Glass : Entretien exclusif avec M. Night Shyamalan, scénariste & réalisateur – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 08 Fevrier 2019
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Dans cette trilogie, vous abordez plusieurs thèmes : les gens qui décident de faire justice eux-mêmes, les maladies mentales, et la manière dont la psychiatrie tente de réhabiliter des gens qui sont gravement atteints. Il s’agit là de sujets sérieux, sur lesquels vous avez certainement travaillé afin de trouver la manière de les rendre divertissants…
Je crois que pour les traiter tels que je les avais imaginés, avec les petites touches d’humour sarcastique dont nous avons parlé précédemment, il fallait d’abord que je trouve les bons acteurs. James McAvoy est un comédien si versatile et si doué qu’il a réussi à exprimer toutes les nuances comiques que j’avais écrites, ce qu’un autre interprète n’aurait pas forcément été capable de faire. Vous verrez qu’il est allé encore plus loin dans GLASS, notamment avec le personnage de Patricia, qui est parfois hilarant, tout comme le jeune Hedwig, Dennis et certains des autres nouveaux personnages que vous allez découvrir. Vous allez rencontrer 20 personnalités différentes issues de l’esprit de Kevin Wendell Crumb dans ce film. Elles sont très intéressantes et James a su faire ressortir l’humour de ces situations, tout comme Samuel Jackson, lorsqu’il se retrouve en face de lui. Dès que Sam apparaît dans le film, il a des répliques ironiques à dire. Je les lui ai écrites afin qu’elles correspondent bien à son attitude confiante et décontractée dans la vie.
Quand la vie politique devient folle, tout spécialement aux États-Unis comme dans les années 60 et 70, les films de fiction les plus intéressants reflétaient ce qui se passait dans la société…
Effectivement.
GLASS est-il votre manière de commenter ce qui se passe actuellement aux USA ?
Je suis sûr qu’il y a quelque chose qui appartient à ce registre-là dans GLASS. Beaucoup de gens évoquent mon film LE VILLAGE en se référant à la politique américaine actuelle, et discutent des thèmes qu’il abordait, et de ce que cela signifiait. Mais le thème central de GLASS est d’abord celui des gens qui vous incitent à douter de vous, à remettre en cause ce que vous êtes, ce en quoi vous croyez et vos projets personnels. Je pense que ces sentiments trouveront un écho chez les gens marginalisés, surtout s’ils considèrent qu’ils sont mis de côté et ignorés par ceux qui détiennent le pouvoir actuellement.
SPLIT et GLASS sont tous les deux des films aux budgets modestes. Quelle est la liberté que vous avez gagnée en les réalisant ainsi ? Et que n’auriez-vous pas été en mesure de faire si vous les aviez tournés avec de gros budgets, sous l’égide d’un grand studio ?
Avec ce type de budget, vous n’avez tout simplement pas assez d’argent pour le superflu, donc vous vous concentrez uniquement sur les choses simples qui vont se voir sur l’écran. Par exemple, pendant le tournage, je ne disposais pas d’une caravane pour aller me reposer pendant les pauses, comme c’est l’usage. On peut penser qu’il s’agit juste d’un détail, mais concrètement, pendant mon déjeuner, j’allais m’asseoir quelque part sur une chaise pliante, dans le décor, et je mangeais avec le plateau-repas sur mes genoux. Et quand il faisait froid, j’attendais à l’extérieur, en frissonnant, que l’heure de la pause-repas s’achève. Quel est le message que cela envoie aux membres de l’équipe à propos de l’implication de celui qui dirige le film ? Eh bien, ils reviennent beaucoup plus vite sur le plateau dès qu’ils ont fini de manger, et ils font encore plus d’efforts en travaillant. Tout le monde se donne à fond, et arrive le matin avec la même motivation qui est « aidons ce type à raconter l’histoire qu’il a imaginée ». Quand je veux tourner un plan juste après le déjeuner, je remarque qu’un technicien va venir avant la fin de l’heure de pause pour me dire « Je crois que nous pourrions déplacer la grue pour la rapprocher dès que l’équipe sera de retour, et que comme cela, on mettra le second plan en place beaucoup plus vite, en obtenant un excellent résultat ». Tout le monde se sent plus concerné, plus dévoué au film. Mais comme c’est plus dur à faire au jour le jour, il nous arrive de ne pas pouvoir travailler avec certaines personnes que nous aurions aimé engager, parce qu’elles ne veulent plus travailler dans ces conditions-là, à cette étape de leurs carrières. A l’inverse, d’autres jouent complètement le jeu : notre compositeur, par exemple, a déménagé de Brooklyn à Philadelphie, a acheté une maison sur place et est resté là de manière à pouvoir y rester et y travailler avec moi pendant un an. Et notre directeur de la photographie est venu à Philadelphie un mois avant le début du tournage pour préparer des storyboards avec moi, sans être payé. Cela représentait pourtant beaucoup de travail supplémentaire. Quand vous ajoutez ainsi de nombreuses contributions d’artistes de talent, les unes après les autres, la somme de tous ces efforts vous permet d’obtenir un résultat très soigné, vraiment unique. En dépit de cela, vous ne disposez toujours pas de plus d’argent, et le nombre de jours de tournage dont vous disposez reste très limité. Ici le soleil se couche vers 16h et après il fait vite froid. Mais ces contraintes matérielles et ces limites très concrètes sont bonnes pour les artistes. Bien sûr cela me stresse parce que je dois arriver sur le plateau en étant en super forme, parfaitement préparé et en ayant absolument tout prévu, ce qui est un challenge et une perspective vraiment terrifiante ! Mais le côté amusant de tout cela est de se remettre dans la peau d’un étudiant en cinéma, de trouver de nouvelles approches, et de contraindre son cerveau à chercher des idées en dehors de sa zone de confort habituelle pour devenir plus créatif et plus efficace. Se secouer ainsi et se mettre un peu en danger est salutaire, car les habitudes sont délétères pour les artistes. C’est la raison pour laquelle une personne qui a écrit une chanson qui a bouleversé le monde entier dans sa jeunesse n’arrive plus à en créer d’autres qui retiennent notre attention quand elle a passé le cap des 45 ou 50 ans. Il faut constamment inventer et réinventer encore. C’est la raison pour laquelle pratiquement toute mon équipe est nouvelle sur mes films récents, il n’y a plus d’anciens collaborateurs. Mon monteur n’a travaillé que sur deux films, mes deux derniers. Idem pour mon compositeur : ses deux premiers grands films sont les miens. Mike Gioulakis, mon directeur de la photographie, avait tourné IT FOLLOWS, puis il a fait SPLIT, et ensuite le nouveau film de Jordan Peele après GLASS. A ce stade de leurs carrières, tous ces artistes ont faim de création et veulent essayer des choses audacieuses. Ils ne vous disent jamais « oh, j’ai un peu peur de tenter cela » ou « j’ai l’habitude de procéder autrement ». Tout le monde se donne à fond pour raconter cette histoire de manière originale et percutante. Vous savez, le public ne s’intéresse pas vraiment aux budgets. Il se fiche de savoir qu’un film Marvel a coûté 200 ou 230 millions de dollars de plus que celui-ci.
Ce budget modeste vous a-t’il donné plus de liberté pendant la création de l’histoire de GLASS?
Absolument. Les studios étaient prêts à me donner leur opinion sur n’importe quel aspect du film, mais comme je domine le sujet, et comme tout est agencé et présenté d’une manière très précise, tout le monde sait que nous allons remporter la partie financièrement quoi qu’il arrive, parce que l’investissement initial a été très limité. Du coup, personne ne réagit en étant motivé par la peur. Les cadres des studios disent « Ce n’est pas grave si ce protagoniste du film est déplaisant, cela ne va pas empêcher le film d’être profitable. Nous verrons bien s’il rapporte juste un peu d’argent ou s’il devient un énorme succès, mais en attendant, laissons Night travailler comme il l’entend. » Cette liberté est tellement appréciable que je conseille toujours à mes amis cinéastes de tourner leurs films avec le plus petit budget dont ils ont besoin pour le créer. C’est ce qui leur permettra de protéger leur vision, de se protéger eux-mêmes et de parier sur leur propre créativité. C’est ce que je fais à présent. Je gagne moins d’argent et j’ai investi dans cette production de l’argent issu d’une hypothèque prise sur ma maison. Donc si ce que je m’apprête à livrer aux studios ne fonctionnait pas, j’aurais de gros soucis, des ennuis vraiment très graves. Mais tout cela reste cependant un exercice sans filet amusant. Le bon côté des choses, c’est que je me sens libre de faire tout ce que je veux. Par exemple, personne ne vient me dire que c’est une mauvaise idée de faire appel à un compositeur qui n’a jamais rien fait auparavant, parce que cette décision ne leur appartient pas. Cela me permet de tenter des choses plus audacieuses, qui me donnent vraiment l’impression d’être redevenu un étudiant, parce qu’il existe un danger d’échec bien réel.
Qu’est-ce qui vous a donné la motivation de devenir réalisateur ? Comment avez-vous réussi à garder cette passion et pourquoi vous investissez-vous autant dans vos projets ?
Je serais prêt à brûler ma maison si cela me permettait de défendre les valeurs artistiques qui me sont chères ! Il faut que j’éprouve un sentiment très fort pour un projet, et c’est en ce sens que je ne suis pas un bon employé. Je n’aime pas me retrouver autour d’une table, avec des gens qui vont dire « Parlons du meilleur décorateur possible pour ce projet », et qui vont tous donner leur avis ensuite. Cela ne me correspond pas à ma manière d’être, ni au réalisateur que je suis. Pour GLASS, je voulais travailler avec le chef costumier Paco Delgado, qui collabore souvent avec Pedro Almodovar. Je le voulais pour ce film et je l’ai fait venir d’Espagne, parce que son talent m’avait inspiré. Je m’étais dit « Oh mon dieu, si je combine le travail de Paco à la manière de filmer de ce jeune directeur de la photo qui a fait IT FOLLOWS, ce mélange sera magnifique ». Et à ce moment-là, je n’ai surtout pas besoin que quelqu’un vienne analyser cette décision et juger froidement si le directeur photo de IT FOLLOWS qui a été tourné avec un million de dollars sera capable de signer les images d’un film de neuf millions de dollars. C’est une décision instinctive en laquelle il faut avoir confiance. Et pour répondre à la première partie de votre question, j’ai toujours voulu être réalisateur, depuis mon enfance. C’était ainsi, et je n’y pouvais rien.
Pourquoi avez-vous intitulé ce film GLASS ? Parce que le verre est quelque chose de fragile et au travers duquel on peut voir les choses ?
Eh bien tous les titres de cette trilogie ont un rapport avec la physique, et chacun d’entre eux symbolise l’un des personnages dotés de pouvoirs surhumains : INCASSABLE pour David Dunn, SPLIT (Divisé/tranché) pour Kevin Wendell Crumb et GLASS pour Mister Glass. En voyant le film, les spectateurs pourront penser aussi à la signification du verre qui se fracasse en raison de sa fragilité, mais qui devient aussi encore plus coupant.
VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOUS a-t-il vraiment été une grande source d’inspiration ?
Oui. C’est l’un de mes films favoris. Je l’adore.