X-MEN 97 : Entretien avec Jake Castorena, Réalisateur principal – troisième partie
Article Animation du Jeudi 09 Mai 2024

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez une longue expérience de la création de storyboards et la réalisation d’épisodes de séries animées ou de longs-métrage animés de super-héros, puisque vous avez travaillé aussi bien sur des productions DC que Marvel. Et je dois dire que j’en ai vu une bonne partie, avec un grand plaisir ! Pourriez-vous expliquer aux visiteurs d’ESI quels sont les ingrédients clés qui permettent de rendre un épisode d’une série de super-héros captivant, spectaculaire et émouvant, grâce à son script, et grâce à sa réalisation, en termes de mise en place des personnages, de choix d’angles de vue, de découpage de l’action, etc ?

J’adore cette question parce qu’en tant qu’artiste, que conteur et que réalisateur superviseur de la série, je dois dire que l’histoire prime sur absolument tout le reste. L’histoire est capitale. Quel que soit le récit que l’on essaie de présenter au public, c’est lui qui va déterminer la manière dont vous allez concevoir votre mise en scène. C’est exactement comme ça que l’épisode devra être tourné, pas autrement. Une fois que vous avez bien saisi les enjeux et toutes les nuances émotionnelles de l’histoire, il faut trouver la meilleure manière de les représenter, et imaginer comment mettre en avant certains éléments narratifs. Cela étant dit, ce que j’ai appris très tôt de plusieurs de mes mentors dans l’industrie de l’animation, c’est la notion des trois H, à laquelle je crois fermement. C’est quelque chose qui me semble crucial quand on travaille sur n’importe quelle transposition de bande dessinée de super-héros, quel que soit son genre spécifique. Les trois H, en anglais, c’est Heart, (le cœur), Humor (l’humour) et Heroism (l’héroïsme). Si vous réunissez ces trois éléments dans l’adaptation d’une BD de super-héros, vous allez déjà disposer des bases d’un divertissement honorable, au moins à un degré minimum. Ensuite, il restera beaucoup de travail à faire pour rendre le projet passionnant et puissant visuellement, mais au moins vous serez parti de fondations solides. Je suis resté fidèle à ce principe des trois H depuis qu’il m’a été enseigné, et j’ai pu constater maintes fois qu’il fonctionnait bien. C’est ce que j’ai appris au sein de l’industrie, et cette méthode a fait ses preuves. C’est particulièrement important dans X-MEN 97, et cela guide toute la narration et la création visuelle des aventures de ces personnages.

De nombreux dessinateurs et scénaristes de Marvel Comics sont remerciés et crédités dans le générique de fin des épisodes. Je me demandais si certains d’entre eux ont fait des suggestions ou s’ils ont servi de consultants dans le traitement des personnages qu’ils ont créés et/ou des histoires qu’ils ont écrites ?

Oui. Mais vous savez, les premiers consultants et collaborateurs qui me viennent à l’esprit et dont je tiens à parler sont bien évidemment ceux qui étaient là en premier, Eric & Julia Lewald et Larry Houston, les créateurs de la série originale X-MEN. Sans ce qu’ils ont accompli, nous ne serions pas en train de parler aujourd’hui de notre nouvelle série. Ce sont des légendes de l’animation, des géants, et nous nous hissons sur leurs épaules pour raconter nos histoires. Si nous n’avions pas pu reprendre leur travail, leurs créations, avec leur approbation et leur soutien, il aurait été impossible de donner ce côté nostalgique et authentique à X-MEN 97. Bien sûr, un nouveau projet avec les X-Men va forcément attirer des téléspectateurs parce que les gens aiment ces personnages, cette franchise. Et c’est aussi le cas de toute notre équipe, moi y compris. Mais nous n’aurions jamais réussi à prolonger le récit de la série originale X-MEN, si nous n’avions pas été conseillés et soutenus depuis le départ par ses créateurs. Et non seulement Eric et Julia Lewald et Larry Houston sont revenus pour nous faire bénéficier de leur expérience et de leurs suggestions, mais en plus ils étaient ravis d’être inclus dans la création de X-MEN 97, toujours hyper enthousiastes et ouverts quand nous leur présentions nos idées. Ils sont chaleureux et très sympathiques. Collaborer avec eux pour faire renaître cet univers a été une fabuleuse expérience. En tant que fan de la série originale, comme vous l’imaginez, j’étais particulièrement content de travailler avec ces gens dont le travail a tant marqué mon enfance. C’était génial ! Larry m’a appris beaucoup de choses sur les outils du métier et sur son expérience. Et il m’a raconté aussi des anecdotes étonnantes.

Ah oui ? Vous pouvez nous en raconter au moins une ? On a envie de savoir !

Larry m’a confié que les personnages qui ne faisaient pas partie des aventures des X-Men mais d’autres franchises Marvel, et qui intervenaient brièvement dans un épisode ou une scène, étaient inclus en douce. En fait, c’était illégal ! On procédait comme ça à l’époque. Heureusement, ce problème a été réglé à présent, et d’après ce qu’ils m’ont dit, tout va bien. Chacun des créateurs originaux de ces personnages en possède les droits, tout est bien crédité et bien géré. Mais grâce à Larry et aux choses merveilleuses qu’il a faites pour la série originale, nous disposons maintenant de paramètres pour nous assurer que tout est fait correctement, légalement, et nos scénaristes suivent ces règles. Ce n’est qu’un petit exemple des choses que l’on apprend en parlant à un créateur comme Larry. Cela vous donne une perspective sur l’évolution des choses depuis trente ans.

Comme vous avez recréé aussi le cultissîme générique de la série originale, que Larry Houston avait conçu et réalisé, l’avoir à vos côtés a dû être une aide inestimable…

Absolument ! Faire revenir Larry et lui demander de collaborer avec nous sur la nouvelle version de ce générique si emblématique qu’il a créé il y a trente ans a été un privilège, une chance et une grande joie. Je voudrais citer et féliciter aussi les deux autres réalisateurs de notre équipe, Chase Conley et Emi Yonemura. J’ai supervisé la réalisation de la série, mais nous nous sommes tous réunis pour travailler sur ce générique qui rappelle énormément celui de la série originale.

Savez-vous si X-MEN 97 sortira en coffret DVD & Blu-ray ?

Je l’ignore. Ce type de décisions est géré par des gens placés bien au-dessus de mes fonctions. J’espère que ce sera le cas, parce que les médias physiques sont géniaux.

Puisque la deuxième saison de X-MEN 97 est déjà en développement, je voudrais revenir à la création de cette première saison, et vous demander si vous aviez travaillé sur la réalisation des dix épisodes dès le départ. Pouvez-vous aussi nous dire si les épisodes qui ont été développés pour la deuxième saison font partie d’une même arche narrative commune aux deux saisons, ou si ce sera une arche indépendante ?

Pour ce qui est des autres épisodes de cette saison et de la prochaine, je tiens à préciser que je ne suis pas scénariste : je m’occupe uniquement de l’aspect visuel. Il y a dans notre équipe des gens bien meilleurs et plus qualifiés que moi pour manier les mots et répondre précisément à cette question des arches narratives. Ils ont travaillé en tandem avec Bo DeMayo, à partir de sa vision de la série et du traitement qu’il a inventé. Mon job consiste à rendre hommage visuellement à l’histoire. Mais cela ne m’empêche pas d’être capable de lire et d’analyser un scénario. Même si je ne suis pas un des auteurs de la série, je peux agir en tant que « script doctor » et leur dire « Je crois que ce rebondissement serait plus efficace si vous le placiez plutôt à cet endroit-là de l’histoire » ou « Ce qui est décrit ici est trop condensé, je pense qu’il faudrait le développer et l’amplifier quand nous préparerons le storyboard de cette scène. » Inversement, je peux faire en sorte qu’une séquence qui semble trop longue à l’écrit soit condensée visuellement dans le storyboard, suggérer que l’on coupe un passage dont on n’a pas forcément besoin, proposer de raccourcir un long morceau de dialogue qui risque d’être ennuyeux si on l’adapte tel quel, ou le remplacer en exprimant la même chose visuellement, grâce à la gestuelle et aux expressions des personnages. C’est en intervenant de cette manière que j’arrive à trouver des solutions et à raconter visuellement des histoires en storyboardant les épisodes en tandem avec mes collègues réalisateurs Chase Conley et Emi Yonemura. A titre personnel, je supervise la réalisation de toute la série, tandis que Emi et Chase se focalisent sur la mise en scène de chacun des épisodes. Et avec eux, ils sont entre de très bonnes mains. Mon travail consiste à produire et à superviser la mise en scène, et donc je suis impliqué dans absolument toutes les facettes de la transposition des scripts.

Entendu, mais pour bien comprendre où vous en êtes actuellement, préparez-vous une deuxième saison qui comptera aussi dix épisodes, ou davantage ?

Oui, c’est bien ça : dix épisodes. Nous sommes déjà impliqués à fond dans la préparation de la saison 2, mais au moment où nous parlons (le 21 mars 2024, NDLR) nous achevons encore la post-production des derniers épisodes de la saison 1. Nous nous rapprochons de l’achèvement des storyboards de la saison 2 : ça devrait être fait bientôt. Nous verrons comment se déroulera la présentation de ces propositions de storyboards à l’équipe décisionnaire des Studios Marvel, mais nous avançons vite. Donc pour bien clarifier mon rôle, je supervise et produis tout cela. Et ce que cela signifie, c’est qu’il y a des moments où je peux aider les deux réalisateurs en co-dirigeant certaines séquences. C’est un soulagement pour eux que je puisse le faire en dialoguant directement avec les artistes, parce que le chevauchement des tâches est une chose très complexe à gérer pour eux. Chaque réalisateur travaille sur plusieurs épisodes en même temps, et doit donc diriger de nouveaux épisodes tout en continuant à s’occuper des épisodes précédents dont la préparation est achevée, pour les suivre pendant la production de leur animation. Parfois, ils ne peuvent pas tout assumer en même temps : diriger une scène, storyboarder une autre séquence et travailler aussi en tandem avec l’équipe sur d’autres choses. C’est juste impossible à faire ! C’est donc là que j’interviens et que je remplace Chase ou Emi, pour effectuer ce travail et permettre à la production de se poursuivre sans interruption. Cela fait partie de mon job. Je dois être en mesure de remplacer à peu près tout le monde au pied levé. Mais ensuite je laisse les spécialistes que nous avons engagés reprendre leur travail – ils sont bien meilleurs que moi dans leur domaine – et le mener à bien jusqu’au moment où ils franchiront la ligne d’arrivée. Autrement dit, je dois être en mesure de parler le langage spécifique de chacun de nos départements artistiques et techniques pour que tout continue à avancer de manière fluide et efficace. Je suis heureux et reconnaissant d’avoir pu réaliser moi-même le premier épisode de la saison 1. Même si franchement, ça a été très compliqué à assumer ! À ce moment-là nous étions encore en train de définir les paramètres visuels essentiels de la série. Donc tout en réalisant cet épisode, je supervisais aussi la mise en scène des autres épisodes dont mes collègues se chargeaient, et vérifiais leur bon avancement avec notre producteur Sean Gantka, que je tiens à remercier également. Sean a recruté les talentueux membres de nos équipes. Bref, diriger le premier épisode tout en aidant les équipes de X-MEN 97 à s’occuper de tout le reste a été très très intense ! Nous avons appris très vite que je n’allais pas pouvoir réaliser un autre épisode complet tout en supervisant la série.

À l’impossible nul n’est tenu, même si vous possédez clairement le super-pouvoir de diriger une super série d’animation…

C’est très gentil de dire cela, mais mon super-pouvoir vient du reste des membres de l’équipe. C’est eux qui me donnent de l’énergie et de l’enthousiasme chaque jour. Nous avons réuni les meilleurs artistes dans chaque domaine. Je ne pourrais pas souhaiter travailler avec un autre groupe que celui-ci, ni sur une autre série que X-MEN 97.

Pour conclure, pourriez-vous parler de votre collaboration avec les frères Newton, les compositeurs de la musique originale de la série ? Elle est vraiment très réussie…

Oh oui. C’est une réussite exemplaire qui témoigne de la passion et de la qualité du travail accompli par les frères Newton et tous leurs collaborateurs. Andy Grush et Taylor Newton Stewart sont des garçons épatants, extraordinairement talentueux, compétents et efficaces. Mais ils sont restés humbles et chaleureux. Ils s’impliquent totalement dans leur travail, et n’hésitent jamais à tenir compte de nos remarques et suggestions. Bien au contraire, ils prennent cela comme de nouveaux défis intéressants et les relèvent avec plaisir. Et je peux vous assurer qu’à chaque fois, ils surpassent nos attentes. Andy et Taylor ont parfaitement assimilé la vision de Beau DeMayo dès le début, et c’est en la gardant à l’esprit qu’ils ont composé la bande originale de X-MEN 97. Ils ont réussi à créer un paysage musical dans lequel on aime se retrouver, et franchement, ce qu’ils ont fait, ça déchire ! On sait que la musique va être super dès que l’on entend leur version du générique de X-MEN, qui est moderne tout en recréant instantanément l’ambiance des années 90.

C’est un mélange parfait de plaisir nostalgique, d’hommage respectueux, et de qualité de son actuelle. Quand on aime X-MEN, on a la chair de poule en entendant ce générique !

Exactement. On est aussitôt transporté dans les années 90, et prêt à découvrir nos histoires. Je ne pourrais jamais les remercier assez pour le travail accompli. Ils sont tout simplement phénoménaux. Quelles que soient les ambiances à amplifier ou soutenir au cours des épisodes, qu’il s’agisse d’action, de situations dramatiques, de moments d’empathie ou de scènes horrifiques, les musiques qu’ils ont composées sont des apports essentiels à la narration de ces histoires.

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