L’HOMME INVISIBLE : entretien exclusif avec Elisabeth Moss – 2ème partie
Article Cinéma du Lundi 02 Mars 2020

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

D’après les quelques images de L’HOMME INVISIBLE que nous avons vues, votre rôle semble être très physique. Comment vous êtes-vous préparée à jouer ces scènes d’action et à accomplir certaines cascades ?

Effectivement, le tournage a été très intense au niveau physique. Je dois dire que je ne m’en étais pas vraiment rendue compte avant. Avec le recul, je me dis qu’il aurait été vraiment souhaitable que je passe plus de temps dans un gymnase auparavant ! (rires) Dès que la préparation a commencé, j’ai dû apprendre tout cela très vite, en étant aidée par une excellente équipe de cascadeurs. Je réalise moi-même deux cascades importantes dans le film, que nous avons répétées pendant toute la durée du tournage afin que je sois prête à les exécuter à la fin. Je cours beaucoup, on me voit souvent hors d’haleine, bref, il y a énormément d’action. En fait, mon entraînement physique n’a pas pris des proportions gigantesques : je me suis impliquée sérieusement dès le début et j’ai vite constaté que je gagnais de la force et de l’énergie. Et c’était très utile, étant donné ce que j’avais à faire pendant ces scènes-là. Habituellement, je me contente de faire quelques étirements avant de jouer, parce que je me sers surtout de mon regard et de mon visage ! Ce sont mes yeux qui font le plus d’exercice ! (rires) Mais là, il fallait prévoir un long échauffement de tous les muscles avant de tourner, et c’est ma formidable doublure cascade qui se chargeait de me montrer les mouvements à faire. C’était tout nouveau pour moi, mais j’ai trouvé ce processus amusant et plaisant.

Cecilia, votre personnage, traverse des situations terrifiantes quand l’homme invisible la tourmente. Elle finit par se demander si elle ne perd pas la raison. Quelles sortes de techniques physiques et mentales employez-vous quand vous devez jouer des scènes de terreur ou de déstabilisation psychologique profonde ?

Je n’utilise pas de technique particulière : je me lance à corps perdu dans la situation qui est décrite. Je ne suis aucune méthode, je commence à jouer et je vois ce qu’il se passe à ce moment-là. Je crois qu’il est préférable d’interpréter directement des séquences comme celle-là, sans trop y penser avant. Il y a une scène pendant laquelle on m’emmène contre mon gré dans un hôpital psychiatrique : je me débats, je crie, je pleure tout en essayant de me libérer des gens qui me tiennent. Ce n’est pas le genre de choses que l’on répète. Dès que l’on crie ‘Action !’, il faut rassembler toute son énergie et jouer.

Pensez-vous qu’il est plus facile aujourd’hui pour une actrice de parler de sujets importants qui lui tiennent à cœur ?

Je crois que oui. Comme tout le monde, une comédienne a des opinions, et se sent plus concernée par certains sujets que par d’autres. Nous bénéficions de l’opportunité d’exprimer nos opinions dans la presse par le biais d’interviews telle que celle-ci. C’est à la fois une chance et une position assez étrange à assumer, car je ne suis pas une politicienne, mais juste une citoyenne comme les autres. Cependant, comme mes paroles vont être diffusées auprès d’un grand nombre de gens en raison du métier que j’exerce, quand on me pose certaines questions, je tiens à rappeler que je ne suis pas une experte dans ces domaines, ni la représentante d’un courant d’opinion, et que mes propos et mes avis n’engagent que moi.

Comment trouvez-vous que le féminisme a progressé depuis vos débuts ?

A l’époque, j’ai vécu cela en suivant deux chemins parallèles : celui de ma vie de jeune femme, et celui d’actrice débutante. J’ai commencé à jouer dans MAD MEN quand j’avais 23 ans et lorsque j’y repense aujourd’hui, j’ai le sentiment que je n’étais encore qu’un bébé, même si je n’avais pas cette impression à ce moment-là. Ma trajectoire de féministe a progressé en même temps que cette série dans laquelle les thèmes de la place des femmes dans la société, dans le monde du travail des années 60 / 70, et de leurs combats pour obtenir plus de droits avaient tant d’importance. À présent, en jouant dans LA SERVANTE ÉCARLATE, je retrouve encore des chemins étonnamment parallèles entre ce que l’on exprime dans ces histoires et ce que je pense en tant que femme et citoyenne qui observe ce qui se passe dans le monde. Je joue un personnage qui fait face aux ramifications de ce qui arrive quand la majorité d’une population n’est pas « réveillée », pas consciente de l’importance des enjeux qu’on lui présente. Ces deux chemins personnels et professionnels continuent de progresser côte à côte, alors que ce n’était pas intentionnel de ma part. Je crois que les femmes de ma génération ont grandi en considérant que nous étions toutes féministes. Et que les droits civils étaient unanimement acceptés et définitivement mis en place. Mais quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai pu constater qu’aux États-Unis, on pouvait contester des lois progressistes concernant les femmes et les abroger pour revenir en arrière. Je n’en avais pas la moindre idée et cela m’a sidérée. À présent, nous en sommes arrivés à un tel point que nous sommes habitués à l’idée terrifiante que plus rien n’est définitivement acquis. Il suffit qu’un seul type soit déterminé, et il peut parvenir à détruire le fruit de décennies d’efforts et de progrès…Je crois que ma génération a bien pris conscience de cela.

De plus en plus de films concernant ces sujets sont produits par des actrices qui en tiennent les rôles principaux, et ils deviennent de vrais succès critiques et commerciaux…

Oui. J’ai appris que ces films consacrés aux problèmes que les femmes rencontrent dans leur travail et leurs vies ont de plus en plus de succès au boxoffice.

Les grands studios ne peuvent donc plus refuser de les co-produire ni de les distribuer, sous prétexte qu’ils ne rapporteront pas d’argent…

Exactement, puisque preuve est faite qu’ils sont rentables. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que d’après les recherches de plusieurs experts, les progrès accomplis dans le domaine de l’égalité des droits et des salaires entre les hommes et les femmes ont été extrêmement lents pendant la dernière décennie. J’en parlais encore récemment avec une directrice de la photographie, qui me disait qu’il restait encore énormément de mesures concrètes à prendre pour permettre à plus de femmes d’accéder à cette profession.

Vous êtes devenue productrice depuis quelques années. Aimeriez-vous passer aussi à la réalisation ?

Je n’aurais jamais imaginé que cela pourrait me tenter avant de découvrir le métier de productrice. A présent, je me dis ‘Et pourquoi pas ?’ Si je trouvais un sujet qui me corresponde et me donne l’impression que je serais la seule à pouvoir raconter cette histoire, alors peut-être me lancerais-je dans ce projet.

Aimerez-vous jouer aussi dans des comédies romantiques ?

Oh oui ! QUAND HARRY RENCONTRE SALLY est mon film préféré ! Et j’aime aussi NUITS BLANCHES A SEATTLE. Je crois avoir vu toutes les comédies romantiques qui ont été tournées, y compris les moins bonnes, tellement je les apprécie ! J’aimerais beaucoup trouver un projet intelligent et original dans ce registre…

Quelle est la nouvelle série dont vous suivez tous les épisodes ?

THE MORNING SHOW, avec Jennifer Aniston, Reese Witherspoon et Steve Carrell. J’ai énormément d’admiration pour Reese Witherspoon en tant qu’actrice et que productrice. On ne le sait pas forcément, mais elle avait acheté les droits d’adaptation cinématographiques de GONE GIRL et de WILD avant de produire ces deux films. Quand David Fincher a commencé à préparer GONE GIRL, il l’a convaincue qu’elle ne devait pas jouer dans le film. Elle s’est alors consacrée à WILD, et son interprétation lui a valu une nomination à l’Oscar. Dans la vie, Reese est une personne très généreuse, qui n’hésitera jamais à aider, à donner des conseils. Je la considère comme un formidable exemple. Son énergie et sa détermination m’inspirent énormément.

Existe-t-il une vraie solidarité entre femmes à Hollywood, aujourd’hui ?

Oui. Nous nous parlons et nous soutenons dans les moments difficiles. Il y a tellement de combats à mener que c’est indispensable.

Avant L’HOMME INVISIBLE, vous aviez joué dans US, de Jordan Peele. Appréciez-vous la manière dont les bons films d’horreur et de science-fiction réussissent à divertir tout en évoquant des problèmes réels et importants de notre société ?

Oui, j’aime beaucoup cela. C’est vraiment le but de ces films. Jordan Peele est la première personne qui me l’a expliqué en détail et qui a évoqué ce qu’il appelle « un film popcorn qui a du sens ». Ces divertissements sont conçus pour vous faire rire, sursauter, pousser des cris d’effroi, et vous allez les voir avec plaisir dès leur première semaine d’exploitation en salles, avec un grand gobelet de popcorn à la main. Mais après les avoir découverts, quand vous en parlerez avec vos proches, vos amis ou vos collègues de travail, vous vous rendrez peut-être compte que certaines idées développées dans ces histoires sont plus profondes qu’il n’y paraît au premier abord. Cela deviendra plus évident lors d’un second visionnage. On pourrait dire qu’il s’agit d’un nouveau genre cinématographique, comme Jordan l’a démontré en écrivant et en réalisant GET OUT. Ce sont des films intelligents, avec des histoires significatives.

Pensez-vous qu’un film fantastique comme celui-ci peut aider les gens dans leurs vraies vies ? L’un des thèmes importants qu’il aborde est celui des violences domestiques, des abus physiques et psychologiques…

Je crois qu’il pourra contribuer à faire connaître ces problèmes à un plus grand nombre de gens, et notamment aux jeunes générations. Quand on prend conscience qu’une telle situation existe, on a envie d’agir. L’essentiel est de ne pas se laisser dominer par ses craintes, de ne pas être paralysé par l’angoisse. Le message est que l’on peut presque toujours faire quelque chose pour remédier à cela. Et trouver de l’aide pour s’en sortir.

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Wes Anderson sur son nouveau film THE FRENCH DISPATCH, et du tournage qui s’est déroulé en France ?

Oh mon dieu ! C’était vraiment un rêve devenu réalité ! Je suis une grande fan de Wes Anderson. C’est un génie ! Il se trouve que tout s’est fait à la dernière minute. Quand il m’a contacté pour me proposer ce rôle, nous étions en plein tournage de la nouvelle saison de LA SERVANTE ÉCARLATE, et par une coïncidence incroyable, il y avait quelques jours consécutifs pendant lesquels j’étais disponible alors qu’habituellement cela n’arrive jamais ! Wes m’a dit ‘Aimerais-tu venir tourner pendant quelques jours dans le Sud-Ouest de la France ?’ et je lui ai immédiatement répondu ‘Oh oui, oui, merci !’ (Elisabeth Moss dit ces mots en français). Bénéficier d’une si belle opportunité m’a rendue heureuse et m’a emplie de gratitude. Ce n’est qu’un petit rôle, mais cette expérience de tournage a été magnifique, car Wes Anderson est si charmant, drôle et intelligent que tout a été amusant et agréable à jouer. Mes scènes étaient filmées à Angoulême et je n’en revenais pas d’avoir la chance de me retrouver là, en France !

La suite de notre dossier consacré à L’HOMME INVISIBLE apparaîtra bientôt sur ESI. Bookmark and Share


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