L’HOMME INVISIBLE : entretien exclusif avec Elisabeth Moss – 1ère partie
Article Cinéma du Mercredi 26 Fevrier 2020

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Concepteur de la franchise SAW, le scénariste et réalisateur Leigh Whannell avait réalisé en 2018 l’excellent suspense de SF UPGRADE, que nous vous recommandons chaudement si vous ne l’avez pas encore vu. Aujourd’hui, il modernise le personnage de l’homme invisible créé par H.G. Wells dans un thriller horrifique où Elisabeth Moss est victime d’un piège diabolique. ESI a eu le plaisir de rencontrer cette merveilleuse actrice - qui fut l’une des révélations de MAD MEN et nous bouleverse actuellement dans LA SERVANTE ÉCARLATE - pour parler de sa carrière, de ses rôles iconiques à la télévision et de son expérience de L’HOMME INVISIBLE.

Vous avez incarné deux des personnages féminins les plus significatifs de l’histoire de la télévision, Peggy Olson dans MAD MEN et actuellement June Osborne dans LA SERVANTE ÉCARLATE. Pouvez-vous nous parler de votre interprétation de ces deux héroïnes et de la raison pour laquelle elles sont chacune importantes à leur manière, dans le contexte actuel de notre société ?

Volontiers. Ce qui est intéressant à propos de Peggy, c’est que l’action de MAD MEN se déroule à une autre époque, celle des années 60, qui était très différente de notre société d’aujourd’hui. Je me souviens que quand nous avons commencé à jouer dans la série, en 2007, les gens nous disaient ‘Malgré son titre, cette histoire n’est pas consacrée seulement à des hommes : les personnages féminins sont importants aussi’, comme si c’était une idée révolutionnaire et toute nouvelle ! Puis quand MAD MEN s’est achevé en 2015, on nous a dit ‘La série était vraiment consacrée en grande partie aux femmes’ et ‘Oh c’est incroyable comme la condition des femmes dans le monde du travail était différente dans les années 60 ! Nous avons fait du chemin depuis.’ Tout le monde a changé ainsi d’opinion sur MAD MEN pendant le cours de la série, ce qui est paradoxal, car l’un des propos de son créateur, Matthew Weiner, était bien au contraire de montrer que les choses n’avaient pas tellement changé depuis pour les femmes ! Mais ce n’est que dans un second temps que les gens se sont vraiment rendus compte de cet aspect de MAD MEN. Quand nous avons commencé à travailler sur LA SERVANTE ÉCARLATE, je me souviens avoir pensé que le public n’aurait probablement pas été prêt à regarder une série comme celle-ci il y a une quinzaine d’années. LA SERVANTE ÉCARLATE est un miroir, un reflet si fidèle de notre société que les spectateurs peuvent en reconnaître les différents aspects, apprécier le traitement de ces sujets, et vouloir suivre ces épisodes. Ils sont conscients que ce que nous montrons est souvent très proche de ce qu’ils voient dans les journaux télévisés. A titre personnel, quand j’entends des gens dire ‘Oh, je ne peux pas regarder une série comme LA SERVANTE ÉCARLATE, parce que c’est trop effrayant, vraiment trop dur’, cela m’agace au plus haut point. C’est n’importe quoi ! Dans ce cas-là, comment font-ils pour regarder les news à la télé ? Notre série est une fiction, s’ils ne peuvent pas la suivre sous prétexte qu’elle est trop âpre, comment réagissent-ils en voyant les images de ce qui se passe aux États-Unis et dans le reste du monde, et qui est bien pire ?

Il y a les gens qui préfèrent ne pas voir ce qui ne va pas dans le monde, mais il y en a aussi beaucoup qui voudraient inverser le cours du temps et les progrès accomplis pour revenir en arrière…

Je ne crois pas que ce soit la bonne méthode. Mieux vaut aller de l’avant !

Rencontrez-vous des femmes qui vous disent que les personnages que vous avez joués ont eu un impact positif sur leurs vies ?

Oui. Et des hommes aussi. Il s’agit souvent de personnes originaires de pays dans lesquels il existe différentes formes d’oppressions, qui ne touchent pas seulement les femmes, mais aussi les gens qui ont une religion différente ou des orientations sexuelles minoritaires. Ces gens me disent ‘C’est exactement ce que nous vivons dans notre pays’ et ajoutent que ces histoires leur ont donné de la force et plus de confiance en eux. Ils ont l’impression d’avoir été vus, entendus, et compris. En suivant ces séries, ils ont le sentiment de ne plus être complètement seuls.

Avez-vous parlé avec la créatrice de LA SERVANTE ÉCARLATE, la romancière Margaret Atwood, et avec le showrunner Bruce Miller de la manière dont vous pourriez conclure la série de manière significative et satisfaisante ? Les fidèles de la série ont vu June se battre si durement et depuis si longtemps qu’ils ont tous envie de la voir vaincre la tyrannie de Gilead et retrouver enfin la liberté…

Oui, j’en ai parlé avec Bruce. Nous avons envie de tenir compte de ce que le public souhaite. Nous savons que les spectateurs ont envie que June puisse prendre sa revanche, que la résistance triomphe et que tous ses plans réussissent. Dans le premier roman de la saga écrit par Margaret Atwood, on apprend que le régime instauré par Gilead prend éventuellement fin. Mais la série est intitulée THE HANDSMAID’S TALE (Le Conte de la Servante), ce qui signifie que c’est d’abord le récit de ce qui arrive à June que l’on raconte. L’histoire d’une femme, narrée selon son point de vue, et qui arrivera bien sûr à sa conclusion dans le futur. Nous essayons toujours de tenir compte de ces deux choses dans la série, que les situations soient décrites de manière intimiste ou mises en scène à une plus grande échelle. Tous les événements concernent la trajectoire de June. Elle se retrouve toujours au centre de ces situations, en tant que femme, que mère, qu’amie, qu’épouse, et qu’être humain. Voilà l’histoire sur laquelle nous nous focalisons.

Envisagez-vous que la série puisse continuer encore pendant deux ou trois ans ? Voir même plus longtemps ?

Je n’en ai aucune idée. Vraiment. D’abord parce que cela ne dépend pas à 100% de moi, et ensuite parce que je crois que personne dans notre équipe ne le sait actuellement.

En tant qu’actrice, quelles opportunités avez-vous vues dans cette nouvelle adaptation de L’HOMME INVISIBLE ? Et qu’avez-vous apprécié le plus dans le rôle de Cecilia quand vous avez lu le script ?

C’est vraiment difficile d’accomplir ce que Leigh Whannell, l’auteur-réalisateur du film, a si bien réussi. Il s’est emparé d’un des personnages masculins d’horreur « classiques » des Studios Universal, l’une de leurs franchises les plus importantes, pour en faire une nouvelle adaptation divertissante, effrayante, remplie d’action, qui vous secoue comme une montagne russe, tout en faisant évoluer les personnages grâce à des arches narratives complexes, bien développées, et qui ont du sens. Il y avait deux composantes très importantes dans ce projet, dont nous avons parlé ensemble dès le début : d’abord, il fallait que le film soit vraiment impressionnant, capable de vous terrifier. Ensuite, nous voulions raconter dignement l’histoire de l’héroïne, qui vient de mettre fin à une relation de maltraitance, et qui se retrouve dans une situation où elle est morte de peur, craint de raconter ce qui lui est arrivé parce que personne ne va la croire, et qu’elle va être jugée et prise pour une folle.

Le simple fait que personne ne puisse la croire est déjà terrifiant en soi…

Exactement. Cet angle permet de donner beaucoup de sens au film, et d’aborder des sujets de la société d’aujourd’hui. Leigh a réussi à mêler ces deux aspects de manière brillante dans le script, alors que c’était très compliqué à faire. Même si certaines choses ont un peu changé pendant notre collaboration sur la préparation et le tournage du film, son scénario original était déjà très abouti et extrêmement intéressant. Voilà pourquoi je n’ai pas mis longtemps à lui répondre oui quand il m’a demandé de jouer Cécilia.

L’un des thèmes de L’HOMME INVISIBLE est celui de la violence domestique, car l’ex-compagnon de l’héroïne la maltraite mentalement et physiquement. Que pensez-vous que l’on puisse faire pour aider les victimes de ces actes ?

Je crois que c’est un sujet qui peut intéresser et concerner aussi bien les femmes que les hommes. Nous voulions l’intégrer sérieusement à cette histoire, en montrant les différents aspects de ces abus, qu’ils soient physiques ou psychologiques, et la manière dont ils désorientent les personnes qui les subissent. Mais nous le faisons sans oublier que le film est un divertissement, et en montrant aussi comment Cecilia se rebelle, sort de cette relation toxique, puis se bat. Même s’il s’agit d’une fiction, nous montrons qu’il faut puiser beaucoup de courage en soi pour prendre ces décisions-là et se défendre. L’une des choses les plus difficiles dans ce genre de situations, c’est d’arriver à en parler autour de soi pour trouver de l’aide, car le conjoint abusif instaure une loi du silence, et la victime a honte de révéler ce qu’elle subit. D’autant qu’il existe hélas beaucoup de clichés négatifs qu’on applique vite aux femmes : si elles s’énervent ou qu’elles pleurent, on les trouve difficiles, trop émotives ou folles. Ces notions négatives sont tellement présentes au quotidien quand on est une femme que l’on finit presque par ne plus les remarquer.

La suite de notre entretien avec Elisabeth Moss deviendra visible dans quelques jours sur ESI. Bookmark and Share


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