Dans les coulisses de L’HOMME INVISIBLE, le nouveau grand succès du cinéma d’épouvante. Entretien avec le scénariste et réalisateur Leigh Whannell – 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 25 Mars 2020

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau.

Comment avez-vous utilisé ce qui vous effraie personnellement dans la vraie vie pour créer l’histoire, les situations et les images du film ?

Sans vouloir révéler trop de choses à ce propos, je considère que l’une des plus grandes sources d’angoisse moderne est l’idée que quelqu’un puisse semer le chaos dans votre vie grâce à la technologie. Si un hacker s’attaque à vos comptes bancaires, vole votre identité pour bénéficier de remboursements de frais médicaux à votre place, ou se fait passer pour vous sur les réseaux sociaux et diffuse de fausses déclarations qui vont ternir votre réputation, vous vous retrouvez dans des situations horribles. Ce genre de choses me fait vraiment peur, car je suis bien conscient du nombre d’éléments importants de ma vie qui dépendent d’internet, et dont les mots de passe se trouvent sur mes ordinateurs. Nous stockons tellement d’informations capitales de cette manière que nous sommes tous vulnérables, tous susceptibles d’être bernés par des hackers qui utilisent les techniques d’hameçonnage par mail pour infecter nos appareils et voler ces renseignements confidentiels. Vous pouvez aussi devenir la victime d’une personne qui décide de s’en prendre à vous sur les réseaux sociaux, qui vous calomnie en racontant des mensonges à votre sujet et qui déclenche ainsi des torrents de haine. Je me suis servi de tout cela pour imaginer que Cécilia, incarnée par Elisabeth Moss, voit son existence menacée par des forces extérieures qui s’immiscent dans sa vie, et accèdent à des informations qui sont normalement confidentielles. Vous comprendrez à quoi je fais allusion quand vous verrez le film.

Comment avez-vous choisi Oliver Jackson-Cohen pour tenir le rôle de l’homme invisible et Elisabeth Moss pour jouer la victime de sa vengeance ?

Oliver a été choisi assez tardivement dans le processus de la préparation du projet, car j’étais très exigeant sur le choix de l’acteur qui incarnerait l’homme invisible. Il a passé une audition en se filmant lui-même en vidéo à Londres, et en jouant une scène du script. Le résultat était saisissant. J’aime beaucoup découvrir le talent d’un acteur de cette manière-là, par le biais d’une audition « à l’ancienne ». Aujourd’hui, bien souvent, ce n’est plus comme cela que les choses se passent. Le studio, la production et le réalisateur se mettent d’accord sur le nom d’un acteur pour tenir l’un des rôles principaux d’un film, on lui fait une offre, et s’il l’accepte, les jeux sont faits. Il faut juste faire acte de foi et espérer que tout se passera bien quand vous découvrirez la façon dont il va interpréter le personnage. Pour Olivier, dès que j’ai vu la vidéo de son audition, je savais qu’il serait parfait dans ce rôle. En ce qui concerne Elisabeth, j’étais déjà un grand fan de son travail dans MAD MEN et dans LA SERVANTE ÉCARLATE. J’avais envie d’une actrice qui soit si naturelle et si crédible qu’elle entraînerait les spectateurs dans les situations du film. Par le passé, on a souvent décrié les films d’horreur en disant qu’ils étaient cheap et vulgaires, et que leurs personnages étaient des clichés éculés. Je crois que cela vient des slashers des années 80 dans lesquels les caractères des protagonistes poursuivis par le monstre ou le tueur en série étaient effectivement très peu développés. Il s’agissait clairement des futures victimes numéro un, deux, trois, etc. (rires) Et cela a contribué à ternir la réputation des films d’épouvante pendant un bon moment. Heureusement, ce genre est bien mieux considéré depuis une vingtaine d’années, grâce au succès critique et publique des films d’épouvante espagnols comme L’ÉCHINE DU DIABLE de Guillermo Del Toro, LA SECTE SANS NOM de Jaume Balaguero, ou plus récemment aux États-Unis, HÉRÉDITÉ d’Ari Aster et GET OUT de Jordan Peele. Mais cela a pris du temps ! Je voulais que L’HOMME INVISIBLE s’inscrive dans ce courant des nouveaux films d’horreur, et se situe dans un contexte crédible, bien ancré dans la réalité. Pour y parvenir, l’une des meilleures méthodes consiste à engager de brillants acteurs. Inversement, si vous choisissez la mauvaise personne, cela peut nuire énormément au résultat final. Mais je savais d’emblée qu’Elisabeth serait capable d’apporter tout le réalisme nécessaire en interprétant Cécilia.

Elle est étonnante dans tous ses rôles…

Oui. Jouer est aussi naturel pour elle que respirer. Il suffit de pointer la caméra sur elle et de la laisser faire !

A quel point est-ce difficile d’éviter de répéter les effets destinés à effrayer qui sont souvent employés dans les films d’épouvante, et d’en imaginer de nouveaux ? Pouvez-vous nous donner des exemples de nouvelles approches que vous avez inventées pour les besoins du film ?

C’est une question qui me concerne tout particulièrement parce que j’ai écrit et réalisé beaucoup de films d’horreur. De ce fait, je suis donc responsable d’un certain nombre de ces plans conçus pour faire peur aux spectateurs. Dans beaucoup de films d’épouvante récents, on utilise ce que l’on appelle les « sursauts de terreur » (« jump scare » en anglais), qui consistent à faire apparaître brutalement quelque chose d’effrayant, et j’y ai eu recours notamment dans les épisodes de la saga INSIDIOUS. Mais quand je suis assis devant mon ordinateur et que je travaille sur un nouveau projet, je n’ai pas envie de reproduire ce que j’ai déjà fait, en puisant dans mon vieux stock de trucs ! J’essaie de trouver des approches que l’on n’a pas encore vues dans les productions d’horreur, même s’il ne s’agit que de petits apports. Et l’une des choses que j’ai imaginées pour ce film, et que je n’avais jamais utilisées auparavant consiste à faire de la caméra un personnage, afin qu’elle transforme des endroits anodins en espaces dont on va avoir peur. Voilà comment cela fonctionne concrètement : si pendant une scène la caméra fait un panoramique sur la gauche pour nous montrer un espace vide d’un appartement, sans ombre, bien éclairé, sans personne dans le cadre, avec un mobilier banal, cela induit insidieusement l’idée que quelque chose se tapit peut-être là…Un spectateur qui achète un ticket pour aller voir un film intitulé L’HOMME INVISIBLE se doute forcément que ce personnage se cache quelque part. En suggérant cette idée, la caméra devient un personnage, un regard de cette histoire. Et elle développe sa propre curiosité, sans se laisser imposer de suivre les déplacements des acteurs, comme c’est le cas d’habitude. Généralement, on oublie que la caméra est là justement parce que l’on suit les personnages. Dans ce film, c’est l’inverse : on abat le « 4ème mur » et on la laisse réagir indépendamment. Il peut même arriver que pendant une scène de dialogues, elle s’éloigne du groupe des acteurs et parte observer un endroit apparemment vide du décor. Et là, l’imagination des spectateurs devient mon effet visuel le plus important. Ils vont se dire « Si l’on va là, c’est qu’il y a une raison. Cet endroit n’est peut-être pas vraiment vide. » Cela crée une suspicion, une ambiance paranoïaque qui correspond au sujet du film, et qui est différent de ce que j’ai fait auparavant.

Cela évoque aussi les créations d’Hitchcock, et notamment la manière dont il avait inversé tous les codes des poursuites des films policiers dans LA MORT AUX TROUSSES, en plaçant Cary Grant non pas la nuit dans une petite ruelle sombre par temps d’orage, mais dans une immense plaine ensoleillée avec un paysage visible à des kilomètres, au bord d’une route vide. Et au lieu que ce soit une voiture qui surgisse pour le tuer, c’est un avion…

Absolument. Et il y avait aussi l’idée que Cary Grant ne pouvait se cacher nulle part, dans un paysage aussi plat et dégagé. Hitchcock est le premier à avoir eu l’idée d’inverser ces clichés, et depuis tout le monde s’inspire de ses stratagèmes !

La troisième partie de cet entretien se rendra bientôt visible sur ESI.

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