Entretien exclusif avec Pete Docter, scénariste et réalisateur de SOUL, la nouvelle pépite des Studios Pixar – 2ème partie
Article Animation du Mercredi 23 Decembre 2020

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quand on voit le film, on est époustouflé par la profusion de détails et la crédibilité de tous les décors de New York. Quel processus avez-vous utilisé pour parvenir à ce niveau de qualité et d’authenticité, tout en donnant une stylisation humoristique à ces environnements ?

Nous avons commencé par nous rendre à New York pour y prendre des dizaines de milliers de photos des endroits qui correspondaient à notre histoire. Nous avons utilisé Google Maps en complément, puisque grâce à cette application, on peut se déplacer virtuellement partout où on le souhaite. Et nous nous sommes appuyés aussi sur le vécu de plusieurs personnes de notre équipe qui ont grandi dans cette ville, comme Kemp Powers, le co-réalisateur et co-scénariste du film, qui a grandi à Brooklyn. Kemp connaît beaucoup d’endroits particuliers, très pittoresques, que nous avons intégrés dans ces environnements. Nos décorateurs se sont imprégnés de tout cela en apportant une touche de caricature et de stylisation à ces évocations de New York, afin d’éviter qu’elles ne ressemblent à de simples photos. Techniquement, les logiciels que nous utilisons permettent d’obtenir des rendus très réalistes, et de reproduire parfaitement les effets de reflets, les ombres, les éclairages, etc. Mais si vous observez attentivement ces décors en les comparant aux vraies rues de la ville, vous vous rendrez compte que nos équipes ont exagéré certaines formes : les immeubles sont plus grands et plus fins que dans la réalité, ou beaucoup plus larges et plus épais, et cette approche humoristique se marie bien avec le design de nos personnages humains. Le niveau de détails dont vous parlez est un peu plus facile à obtenir avec les outils numériques actuels qu’à l’époque où nous réalisions TOY STORY et MILLE ET UNE PATTES. Mais même si les équipes du département artistique ont trouvé des raccourcis techniques pour automatiser un peu certaines tâches, cela représente encore énormément de travail minutieux à réaliser, et la qualité du résultat final est entièrement à mettre à leur crédit !

Pouvez-vous parler de l’importance de la vérité émotionnelle et de la sincérité des propos dans vos films, et dans les origines du projet qui est devenu SOUL ?

Je crois qu’elle est essentielle, et que le public attend cette vérité et cette sincérité de nous quasiment depuis nos premiers films. J’ai pu constater cette importance aussi dans ma propre vie, bien sûr. Vous savez, si vous racontez une histoire au public en tentant de le manipuler de manière artificielle, il le sent tout de suite. Cela lui donne l’impression que vous le prenez de haut, en sous-estimant son intelligence, et vous perdez les spectateurs en route car ils se désintéressent totalement de ce qui se passe. La vérité et la sincérité sont les premières pierres, les fondations sur lesquelles repose l’édifice de Pixar. Nous n’hésitons jamais quand nous avons le choix entre une option d’histoire facile et une autre plus épineuse : nous préférons toujours aborder des sujets qui ne sont pas aisés à traiter, parce qu’ils ont généralement beaucoup plus de sens, et qu’ils évoquent davantage de circonstances réelles de nos vies. David Hand, qui était le superviseur de la réalisation de BAMBI, a dit ‘On ne peut jamais apprendre en faisant quelque chose de facile’. Et je suis convaincu que c’est vrai. Si vous pouvez faire quelque chose rapidement et sans effort, ce n’est pas enrichissant. Par contre, s’atteler à un sujet ardu, quel qu’il soit, et déployer toutes vos capacités créatives pour réussir à vous en emparer produira un résultat qui aura infiniment plus d’impact et de signification. Voilà les qualités que nous recherchons pendant la conception de nos films, et je crois que Soul aborde certainement le plus difficile de tous les sujets, qui est ‘Pourquoi suis-je là ? Que dois-je faire de ma vie ? Qu’est-ce que mon existence quotidienne apporte au monde ? Comment pourrait-elle le rendre meilleur qu’il n’était avant que je naisse ?’ Bref, ce n’est pas le genre de thème qui vous incite à dire spontanément ‘Oh, ce sera parfait pour amuser les enfants !’ (rires) Trouver le moyen de le traiter est un vrai défi, mais quitte à me répéter, cela nous a permis une fois encore d’aborder des choses importantes, qui nous concernent tous.

Quand vos collègues de Pixar vous proposent de nouvelles idées de films, quels sont les types de points forts visuels ou narratifs qui vous séduisent d’emblée, presque instinctivement ?

Oh, ça change à chaque fois ! Certaines personnes pitchent des histoires de manière si drôle et si charmante que vous êtes conquis à la fois par elle et par leur proposition. Je pense à quelqu’un comme Bob Peterson, par exemple, avec lequel j’ai travaillé sur Là-Haut. Bob a le don d’imaginer des personnages très originaux, et comme c’est un acteur-né, il a également prêté sa voix à Roz dans MONSTRES ET COMPAGNIE, au chien Alpha dans LA-HAUT, et à plusieurs autres protagonistes de nos films. Il parvient à donner un charme excentrique et une ironie mordante à ses personnages. Bob fait partie de ces gens qui ont tout un univers dans leurs têtes. Il vous captive en lançant des idées qui vous font réagir, vous donnent tout de suite envie d’en savoir plus, et de partir à la découverte de ce monde. Mais ce n’est pas la seule approche possible : d’autres personnes vont préférer présenter d’abord la thématique générale de leur pitch et des illustrations conceptuelles. Chacun a une méthode différente. Ensuite, quand un projet est validé, il faut encore le travailler et l’améliorer car à ce stade il n’est jamais abouti sur tous les points : personnages, structure de l’histoire, approche visuelle…Au début, c’est un peu comme si vous conduisiez une voiture dont une seule des quatre roues accroche bien la route et vous fait avancer. L’objectif est de trouver les solutions pour que toutes les roues accrochent l’asphalte et que le véhicule roule parfaitement, et à plein régime !

Ces dernières années, les personnages de Pixar sont devenus de plus en plus présents dans les parcs Disney. Collaborez-vous avec le département Imagineering sur les transpositions de vos films en attractions ?

Oui, autant que nous le pouvons. Aller dans les parcs est toujours un moment de joie, et je dois dire que c’est l’un des divertissements que je préfère dans la vie. Même après toutes ces années passées à Pixar, je suis encore sidéré chaque fois que je vois nos personnages se promener dans les décors de Disneyland. Je n’arrive toujours pas à y croire ! Ça me paraît complètement fou ! J’adorais déjà Disneyland quand j’étais enfant, et je crois que si j’ai choisi de faire carrière dans l’animation, c’est parce que j’ai été émerveillé par la capacité de ce lieu à nous entraîner dans des univers imaginaires, et à nous donner l’impression de faire réellement partie de ces aventures. Je crois que c’est l’imaginieur Tony Baxter qui a dit un jour ‘La particularité de Disneyland, c’est que tout vous invite à jouer’. C’était exactement ce que je ressentais quand j’y allais pendant mon enfance, et j’éprouve encore ce plaisir aujourd’hui. Ce sens de l’émerveillement. Je suis ravi quand nos films peuvent s’intégrer aux nouveaux projets des parcs. Bien sûr, comme les imaginieurs sont des maîtres et des experts techniques dans leur domaine, nous nous gardons bien de leur suggérer comment il faudrait faire les choses, nous nous contentons de leur fournir toutes les informations et l’aide dont ils ont besoin pour mener à bien la conception et la réalisation de leur attraction ou de leur spectacle. Et après, nous nous délectons en découvrant le résultat final ! Bookmark and Share


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