Entretien exclusif avec Alexandre Aja, le réalisateur du thriller de science-fiction OXYGÈNE - 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 14 Mai 2021

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Mélanie Laurent réalise une performance impressionnante dans OXYGÈNE. Qu’est-ce qui vous a incité à lui proposer ce rôle forcément éprouvant à tourner ?

J’avais déjà eu l’occasion de la rencontrer brièvement au moment de la sortie d’INGLORIOUS BASTARDS, et cela faisait plusieurs années que je cherchais une opportunité de collaborer avec elle. Ce qui m’a toujours frappé chez Mélanie, c’est son charisme, la vive intelligence que l’on sent dans son regard, et l’empathie qu’elle suscite chez le spectateur. Quand on la voit dans un film, on s’intéresse immédiatement à elle, et on se préoccupe de ce qui va lui arriver. Et cela, ce sont des qualités qui étaient absolument indispensables pour mener à bien un projet aussi particulier que l’est OXYGÈNE, où tout repose sur elle. Je dois avouer que j’étais assez fébrile quand nous lui avons envoyé le script. Allait-elle accepter de se lancer dans un tel projet, avec les contraintes de tournage que cela allait représenter ? Heureusement, elle l’a aimé immédiatement, même si elle devinait que ce rôle allait être un sacré défi à relever. Il lui était difficile d’imaginer ce qui cela allait donner réellement, une fois allongée dans le caisson, devant les caméras, pendant la vingtaine de jours prévue pour le tournage.

Comment a-t-elle réagi en découvrant les vraies conditions du tournage, et en se retrouvant dans l’espace réduit du caisson ?

Nous avons tout fait pour créer un environnement rassurant pour Mélanie, et ménager des temps de pause, mais rester si longtemps dans ce décor exigu a forcément été éprouvant pour elle. Comme c’est une femme courageuse, elle a pris sur elle et a joué ces situations à fond, avec une sincérité et une intensité étonnantes.

Vous réussissez à nous présenter de nouveaux points de vues du caisson et du personnage principal tout au long du film. Votre mise en scène et l’interprétation de Mélanie Laurent sont imbriquées de manière étonnante…

Nous avons beaucoup travaillé en ce sens, et préparé les cadrages en amont pour éviter les répétitions visuelles. La mise en scène s’adapte effectivement aux émotions du personnage, pour les faire ressentir de la façon la plus efficace possible au spectateur, mais au-delà de tout cela, c’est Mélanie qui est notre socle, notre matériau de base, et j’ai été sidéré par tout ce qu’elle est parvenue à nous offrir.

C’est Mathieu Amalric qui prête sa voix à l’interface vocale du caisson, M.I.L.O.. Pourquoi avez-vous fait appel à lui ?

Dans notre récit, ce caisson médicalisé a été conçu pour être en mesure de surveiller et de traiter des patients de manière pratiquement autonome. Et comme les systèmes sont automatisés, ils sont dotés d’une interface vocale pour des raisons pratiques de communication avec la personne qui se trouve dans le dispositif. Cependant, cette voix n’est pas celle d’une intelligence artificielle « suprême » comme celle de l’ordinateur de bord HAL dans 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE. J’ai préféré éviter cela, pour ne pas dériver vers des clichés presque parodiques. M.I.L.O. est simplement un système d’interface vocale un peu plus avancé que Siri ou Alexa le sont actuellement. En lisant ses dialogues dans le script, j’entendais toujours une voix chaleureuse, veloutée, rassurante, avec une diction impeccable, qui correspondait exactement à celle de Mathieu. A vrai dire, comme je ne voyais que lui dans ce rôle, j’ai été ravi et bien soulagé qu’il l’accepte !

Le design et la fabrication du caisson sont l’oeuvre du chef décorateur Jean Rabasse. Mais avez-vous demandé à votre directeur de la photographie Maxime Alexandre d’intégrer dans ce décor tous les éclairages dont vous alliez vous servir pour filmer Mélanie Laurent ?

Absolument. La direction artistique de l’éclairage découlait du design du caisson. C’était très complexe à mettre en place, car la présence de chaque élément lumineux devait être crédible et liée aux fonctions des équipements médicalisés : écrans, témoins lumineux, affichages de textes, etc . La seconde difficulté était de réussir à maintenir une bonne continuité d’éclairage quand nous passions du premier caisson au deuxième, car nous en avions fabriqué deux. Il fallait ajuster un peu la lumière pour préserver cette continuité, mais nous y sommes parvenus.

Quelles étaient les caractéristiques des deux caissons, et comment avez-vous réussi à faire bouger la caméra autour de Mélanie Laurent tout en créant l’illusion que cet espace reste complètement clos ?

Il y avait deux caissons complets. Le premier était totalement modulable, et les équipes de Jean Rabasse ont fait en sorte que l’on puisse démonter très vite ces modules, sans perdre de temps pour préparer l’installation du plan à venir. Le deuxième caisson nous permettait de changer immédiatement d’installation, pendant que les modules du premier étaient réorganisés, et il pouvait se lever en position verticale pour que nous puissions nous placer derrière Mélanie, et filmer son point de vue, par-dessus son épaule. C’était le seul moyen de tourner les champs / contre-champs des scènes où on la voit mener des recherches pour savoir qui elle est et comprendre sa situation. Les deux caissons ont été extrêmement difficiles à créer, car ils sont truffés d’éléments qui sont contrôlés de l’extérieur, et donc il y avait des centaines de fils reliés à des commandes pour les alimentations électriques et le contrôle des éclairages, ainsi que les différentes sources vidéo des affichages des écrans, qui fonctionnaient réellement.

Le mystère au cœur du récit se révèle tout au long du film. Avez-vous pu tourner ces scènes dans l’ordre chronologique ?

Oui. C’est rarement possible, mais dans ce cas précis, nous avons jugé que c’était indispensable pour construire les réactions du personnage étape par étape avec Mélanie, et s’appuyer sur les émotions successives par lesquelles elle passe. C’était la seule façon d’avancer dans l’évolution de l’énigme en restant au plus proche du personnage.

Dans de nombreux plans, l’intérieur du caisson reste net même quand vous cadrez le visage de Mélanie Laurent. Conserver cette profondeur de champ a du être complexe…

Comme la continuité essentielle du film, c’est la performance de Mélanie, il fallait que l’on reste proche d’elle, des expressions de son visage, de son regard. A partir de là, j’ai considéré que je pouvais me permettre de changer de styles de prises de vues, de varier les objectifs et les façons de filmer en me servant de ce qu’ils apportaient à la restitution des émotions du personnage. Comme je vous le disais précédemment, nous avons testé de nombreux objectifs et types de caméras avant le tournage, en nous servant d’une simple boîte en bois et d’une doublure. Ces essais de mouvements de caméra et de cadrages nous ont permis de choisir les équipements les plus efficaces et les rendus d’images dont nous avions besoin.

Où en est votre projet d’adaptation en prises de vue réelles de la cultissime série d’animation japonaise COBRA ? En avez-vous parlé avec Netflix ?

Quitte à me répéter, parce que je l’ai souvent dit, COBRA est vraiment une passion absolue depuis mon enfance. Nous avons développé le projet, nous étions quasiment prêts à le tourner, et puis sont arrivés LES GARDIENS DE LA GALAXIE, et les nouveaux STAR WARS, et tout cela nous a freiné. Maintenant que c’est un peu passé, il y a à nouveau un appétit pour ce type de Space Opera et d’aventures spatiales. J’ai l’impression que l’on s’approche de plus en plus des conditions qui permettront de revoir COBRA sur le grand écran. Je l’espère vraiment, car ce serait exceptionnel. Quand nous avons commencé à travailler sur ce projet, il y a une dizaine d’années, le seul projet concurrent était l’adaptation en live action de COWBOY BEBOP, qui devait se tourner avec Keanu Reeves, et qui avait lui aussi du mal à aboutir. Aujourd’hui, COWBOY BEBOP existe, c’est Netflix qui le produit, et donc il y a effectivement des nouveaux partenaires qui seront peut-être intéressés par COBRA, et qui pourraient nous permettre de réaliser notre rêve. Nous verrons bien… Bookmark and Share


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