Avant-première PETIT VAMPIRE : Entretien avec Joann Sfar, co-scénariste et réalisateur – 2ème partie
Article Animation du Vendredi 02 Octobre 2020

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Les sources d’inspiration dans le Cinéma et la Pop Culture

Quels sont les clichés du Fantastique qui vous amusent particulièrement et dont vous vous êtes servis ?


Plus les films sont anciens, plus ils me plaisent. Je pense par exemple aux productions des Studios Universal réalisées dans les années 30 avec le monstre de Frankenstein, le Loup-Garou, Dracula, la Momie, etc. Et aux productions anglaises de la Hammer des années 50 à 70, avec les mêmes personnages, qui ont un aspect théâtral jusque dans le design de certains de leurs masques, de leurs maquillages. C’est une sorte de Commedia dell’Arte, comparable avec le théâtre Yiddish d’Europe de l’Est, ou avec les fameuses pièces aux effets sanglants du Grand Guignol à Paris. Ce qui concerne moins PETIT VAMPIRE, c’est le tournant des années 70 où le cinéma fantastique et d’horreur américain a débarqué dans le réel avec des films comme MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper. Avant, le cinéma italien avait lancé les « Gialli ». C’est la période charnière pendant laquelle le monstre surnaturel a commencé à faire moins peur que le tueur qui surgit dans la vraie vie. Si j’adore cela en tant que spectateur, je n’en fais pas usage dans PETIT VAMPIRE.

Vous préférez la poésie qui entoure les monstres plus anciens…

Oui, et j’aime leurs maquillages et leurs costumes. C’est leur apanage, au même titre que les tenues des super-héros ou les masques et les habits traditionnels des personnages de la Commedia Dell’arte.

Dans les décors des productions Universal, il y a aussi cette forte influence des films expressionnistes allemands, dont le côté graphique doit vous plaire énormément, comme les murailles biscornues du manoir du docteur Frankenstein, les décors oniriques de forêt construits en studios avec des ciels peints, les façades gothiques des maisons des villageois…

Bien sûr ! Pour vous parler plus en détail de mes inspirations, la maison hantée de PETIT VAMPIRE est très inspirée par celle du jeu de rôle des années 80 L’APPEL DE CHTULHU , avec lequel je jouais quand j’étais petit. L’autre référence, ce sont les posters réalisés dans les années 60 par Disney sur l’attraction du Manoir Hanté, THE HAUNTED MANSION. Quand Walt Disney a créé ses parcs, il a fait appel aux meilleurs dessinateurs de ses équipes d’animation, et les illustrations préparatoires de ces attractions sont absolument éblouissants.

C’est le grand animateur Marc Davis qui les avait créés.

Exactement. Mes personnages doivent énormément à tout ce folklore humoristique qui a été créé autour des films d’horreur aux États-Unis. Une autre de mes références, ce sont les maquettes horrifiques très choquantes de la marque américaine Aurora, dont les illustrations des boîtes avaient été dessinées par James Bama, un peintre réaliste américain qui représentait habituellement les cowboys et les indiens. Quand on avait assemblé ces maquettes de monstres, certaines brillaient dans le noir. Aurora a fini par avoir des problèmes en voulant commercialiser une guillotine que l’on m’a offerte quand j’étais petit ! Et j’ai été ravi de l’avoir, car elle a été interdite à la vente à peine deux semaines plus tard ! (rires) C’était très amusant de peindre et de construire ces personnages d’épouvante : il y avait une sorcière, le Bossu de Notre-Dame, le monstre de Frankenstein… Je dois ajouter qu’un autre film m’a beaucoup marqué aussi : le FRANKENSTEIN JUNIOR de Mel Brooks, que j’avais vu à Nice au moment de sa sortie. D’ailleurs, vous devez connaître cette anecdote à propos de ce film : en cherchant quelqu’un qui pourrait lui faire un décor de laboratoire aussi beau que celui du film original de James Whale, Mel Brooks est tombé sur quelqu’un qui lui a dit ‘Moi, je peux faire aussi bien, et pour une bonne raison : j’ai construit l’équipement de Frankenstein ! Je l’ai gardé dans mon garage ! ‘ Et c’est ainsi que cette parodie a été tournée avec les mêmes équipements que ceux du film de James Whale.

Oui, le créateur génial de ces machines électriques à très haut voltage s’appelait Kenneth Strickfaden. Aux États-Unis, on lui a même consacré un livre intitulé Kenneth Strickfaden : Dr Frankenstein’s electrician.

Ses appareils étaient incroyables. A propos des maquettes Aurora et des jouets, je dois préciser que mon grand-père, le papa de ma maman disparue, m’envoyait des catalogues de jouets et me disait que je pouvais cocher dedans ceux qui m’intéressaient. Je notais tous les jouets que je voulais, et après je les recevais, ce qui rendait mon père fou de rage. Il disait à mon grand-père ‘Tu vas faire de Joann un enfant gâté pourri !’ et ce dernier lui rétorquait ‘Non, parce que ce n’est pas un con !’ (rires) Et comme si tout cela ne suffisait pas, mon papa qui travaillait avant sur l’importation du matériel optique Zeiss en Algérie, s’est reconverti dans le jouet en arrivant en France. Lui et mes cousins venus eux aussi d’Algérie se sont associés pour devenir les premiers importateurs de jouets japonais. Et chaque année, ils me donnaient tous les prototypes des figurines qui étaient trop horrifiques pour que les occidentaux les achètent !

Incroyable !

Je vous garantis que les fabricants japonais avaient une imagination sans limite, car ils mélangeaient allégrement l’enfantin, le gore et le bizarre. J’ai donc passé mon enfance avec des personnages en plastique souple qui avaient un œil qui leur sortait des fesses ou d’autres choses de ce genre ! (rires) J’ai un autre souvenir lié aux peurs de l’enfance. Quand mon grand-père m’emmenait au cinéma, nous allions parfois voir des productions d’épouvante italiennes comme LE COMMANDO DES MORTS-VIVANTS. Il s’agissait de séances avec deux titres à l’affiche. Mais je ne voyais pas tous les films d’horreur qui sortaient à cette époque. Alors pour frimer un peu, je racontais à mes copains certains films que je n’avais pas vus en me basant sur ce que j’avais lu dans L’Écran Fantastique, Starfix ou Mad Movies. Je leur ai donc décrit à ma manière CANNIBAL FEROX, CANNIBAL HOLOCAUST ou d’autres productions gore de ce genre-là. Mais j’ai fini par me faire gauler le jour où j’ai inventé un film dans lequel les gens étaient intoxiqués et transformés en zombies après avoir bu du vin frelaté, et que j’ai dit qu’il s’appelait LES RAISINS DE LA COLERE ! (rires)

Vous aviez brodé sur LES RAISINS DE LA MORT, de Jean Rollin…

Oui ! Et pour conclure sur les peurs liées au cinéma, je dois dire que l’affiche du film de David Lynch ELEPHANT MAN m’avait terrifié. Le visage de John Hurt était caché derrière une sorte de cagoule miteuse avec un seul trou. Cette image m’avait épouvanté parce que je voulais savoir comment était ce visage si monstrueux qu’il devait être dissimulé. Et je n’arrivais pas à voir une seule photo du personnage. Un de mes camarades de CM2 qui avait vu le film, mais qui était certainement le plus mauvais dessinateur de la classe, avait entrepris de représenter Elephant Man pour me révéler ses traits ! C’était tellement mal dessiné que ça faisait presque encore plus peur, d’autant que je voyais sur le visage de mon copain que ça l’avait marqué…C’était une toute autre époque, car aujourd’hui les images d’horreur sont faciles à trouver sur internet, et les extraits visibles sur YouTube en quelques clics. Quand j’étais enfant, ces images-là étaient ésotériques, et difficilement accessibles. Il y avait tout un chemin initiatique à entreprendre pour parvenir jusqu’au moment où l’on allait enfin pouvoir porter les yeux sur ces photos choquantes. Je me souviens aussi qu’un camarade qui avait vu MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE m’avait mimé le film du début à la fin. Je me rappelle comme si c’était hier de mon copain jouant cette scène du film dans laquelle le grand-père zombifié suçote le doigt d’une victime ! (rires) Quand on vous raconte ça dans une classe de CM2, vous êtes marqué à vie ! Bref, j’ai dessiné toute cette ribambelle de monstres assez tôt. Bien plus tard, j’ai donné forme aux albums du Petit Vampire après avoir déjà représenté des créatures horrifiques dans des BDs destinées aux adultes qui s’intitulaient LE PETIT MONDE DU GOLEM et LE GRAND VAMPIRE. Pour créer des graphismes adaptés aux enfants, je me suis beaucoup inspiré de Charles Schultz et de Peanuts, et de plusieurs dessinateurs japonais, comme Leiji Matsumoto, le créateur d’ALBATOR, qui fait cohabiter des personnages amusants et d’autres nettement plus inquiétants. J’ai commencé à travailler sur ces albums au moment où ONE PIECE débutait et où DRAGON BALL Z triomphait, et cela a certainement eu aussi une influence sur ma manière de dessiner les personnages.

Les monstres sympas aux formes extravagantes qui vivent dans la maison hantée font penser aussi aux créatures surnaturelles des légendes japonaises, les yokai…

Absolument. Une médium m’a dit un jour ‘On croit toujours que les fantômes ont une présence maléfique, mais si on prend la peine de revenir d’entre les morts, ce n’est pas forcément pour embêter tout le monde !’

Votre film est aussi une lettre d’amour au cinéma…

Oui, je l’ai rempli de petits messages pour les enfants, pour titiller leur curiosité, en espérant qu’un jour ils s’apercevront que PANDORA est le titre d’un merveilleux film avec Ava Gardner, et qu’ils pourront voir les productions de la Hammer dont mes personnages parlent pendant les scènes du ciné-club. J’aurais d’ailleurs aimé inclure les extraits précis des films qui sont cités, comme LE MASQUE DE LA MORT ROUGE, avec Vincent Price, mais pour des questions de droits, cela n’a pas été possible.

Avez-vous inclus dans le film des petits clins d’œil aux autres aventures de Petit Vampire, pour les fans qui ont lu tous les albums ?

Non, mais il y a des références à des films ou des BDs d’horreur. Par exemple, quand Michel va se réfugier dans les marais, j’ai inclus à la fois la SWAMP THING d’Alan Moore, LA CREATURE DES MARAIS qu’a fait Marvel en « s’inspirant » de Swamp Thing, et L’ÉTRANGE CREATURE DU LAC NOIR d’Universal. Et quand la porte de la maison s’ouvre, j’ai fait apparaître plein de créatures du cinéma bis des années 60, comme ceux qui figuraient dans le livre d’Alain Schlockoff, « Cent Monstres du Cinéma Fantastique ».

La suite de notre dossier PETIT VAMPIRE aura autant de mordant quand vous la découvrirez bientôt sur ESI. Bookmark and Share


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