[25ème anniversaire] The X-Files : Dans les coulisses des 9 premières saisons
Article TV du Mardi 11 Septembre 2018
Rares sont les séries des années 1990 qui auront su s'approcher autant que X-files des standards de qualité de la production cinématographique. Chris Carter, auteur ô combien exigeant de la série, s'implique dans chacune des étapes de sa création, et pousse ses équipes à se dépasser. Qu'il s'agisse de l'écriture des scénarios, des tournages en extérieurs, ou de ses effets visuels et de maquillage, l'équipe de The X-Files a toujours réussi à accomplir un travail remarquable. Chaque saison a brillamment repoussé les limites des productions du petit écran…
Par Pierre-Eric Salard
Premiers pas
Peter Roth, ami de Chris Carter et président des productions TV de la Fox, engage en 1983 une équipe expérimentée, composée des réalisateurs David Nutter, Rob Bowman et Kim Manners, et des scénaristes Glen Morgan et James Wong. Le directeur de la photographie John Bartley invente l'atmosphère visuelle angoissante de la série en utilisant à merveille les décors extérieurs très variés de Vancouver. Ce remarquable travail lui permettra d'obtenir un Emmy Award en 1996. La direction artistique est confiée à Graeme Murray (Smallville), le montage à Heather MacDougall (Jericho) et le maquillage à Toby Lindala (X-Men 2). Le superviseur des effets visuels Mat Beck se sert des premiers trucages numériques, encore rares dans les séries du début des années 90. Ce qui ne l'empêche pas d'utiliser d'autres effets spéciaux plus simples, mais très astucieux : « L'épisode « Gorge Profonde » nécessitait que Mulder soit puissamment éclairé par un OVNI. Nous avons utilisé un portique d'éclairage sur lequel nous avons fixé un équipement de discothèque des années 1970 ! D'où les animations typiquement « disco » des lumières sur le sol ! » Dans l'épisode « l'Ange Déchu », un alien translucide traverse des rayons lasers dans une forêt. Afin de créer cet effet, on a filmé deux prises. La première est vierge de toute action ; la seconde nécessite la présence d'un technicien qui doit incarne le monstre, afin de pouvoir détourer sa silhouette de l'image. « Il a revêtu une énorme « chaussette orange » qui recouvrait l'intégralité de son corps ! Le résultat était tellement comique que toute l'équipe a été prise d'un long fou rire ! » (Signalons que le plan sans trucage est inclus dans les bonus du coffret DVD de la première saison). Malgré un budget modeste (à l'échelle d'une série américaine) d'un million de dollars par épisode, le planning du tournage requiert un important dispositif humain chaque saison. Le producteur R.W. Goodwin s'occupe alors de près de 300 personnes ! « X-Files était la série la plus compliquée à produire », affirme-t-il. « Nous devions tourner un véritable film tous les huit jours ! ».
Les règles de la narration
La première saison établit les limites scénaristiques de la série. Au début, les cadres de la Fox suggèrent à Chris Carter que chaque épisode s'achève par une explication des phénomènes paranormaux ! « Vous ne pouvez pas faire ça », leur rétorque Carter. « Expliquer l'inexplicable est une idée ridicule, notre auditoire est trop intelligent pour cela ! » Il est donc décidé que « les histoires n'auront pas d'explications forcées, mais se concluront par une certaine résolution émotionnelle ». La troisième enquête de la série, « Compressions », devient le modèle des épisodes « hors-mythologie », que l'on a surnommés les « monstres de la semaine ». Ces aventures sont consacrées à des événements indépendants de la fameuse conspiration et des agissements des extraterrestres. La recette narrative de la série est née. « Compressions » reste d'ailleurs un souvenir marquant pour David Duchovny, puisque l'interprète de l'extensible et monstrueux Tooms débarque sur le plateau entièrement nu et recouvert d'une substance visqueuse ! A l'origine, les scénaristes de la série n'ont pas prévus de mythologie à long terme. Leur unique objectif est d'obtenir les meilleurs taux d'écoute possible, afin que la série soit reconduite pour une seconde saison ! « Naviguant à vue », les auteurs s'égarent parfois : on ne s'étonnera donc pas que cette première fournée d'épisodes ne bénéficie donc pas de la cohérence qui fera ensuite la richesse de X-Files. Conscients de ce défaut, Chris Carter et ses scénaristes se réunissent et imaginent plusieurs aspects de la future mythologie. Ils prévoient une véritable unité thématique en préparant la seconde saison. L'ultime épisode de la saison 1, « Les Hybrides », tire profit de cette nouvelle cohésion des récits. X-Files est finalement reconduite malgré des taux d'audience assez moyens. ( Selon les critères actuels, X-Files se serait arrêté là !) « On a tout réussi dans cette première saison », déclare Chris Carter. « Je dis ça car c'est sur ces fondations que la suite a été bâtie ». En dépit de ces débuts modestes, un bouche à oreille sur crée sur Internet et apporte de nouveaux téléspectateurs à la série. « Après chaque épisode, les fans se connectaient à un newsgroup et en discutaient. Ce fut le début du phénomène... »
Les origines du culte
Un problème « de taille » surgit à l'approche de la seconde saison : Gillian Anderson est enceinte ! Chris Carter refuse catégoriquement de remplacer l'interprète de Dana Scully, une idée un temps évoquée par les dirigeants de la Fox. « Nous avons imaginé de nombreuses solutions, y compris un bébé alien ! », explique Chris Carter. « Nous avons finalement décidé de cacher la grossesse, même si un oeil aguerri peut la remarquer ». Les premiers épisodes de la seconde saison ont donc souvent recours à des gros plans sur le visage de Scully ! On la voit aussi assise derrière un bureau ou menant une autopsie, son ventre rond caché par l'équipement et par une blouse très ample... Les scénaristes Glen Morgan et James Wong quittent alors la série pour créer Space 2063. Ils sont remplacés par Darin Morgan et Vince Gilligan, futurs piliers de X-Files. La saison deux est marquée par une créativité débordante, et des aventures marquantes, qui oscillent souvent entre la comédie et le drame. L'épisode final, « Anasazi », se conclut par un « cliffhanger » au suspense inoubliable - cela deviendra une habitude les saisons suivantes - qui se déroule dans une réserve indienne Navajo. Pour des raisons économiques, une portion de carrière des alentours de Vancouver est peinte en ocre rouge, pour évoquer à peu de frais les paysages du Colorado ! En cette fin de secondes saison, les taux d'audience ne décollent toujours pas aux Etats-Unis. X-Files est pourtant diffusé dans une soixantaine de pays où elle marche bien, et reçoit même le Golden Globe 1995 de la Meilleure série... devant Urgences ! ?
Consécration
La saison suivante obtient enfin un succès retentissant aux USA, ce qui permet à X-Files d'obtenir cinq Emmy Awards. On note la participation des acteurs Giovanni Ribisi, Jack Black et Lucy Liu, encore peu connus. Suite à l'annulation de leur série, Glen Morgan et James Wong reprennent du service et signent « La Meute », un épisode d'une violence rarement vue à la télévision, qui ne sera d'ailleurs diffusé qu'une seule fois sur la Fox. En 1996, Chris Carter débute le tournage d'une seconde série, toujours à Vancouver : Millenium.
X-Files est alors la série la plus populaire de la Fox. Écrit par le trio Vince Gilligan, John Shiban et Frank Spotnitz, le segment « Régénérations » est même diffusé - consécration suprême - juste après le Superbowl ! L'épisode « Jamais plus » devait être mis en scène par Quentin Tarantino, dont le film Pulp Fiction venait de faire sensation. Sa participation est malheureusement annulée car il n'est pas membre de l'Association Américaine des Réalisateurs... Pour sa prestation dans ces épisodes où Dana Scully est atteinte d'un cancer, Gillian Anderson reçoit deux prix de la Meilleure Actrice d'une série dramatique : aux Golden Globe et aux Emmy Awards. Pour l'équipe des X-Files, il est temps de passer à la vitesse supérieure...
Un film, deux saisons
Personne ne prend de vacances entre les saisons 4 et 5 : le tournage du film X-Files : Combattre le futur a lieu pendant l'été 1997 ! Le projet, réalisé par Rob Bowman dans le plus grand secret, est prétendument intitulé Blackwood afin de détourner l'attention des curieux ! L'origine du film remonte à la seconde saison. Invité à assister à une convention X-Files, Chris Carter visionne alors un épisode sur grand écran et s'étonne de voir à quel point il s'adapte bien à cette présentation. La série possède un tel potentiel qu'il lui semble possible de la transposer au cinéma. Carter sacrifie alors son temps libre pour écrire le scénario avec Frank Spotnitz, puis pour préparer le tournage du film, qui bénéficie d'un budget de soixante-six millions de dollars.. Seules trois semaines de pré-production sont débloquées...C'est bien court ! Le scénario est imprimé sur du papier rouge pour empêcher toute photocopie, et de fausses informations sont répandues pour brouiller les pistes. Plusieurs scènes additionnelles sont tournées début 1998, pendant le tournage de la cinquième saison, ce qui provoque l'absence de David Duchovny ou de Gillian Anderson dans certains épisodes.
Déménagement
La cinquième saison impose des défis importants aux scénaristes. Ils doivent non seulement écrire des épisodes sans Mulder et Scully, mais aussi créer les événement qui établiront un lien avec le film, déjà tourné ! Plusieurs segments seront signés par des auteurs de renom, dont Stephen King et William Gibson, l'inventeur du genre cyberpunk. Le contrat de Chris Carter avec la Fox – et donc X-Files - devait se terminer en cette saison, mais le succès de la série le pousse à signer un nouveau contrat. David Duchovny en profite pour demander que la production quitte Vancouver pour s'installer à Los Angeles, ce que Chris Carter approuve. Le dernier épisode de la saison est donc le dernier tourné à Vancouver. Par coïncidence, il s'intitule justement « La Fin » ! Une grande partie de l'équipe d'origine, dont le producteur R.W. Goodwin, ne suit pas la série jusqu'en Californie. La saison cinq est la plus suivie de l'histoire de la série. Elle obtient seize nominations aux Emmy Awards – un record ! En revanche, pendant l'été 1998, les américains ne se déplacent pas en masses pour voir le film dans les salles de cinéma. X-Files : combattre le futur obtient cependant un joli succès à l'international, rapportant 189 millions de dollars à sa sortie...
Grâce au déménagement de la production d'X-Files, la sixième saison bénéficie d'un apport de sang neuf. Le climat californien ensoleillé modifie l'atmosphère des épisodes, qui peuvent désormais être tournés sur les lieux de l'action - notamment au Nevada. La saison suivante bénéficie de scripts écrits par les écrivains Tom Maddox et William Gibson. Gillian Anderson réalise un épisode, tout comme l'Homme à la cigarette, William B. Davis. Mais l'ambiance se dégrade dans les coulisses… La Fox est en litige avec Chris Carter et David Duchovny pour différentes raisons personnelles. Le coût de production inhérent au tournage en Californie commence également à peser sur le studio... ?
Le début de la fin
Suite à un arrangement avec la Fox, David Duchovny décide de réduire sa participation à la saison suivante, ce qui remet en question la survie de X-Files. Contre toute attente, et malgré les réserves clairement exprimées par Chris Carter, une huitième saison est commandée. « Peu de gens réalisent que les derniers épisodes des saisons 7 et 8 ont été écrits sans que nous sachions si la série allait revenir à l'antenne l'année suivante ! », avoue le producteur Frank Spotnitz. « Ils ont donc été conçus de manière à fonctionner aussi bien en tant que fin de saison que de fin de série. » Spotnitz et Carter introduisent finalement de nouveaux personnages, John Doggett et Monica Reyes, afin de palier à l'absence de Duchovny. Enthousiaste, Carter déclare que la série pourrait continuer pendant dix ans avec de nouveaux protagonistes et mythologies. Mais les audiences ne suivent pas. Les fans n'admettent pas l'absence de Fox Mulder et la faible présence de Scully dans la neuvième saison. Les principaux personnages de X-Files apparaissent une dernière fois dans « La Vérité est ici », un épilogue suivi par moins de téléspectateurs que le pilote ! Après neuf années d'une belle aventure, l'équipe de production se sépare définitivement... jusqu'en 2007, pour le tournage du film Régénération. Et il aura ensuite fallu attendre 2015 pour que Mulder et Scully signent leur retour...