Dans les coulisses de L’HOMME INVISIBLE, le nouveau grand succès du cinéma d’épouvante. Entretien avec le scénariste et réalisateur Leigh Whannell – 1ère Partie
Article Cinéma du Vendredi 20 Mars 2020

Ce n’est pas un hasard si L’HOMME INVISIBLE est devenu le nouveau hit mondial du cinéma d’horreur : depuis l’excellent UPGRADE, Leigh Whannell s’est imposé comme l’un des auteurs-réalisateurs les plus originaux et talentueux de la « nouvelle vague » du Fantastique, qui divertit tout en abordant intelligemment des sujets importants. ESI a rencontré Leigh Whannell à Los Angeles pour parler de la conception et du tournage de son film, à ne manquer sous aucun prétexte si vous aimez le suspense et les thrillers de qualité ! A noter : Universal rendra bientôt L’HOMME INVISIBLE disponible en VOD en raison de la fermeture des salles de cinéma liée à la crise du Coronavirus.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau.

Leigh, vous avez entamé votre carrière de scénariste avec SAW, et votre premier film en tant que réalisateur a été INSIDIOUS CHAPITRE 3. En tant qu’auteur et metteur en scène, qu’appréciez-vous le plus dans le registre de l’horreur ? Quelles sont les opportunités narratives, psychologiques et visuelles que ce genre cinématographique est le seul à pouvoir vous offrir ?

Vous savez, effrayer les gens est une drogue très addictive ! Vous détenez un certain pouvoir sur le public quand vous vous retrouvez dans la position de le terroriser. On pourrait certainement avancer que les personnes qui aiment diriger, contrôler, apprécient particulièrement les films de suspense angoissants. Parmi les réalisateurs, Hitchcock était certainement l’un de ceux qui aimait le plus contrôler tous les aspects de ce qu’il créait : s’il avait été en mesure d’animer ses acteurs comme des marionnettes, il l’aurait probablement fait ! (rires) Je me rappelle d’une anecdote intéressante racontée dans un documentaire qui lui était consacré, et qui révélait qu’il se rendait parfois dans un cinéma, restait à l’extérieur des portes de la salle, et faisait les mouvements d’un chef d’orchestre juste avant que l’on entende les cris d’effroi, les rires ou les exclamations du public ! Hitchcock savait à la seconde près quand il voulait que les gens s’esclaffent, sursautent ou hurlent de terreur ! (rires) C’est vraiment une question de pouvoir, de contrôle d’autrui, et je crains donc de faire partie des gens qui apprécient énormément de faire cela. Quand vous écrivez une scène effrayante, vous espérez que vous allez ensorceler le public, et vous continuez à aller dans ce sens quand vous tournez le film, mais en ayant un peu plus de mal à jauger de ce que pourra être l’impact final du projet. C’est plus facile de garder le cap pendant l’écriture, parce que le travail d’un auteur se fait généralement dans l’isolement, la solitude, comme si vous vous trouviez dans une pièce étanche, alors que sur un plateau de cinéma, il y a des dizaines et des dizaines de personnes qui s’affairent partout et qui vous demandent des instructions. Ce n’est que bien plus tard, quand vous vous rendez dans une salle qui projette le film, que vous pouvez enfin voir comment le public réagit et vérifier alors si ce que vous avez écrit et mis en scène fonctionne comme prévu. Je crois que susciter ces émotions chez les spectateurs sont les choses que je préfère quand j’écris et réalise un film d’horreur. Elles sont d’ailleurs très proches des buts que l’on tente d’atteindre quand on écrit et réalise une comédie : si les spectateurs rient, c’est la preuve indiscutable que vous avez bien fait votre travail !

J’avais énormément aimé votre film précédent, UPGRADE. Il était inventif, original et surprenant de bout en bout.

Merci beaucoup. Je considère comme des amis tous ceux qui ont vu UPGRADE et l’ont recommandé à leurs connaissances ! Sans leur aide, et ce « bouche à oreille » positif, je ne sais pas si j’aurais pu faire L’HOMME INVISIBLE.

Quelles sont les possibilités créatives spécifiques que vous a offert le mélange de la science-fiction et de l’horreur dans UPGRADE et dans votre adaptation de L’HOMME INVISIBLE ?

Je trouve que la science-fiction et l’horreur se marient remarquablement bien. Ce sont deux genres qui ont beaucoup d’affinités, et dont les thèmes sont souvent parallèles. Si l’on considère les plus grands films de ces deux registres sortis depuis 40 ans, on se rend compte qu’ils ont de nombreux points communs, à commencer par celui de la paranoïa. La SF décrit les angoisses suscitées par l’émergence de nouvelles technologies, la destruction des ressources de notre planète, l’arrivée de races supérieures d’extraterrestres ou la manière dont les intelligences artificielles pourraient dominer les êtres humains. Ces thèmes naissent de notre anxiété, de notre crainte de ce qui pourrait se produire dans le futur. Et même quand un film de SF est optimiste et réconfortant, comme E.T. , il contient malgré tout des scènes effrayantes comme l’irruption des services secrets gouvernementaux et des savants en combinaisons étanches dans la maison d’Elliot, avec la perspective terrible qu’ils capturent et emportent à jamais son ami extraterrestre. Les films d’épouvante fonctionnent de la même manière, en puisant dans nos angoisses. D’ailleurs certains de mes films d’horreur préférés sont des fusions de SF et d’horreur, comme THE THING de John Carpenter, ALIEN de Ridley Scott et ALIENS de James Cameron. Les deux premiers chapitres de la saga ALIEN sont de parfaits mélanges d’anticipation et d’épouvante. On ne peut pas nier qu’ALIEN est bien plus un film d’horreur que de SF. Mais ce qui brouille un peu les pistes, c’est que l’action se déroule dans l’espace. Le mélange de ces deux genres permet de puiser à la fois dans le registre illimité des dérives possibles de la science, et dans celui des conséquences horrifiques qu’elles pourraient avoir. Cela vous donne accès à un immense potentiel narratif.

Avez-vous lu ou relu le roman original de H.G. Wells avant d’écrire le scénario de votre version de cette histoire ? Si tel est le cas, quelles parties du livre vous ont-elles le plus inspiré et donné des idées pour ce film ?

Comme je suis un grand fan des vieux films Hollywoodiens qui ont institué le système du cinéma américain d’aujourd’hui, la première chose que j’ai faite a été de regarder L’HOMME INVISIBLE original de 1933, réalisé par James Whale. Je l’ai trouvé fascinant. J’ai visionné aussi d’autres films pour m’en inspirer, tels que LA FELINE, de Jacques Tourneur, qui est un formidable exercice de style sur ce que l’on ne montre pas. Je crois que c’est l’un des premiers films d’horreur qui a exploité l’idée géniale de faire peur avec ce que l’on ne voit pas, mais que l’on vous laisse imaginer. Je pense notamment à cette scène d’anthologie de la panthère qui rôde autour de la piscine : elle bénéficie d’une direction de la photographie remarquable, et bien sûr de la fantastique mise en scène de Jacques Tourneur. J’ai revu aussi SEULE DANS LA NUIT, de Terence Young, avec Audrey Hepburn, qui joue une jeune femme aveugle terrorisée par un trio de criminels qui croit qu’une poupée contenant un paquet d’héroïne a été cachée dans son appartement. Ces trois films m’ont inspiré chacun pour des raisons différentes. J’ai commencé aussi à relire le roman de H.G. Wells, mais je ne suis pas allé jusqu’au bout, car je n’ai pas voulu trop m’imprégner d’idées anciennes. Pour bien développer mon projet, il fallait que je procède comme si personne n’avait adapté L’HOMME INVISIBLE au cinéma auparavant, comme si c’était le tout premier film sur ce sujet. Je ne voulais surtout pas qu’il ait une ambiance « rétro » car le but était de le rendre très moderne. C’est la raison pour laquelle j’ai fait totalement abstraction des précédentes versions de ce personnage en écrivant ce scénario.

Devinez-vous qui se cache dans un coin et surgira bientôt sur ESI ? La deuxième partie de cet entretien, bien sûr !

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