Avant-première PETIT VAMPIRE : Entretien avec Joann Sfar, producteur, concepteur des graphismes des personnages, co-scénariste et réalisateur – 1ère partie
Article Animation du Samedi 26 Septembre 2020

Propos recueillis par Pascal Pinteau

C’est le 21 octobre que sortira en salles l’un des événements de cette année dans le domaine du cinéma d’animation : le nouveau long métrage réalisé par Joann Sfar. Cette fidèle transposition du récit des origines de Petit Vampire et de ses amis, que nous avons eu le plaisir de visionner en avant-première, est une vraie réussite, une aventure émouvante, amusante, dont les personnages attachants plairont autant aux enfants qu’à leurs parents. ESI s’est entretenu avec Joann Sfar afin qu’il nous raconte comment il a adapté son œuvre la plus personnelle.

Les origines de PETIT VAMPIRE : de l’autobiographie au Fantastique

Comment l’univers de PETIT VAMPIRE est-il né ? Quelles ont été vos sources d’inspiration, ce que vous avez toujours aimé dans le Fantastique ?


J’ai eu beaucoup de chance parce que mon grand père ne croyait pas aux différences entre les récits pour enfants et les histoires pour les adultes. Quand j’étais petit, il m’achetait des revues de cinéma fantastique, avec des photos de films d’horreur et des images de monstres. Et à partir de l’âge de 12 ou 13 ans, il m’emmenait voir des films d’épouvante destinés aux grandes personnes. J’ai donc eu le plaisir de baigner dans un univers de créatures qui me convenait parfaitement. En revanche, le domaine dans lequel j’ai eu moins de chance, c’est que j’ai perdu ma mère avant mes quatre ans, ce dont je parle dans à peu près tous mes livres. J’ai grandi dans un imaginaire dans lequel le fait que les morts puissent parler était une bonne chose : c’était une manière de continuer à nous donner de leurs nouvelles. Après, quand je suis allé à l’école maternelle puis à l’école primaire, je me souviens avoir imaginé qu’un petit bonhomme venait faire mes devoirs à ma place dans la salle de classe. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais quand nous étions petits, il était interdit d’amener des jouets à l’école. Chez moi, j’étais très gâté, j’avais beaucoup de joujoux, mais comme ils me manquaient en classe, je dessinais des personnages sur des feuilles de papier pour m’amuser. Et notamment celui qui venait me voir et faisait mes exercices. Le temps a passé, je suis devenu auteur de bandes dessinées, puis les éditions Delcourt m’ont demandé de réfléchir à un récit spécifiquement destiné aux enfants. Je leur ai proposé ce petit vampire qui était à la fois issu de mes rêves, de mes jouets et des choses que j’aimais quand j’étais petit, mais aussi de mes souvenirs d’Antibes, où étaient installés mes grands-parents, qui m’ont pratiquement élevé. Les plus beaux souvenirs de mon enfance datent de toute cette période que j’ai passée chez eux.

Il y a donc énormément d’éléments autobiographiques dans PETIT VAMPIRE …

Oui. Et tout le paradoxe, c’est que cela s’adresse aux enfants alors que c’est le plus autobiographique de tous mes récits. Je suis surtout connu pour LE CHAT DU RABBIN, et pourtant la famille de cette histoire-là ne ressemble absolument pas à la mienne. On pourrait juste dire que la fille du Rabbin est inspirée de ma grand-mère, mais en partie seulement. Par contre, dans PETIT VAMPIRE , les grands-parents, ce sont les miens, Michel c’est moi, et le petit vampire, c’est moi aussi ! (rires)

Pourquoi ?

Parce que ce petit vampire que ses parents ne laissent pas sortir parce qu’ils ont vraiment peur de ce qui se passe à l’extérieur, cela ressemble à ce que j’ai vécu pendant mon enfance. Comme j’avais perdu ma mère et que j’avais énormément de médecins dans mon entourage, on avait toujours peur qu’il m’arrive quelque chose. J’étais un enfant médicalisé même quand il était en très bonne santé, et on me glissait toujours des vitamines dans les poches ! Donc le coup de colère du petit vampire qui en a marre qu’on ne le laisse pas sortir, et qu’on lui dise que tout est dangereux, je dois dire que je l’ai souvent ressenti moi aussi. Je constate d’ailleurs que plus je m’adresse aux enfants en créant un récit imaginaire, plus je raconte des chose intimes.

Petit Vampire existe depuis plus de trente ans…

Oui, et ces livres sont souvent utilisés pour aider les enfants qui ont eu des traumatismes, des familles bizarres, ou qui ont subi des choses pas drôles. Mon crédo, c’est de ne jamais m’attaquer à la souffrance intime de l’enfant, à ce qu’il a vécu de pénible, mais de travailler sur la perception sociale de son identité. Quand on est orphelin, tout le monde s’imagine qu’il faut vous plaindre, que vous avez du chagrin, et que vous êtes une petite chose fragile, un bonhomme en sucre…Il y a eu une période dans la littérature pour enfants où l’on a beaucoup mis en scène des orphelins qui étaient des garçons de ferme. Dans la plupart des récits pour enfants, il y a un fantasme de l’orphelin, comme dans HARRY POTTER, qui a été écrit par une personne qui a grandi avec ses deux parents. Elle s’adresse à des enfants qui ont leurs deux parents, et aime bien fantasmer avec ses jeunes lecteurs sur le fait d’être orphelin. On rêve que nos parents ne soient pas nos parents, on rêve d’avoir un destin exceptionnel. Pour les vrais orphelins, le principal problème, c’est la perception sociale des autres. Moi, à l’école, j’étais celui qui offrait le plus de dessins aux copains, qui participait à la fête de fin d’année, qui faisait le clown, qui aimait faire marrer tout le monde parce que j’étais terrifié par l’idée que l’on puisse m’identifier à quelqu’un d’ennuyeux, de triste, avec lequel on ne va pas s’amuser. J’essaie donc, par le biais de la fiction, d’expliquer aux enfants qui ont des familles cabossées qu’en fait, nous avons tous plus ou moins des familles biscornues, et que ça n’induit pas un comportement particulier. C’est pour cette raison que le petit Michel, qui n’a pas ses parents dans mon histoire, est grassouillet, rigolo, bondit dans tous les sens et n’a aucune des caractéristiques fantasmées que l’on plaque habituellement sur les orphelins.

Michel le dit, d’ailleurs…

Oui. Il craque au moment où il est enfermé dans un sac avec les monstres qui sont devenus ses amis. Il pleure et leur confie ‘Avec vous, je ne suis pas obligé d’être rigolo.’ Là, je parle de la différence qui existe entre les copains et les amis. Les copains, on est là pour les faire marrer, tandis qu’avec les amis, on peut partager nos soucis et nos peines.

La suite de notre dossier PETIT VAMPIRE apparaîtra à la nuit tombée sur ESI. Bookmark and Share


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