ZACK SNYDER’S JUSTICE LEAGUE : les coulisses de la renaissance d’un film – 4ème partie
Article Cinéma du Jeudi 29 Avril 2021
Par Perry White
La Mise En Œuvre Du Projet
Si un tournage est toujours le fruit d'un travail collectif, les collaborateurs de la première version de JUSTICE LEAGUE étaient enchantés de se replonger dans cet univers. Pour certains d'entre eux, il s'agissait de l'aboutissement – tant attendu – de leur travail. D'autres, réduits au chômage technique en raison de la pandémie, étaient en mesure de mettre à profit leur disponibilité et leurs compétences.
D'un point de vue logistique, plusieurs étapes nécessitant la présence physique des techniciens (comme le tournage, par exemple) étaient déjà franchies. La plupart des studios d'effets visuels se situent aux quatre coins de la planète, si bien qu'ils ont l'habitude de fonctionner à distance. Snyder a pu travailler de chez lui grâce à un dispositif AVID que son monteur était à même de piloter à distance. Et lorsqu'une opération devait impérativement être effectuée en présentiel, toutes les mesures de sécurité sanitaires étaient respectées. Comme, par exemple, le tournage d'une scène inédite réunissant Batman, le Joker et d'autres super-héros. Un objectif qui allait forcément poser quelques problèmes.
"On se disait qu'on allait le faire sans en parler à qui que ce soit", explique le réalisateur. "J'ai discuté avec Jared et je lui ai dit qu'on allait réunir Ben et lui et tourner la scène dans mon jardin… et l'intégrer au film. J'ai donc écrit la scène et on a réussi à la tourner".
Mais ce n'était pas si simple. (En toute sincérité, tout le monde serait prêt à payer cher pour assister à un affrontement entre Batman, campé par Affleck, et le Joker, incarné par Leto, dans le jardin des Snyder !) Il faut voir qu'on était alors au plus haut de la pandémie, que les comédiens ont toujours des emplois du temps ingérables – surtout quand ils tournent aux quatre coins de la planète – et que les transports aériens étaient réduits au minimum. Or, Ezra Miller tournait le troisième volet des ANIMAUX FANTASTIQUES au Royaume-Uni et ne pouvait pas revenir aux États-Unis. Et, bien évidemment, il y avait une date-butoir pour tourner cette séquence qui se rapprochait à grands pas. Mais la production était résolue à aller au bout du projet.
"On voulait absolument filmer une séquence inédite", signale Deborah Snyder. "C'était très compliqué mais on s'est débrouillés. L'équipe de tournage d'Ezra a gentiment accepté de tourner la scène et Zack l'a dirigé via Zoom. Les syndicats et le studio ont été formidables car ils ont mis en place un protocole permettant de tourner en toute sécurité malgré le COVID. On a suivi toutes leurs recommandations et c'est ce qui a préservé la sécurité sanitaire de tous".
Étant donné que la possibilité concrète de ce tournage n'était pas franchement prise au sérieux, personne n'a songé aux costumes en latex qui, visiblement, ne sont pas aussi résistants qu'on pourrait le croire. Deborah Snyder se souvient du moment où Affleck tentait d'enfiler le masque de Batman et que celui-ci est tombé en lambeaux. "On n'avait pas le temps de refaire fabriquer d'autres costumes", dit-elle. "Heureusement, la scène se déroule dans une période post-apocalyptique et les accessoires ne sont pas censés être en bon état !"
La bande-originale est sans doute le seul élément qui a dû être intégralement créé à nouveau. Par conséquent, Snyder a contacté le compositeur néerlandais Junkie XL, alias Thomas Holkenborg, qui avait écrit la partition de la première version, et lui a donné carte blanche. "Junkie est l'un de mes plus proches collaborateurs depuis un bon moment", précise le cinéaste. "Il a travaillé avec Hans Zimmer et il a signé la musique de quelques-uns de mes films. Quand j'ai abandonné le projet de JUSTICE LEAGUE, la production a décidé de ne pas utiliser la partition de Junkie pour une raison que j'ignore. Et lorsque je lui ai annoncé qu'on allait travailler sur une nouvelle version correspondant à ma vision initiale, je crois qu'il avait hâte de s'y replonger".
L'intuition du réalisateur était bonne. Bien qu'il ait dû imaginer une musique de quatre heures – durée inédite – dans un isolement quasi-total en raison de la pandémie ("c'était mon sommet de l'Everest", confie le musicien), il s'est attelé à ce projet titanesque avec passion. Bénéficiant de plus de liberté que d'habitude, Junkie a insufflé un vrai lyrisme à chaque thème des personnages principaux pour mieux évoquer sa trajectoire personnelle.
"Il fallait que le thème de la Ligue des Justiciers résonne comme l'hymne national d'un pays", déclare le compositeur. "Quand on l'entend, on se dit qu'on a envie de s'y joindre – de se mettre à l'entonner, au stade, pour encourager son équipe. On a un sentiment d'unité". Junkie avait mis au point quelques thèmes pour la première version qui, comme il le raconte, lui ont rappelé d'excellents souvenirs de sa collaboration avec Zack Snyder – et Hans Zimmer – sur MAN OF STEEL, BATMAN V. SUPERMAN : L'AUBE DE LA JUSTICE, et WONDER WOMAN.
"Pris chacun isolément, ces personnages ont un point commun : un passé douloureux", poursuit le compositeur. "Leurs thèmes expriment de la souffrance, de la noirceur, de la mélancolie et de la détresse, et il fallait que je trouve plusieurs approches différentes pour que ces sentiments s'accordent à chaque personnage. Batman incarne la colère et porte un regard très sombre sur le monde. Superman est une créature noble et ne voit que ce qu'il y a de positif chez les autres. Tout comme Wonder Woman, même si je tenais à retravailler son thème musical avec des éléments de world music car les Amazones me faisaient penser à un clan. Aquaman méritait d'avoir son propre thème de super-héros avec de très beaux morceaux solo. Cyborg a une histoire très sombre : je voulais quasiment un adagio, digne de la musique classique. Au cours d'une scène spectaculaire, on découvre le passé de Cyborg et ce qu'il est devenu. C'était un rêve d'écrire la musique pour une séquence pareille ! J'avais la possibilité de composer quinze minutes de musique, sans effets sonores et presque sans aucun dialogue".
Junkie a travaillé avec des musiciens du monde entier de manière peu orthodoxe, en suivant un calendrier tout aussi peu conventionnel. Alors qu'en général une bande-originale mobilise des centaines de musiciens réunis dans la même pièce et est enregistrée en fin de tournage, Zack Snyder, lui-même grand mélomane, a passé plusieurs mois à encourager le compositeur à se montrer ambitieux. Le réalisateur a par ailleurs choisi certaines chansons préexistantes, comme "Song to the Siren" de Nick Cave ou la magnifique reprise de "Hallelujah" par Leonard Cohen.
"Je pensais à ces morceaux repiqués à partir de disques vinyle depuis des années", commente le cinéaste. "Ça se sent en voyant le film que ces choix musicaux sont très personnels et me tiennent à cœur".
En guise d'épilogue
Que ressent-on en faisant aboutir un projet aussi pharaonique ?
"Je crois que les fans vont être heureux de découvrir notre travail : on a davantage développé la trajectoire des personnages", précise Deborah Snyder. "Diffuser ce film sur HBO Max nous a permis de fouiller la psychologie des personnages, ce qu'autrement on n'aurait jamais pu faire. Je ne cesse de me pincer car ça n'a pas l'air réel. Mais je crois que lorsque les spectateurs du monde entier verront le film, il me semblera plus concret. On s'est attelé à ce projet pendant si longtemps, isolés les uns des autres, et cela a été un périple extraordinaire. Pouvoir enfin partager la vision de Zack avec le monde entier est tout simplement magnifique".
"Pour Zack et moi, ce n'est pas seulement professionnel", conclut la productrice. "Quand nous faisons des films, nous vivons ce que nous faisons à 100%. Réussir à aller jusqu'au bout d'un projet qui n'aurait jamais dû exister … c'est un rêve éveillé".