la direction des studios Disney a exprimé très clairement son désir de réinventer le conte classique écrit par en E.T.A. Hoffman en 1816 sous le titre de « Casse-Noisette et le Roi des Souris ». Il est intéressant de se rappeler que cette histoire précède celles de « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll, et de la saga de « Narnia ». On pourrait dire qu’elle est en quelque sorte la « grand’mère » de ces récits ultérieurs. Les dirigeants de Disney tenaient énormément à faire aboutir ce projet, car d’après ce que j’ai compris, il faisait partie des histoires que Walt Disney lui-même avait prévu d’adapter sous la forme de longs métrages en prises de vues réelles. Mais hélas, il a disparu avant de pouvoir concrétiser ce souhait. Casse-Noisette faisait donc partie des projets que les Studios Disney avaient envie de développer depuis de longues années, et je crois qu’ils ont trouvé en Lasse Hallström le réalisateur qui allait pouvoir leur apporter un haut niveau de performances dramatiques et la garantie que les scènes d’émotion du film seraient réussies. Ils ont donc constitué toute une équipe autour de lui pour l’aider à élaborer les différents mondes de cette histoire, et j’ai eu la chance d’être choisi pour en faire partie.

Lors de vos premiers contacts, Lasse Hallström vous a-t-il donné des indications du style visuel qu’il souhaitait donner au film ?

Comme tous les réalisateurs expérimentés et qui ont confiance en eux avec lesquels j’ai travaillé, Lasse ne m’a donné aucune instruction visuelle spécifique concernant le style ou les couleurs de ces différents mondes. Nous avions simplement déterminé que l’action du film se déroulait en 1879 à Londres. C’était une année extrêmement riche en inventions de toutes sortes : elles se multipliaient en cette ère victorienne. C’est justement en 1879 que Thomas Edison a révélé sa première ampoule électrique au grand public. Les gens étaient émerveillés par les opportunités que pourrait leur donner cette source de lumière qui semblait miraculeuse. Donc pour revenir à votre question, les premières instructions que Lasse m’a données portaient sur les émotions qu’il souhaitait apporter aux scènes et sur ce qu’il voulait faire dans le film de manière générale. Il l’a dit très tôt qu’il souhaitait que l’essentiel des décors soit réellement fabriqué sur les plateaux, et recourir un peu moins aux trucages numériques qu’on ne le fait habituellement dans un film de cette ampleur, parce qu’il pensait que les jeunes acteurs qu’il allait diriger auraient plus de facilité à jouer leurs scènes dans des environnements concrets que si on les plaçait au milieu de fonds verts. Nous avons donc réfléchi d’emblée à la manière de limiter le plus possible les recours aux trucages numériques pour représenter les environnements. Naturellement, nous en avons employé malgré tout un grand nombre par ailleurs, mais en nous assurant que cela ne gênerait pas Mackenzie Foy et Jayden Fowora-Knight, les jeunes comédiens qui jouent Clara et Philip.

Quelle a été votre première tâche sur ce projet ? Définir l’aspect de chacun des royaumes ?

Non, je me suis d’abord immergé dans ce qui existait réellement dans le monde de 1879, afin de me mettre à la place de notre héroïne, Clara. Je voulais comprendre le contexte de son époque, son point de vue de jeune fille brillante et très inventive, et les choses qu’elle pouvait imaginer, en termes de technologie et d’ingénierie. Après cette première étape de recherches intensives, j’ai commencé à faire des croquis et à chercher des décors réels datant de la fin du 19ème siècle dans les environs de Londres afin d’y tourner certaines scènes. L’un des endroits que nous avons retenus est le Royal Albert Hall, dont nous avons utilisé des vues extérieures. Nous avons tourné en plein été, mais nous avons simulé un paysage hivernal tout autour du bâtiment, avec des calèches et de nombreux figurants. Après cela, je me suis effectivement focalisé sur le design des quatre royaumes, et sur l’approche globale de ce monde fantastique. Dans le script, la narration de l’histoire est si rapide que l’on ne dispose que de très peu de temps pour expliquer ce que sont les quatre royaumes, quels sont leurs liens, et comment cette société fonctionne. Il m’a donc semblé important de concevoir visuellement ces royaumes de telle manière que les spectateurs, particulièrement les plus jeunes, pourraient comprendre très vite comment l’on y vit, ce que l’on y fabrique, et quels sont leurs rapports.

Ce film est votre premier conte de fées. Quelles sont les plus grandes difficultés à résoudre quand on travaille dans ce registre ? Créer des environnements qui soient fantastiques tout en restant relativement crédibles ?

Vous savez, j’ai eu la chance d’avoir une expérience de ce genre de choses assez tôt, en travaillant avec le grand Terry Gilliam sur son film LES FRERES GRIMM, dont la production a connu de nombreux problèmes, mais qui a été malgré tout l’une des opportunités artistiques les plus formidables de ma carrière. Heath Ledger et Matt Damon jouaient les rôles principaux. Je ne sais pas si vous vous souvenez du film ?

Si, si, très bien. Mais c’était surtout le côté sombre et grinçant des contes de fées qui était traité dans cette histoire, n’est-ce pas ? Elle présentait les frères Grimm - les auteurs de contes bien connus et bien réels – et les réinventait en faux chasseurs de sorcières, escroquant les paysans crédules en ayant recours à des trucages pour les effrayer…

Oui. C’était ma première occasion de travailler sur un conte fantastique, et même si le budget était nettement moins important que celui de CASSE-NOISETTE, et si le film reposait sur de nombreuses idées visuelles de Terry Gilliam, j’ai appris énormément de choses dont j’ai pu me resservir ensuite sur ce nouveau projet. J’ai essayé d’aborder LES QUATRE ROYAUMES de manière logique tout en préservant les côtés amusants et fantasmagoriques de leurs caractéristiques. Et comme ces quatre mondes sont très différents mais reliés, j’ai eu l’idée de les positionner dans les quatre axes d’une boussole, ce qui a très bien fonctionné dans l’histoire. A un moment, Clara se rend dans un palais grandiose qui se trouve au centre de tout cela.

Justement, j’allais vous demander si ce palais avait été inspiré par les architectures et les briques du Royal Albert Hall ?

Non. Il y a tellement d’aspects de CASSE-NOISETTE qui trouvent leurs origines dans les cultures allemandes et russes que j’ai eu envie de m’inspirer de la célèbre cathédrale Saint Basil qui se trouve sur la place rouge à Moscou. Nous la connaissons tous grâce à ses bulbes multicolores qui semblent sortis d’un conte de fées, et à ses motifs de briques rouges et vertes. On dirait presque un jouet agrandi à des proportions gigantesques. Je suis donc allé dans cette direction, et j’ai utilisé beaucoup de références artistiques et d’accessoires décoratifs russes en concevant le palais.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La suite de notre dossier consacré à CASSE-NOISETTE ET LES QUATRE ROYAUMES apparaîtra bientôt comme par magie sur ESI. Bookmark and Share


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