RAYA ET LE DERNIER DRAGON : Entretien avec les réalisateurs et le co-scénariste – 2ème partie
Article Animation du Lundi 07 Juin 2021

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à préparer, animer et à finaliser avec des effets visuels ? Et quels sont les films d’Asie en prises de vues réelles qui vous ont inspirés pendant la création de certaines séquences de RAYA ?

Carlos López Estrada
: Plus que certaines séquences, je dirais que c’est le travail entrepris pour créer et différentier les cinq pays de Kumandra, leurs climats, leurs topographies, leurs esthétiques et leurs habitants qui a été le plus complexe à réaliser et à rendre cohérent, compte tenu des milliers de références réelles que nous avions engrangées. Parfois c’était une transposition plus aisée à faire comme dans le cas de la séquence du prologue, qui a été inspirée par les marionnettes à tiges du théâtre d’ombres de cette région du monde. Mais dans d’autres cas, il fallait que le style moderne du montage ne déséquilibre pas l’ambiance des environnements que nous avions créés. Tout cela était très délicat à doser. En ce qui concerne les références puisées dans les films en prises de vues réelles, Qui pourra certainement vous citer plus de titres que je ne pourrai le faire, car dans mon cas, et aussi dans celui de Don, notre exemple ultime de perfection dans le registre des films d’action est LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE !

Qui Nguyen : Dans le domaine des films d’art martiaux, je me suis concentré sur ceux qui concernent les disciplines issues de l’Asie du Sud-Est, contrairement au Karaté japonais et au Kung-Fu chinois. Je pense notamment au Muay Thai Thailandais, et à l’Arnis de Malaysie. En ce qui concerne les films, ceux que j’ai conseillé aux animateurs de visionner sont ONG-BAK, car Tony Jaa y fait une magnifique démonstration de Muay Thai, ainsi que la Saga JASON BOURNE / LA MEMOIRE DANS LA PEAU dans laquelle on utilise l’Arnis. Cela leur a donné beaucoup de références de mouvements de combat typiques de cette région.

Don Hall : Comme Carlos l’a dit, je suis un « Spielbergien », car j’ai grandi dans les années 70 / 80, dans une banlieue pavillonnaire semblable à celles que l’on voit dans E.T. ou LES GOONIES. Et nous nous sommes souvent référés à ce chef d’œuvre du cinéma d’action qu’est LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE. Je crois que ce film a inspiré énormément de cinéastes.

Qui, je me demandais si certaines légendes d’Asie qui vous ont enchanté pendant votre enfance vous ont inspiré pendant l’écriture du scénario ? Pouvez-vous également nous dire comment vous avez utilisé votre expérience de spécialiste des Arts Martiaux dans la narration de cette histoire ?

Qui Nguyen
: Nous ne nous sommes pas inspirés de légendes précises, mais je dois dire que dans cette région du monde, de nombreux récits mettent en scène des guerrières courageuses comme les sœurs Tru’ng Trac et Tru’ng Nhi, qui ont réellement existé et qui ont repoussé pendant trois ans les attaques chinoises au Vietnam. Elles sont considérées comme des héroïnes nationales là-bas. Les femmes de ma famille ont été une source d’inspiration pour moi, surtout ma mère, qui a fait preuve de beaucoup de courage et de persévérance en quittant son pays natal, le Vietnam, pour venir s’installer aux USA dans les années 70. J’ai eu énormément de chance qu’elle me guide dans ma vie. En ce qui concerne l’autre partie de ma carrière, j’ai supervisé des combats d’Arts Martiaux destinés aux spectacles de théâtre à New York, avant de venir m’installer à Los Angeles. Et quand je me suis mis à travailler sur des scripts, je n’aurais jamais imaginé que cette expérience puisse m’être utile en tant qu’auteur, et pourtant, elle l’a été quand le projet de RAYA s’est présenté. Et d’ailleurs, cela ne s’est pas arrêté là : je me souviens encore de la manière malicieuse dont Carlos est venu me dire ‘Hé, ça t’intéresserait de devenir aussi le consultant en Arts Martiaux du film ?’ car il savait pertinemment que j’allais accepter dans la demi-seconde suivante ! (rires) Disney aurait pu faire appel aux plus célèbres superviseurs de cascades d’Hollywood, et au lieu de cela, l’équipe du film a décidé de me faire confiance. J’en ai été très honoré et cela a représenté quelque chose de très important pour moi.

Comment avez-vous mêlé les techniques de combat et les symboles qu’elles représentent à la narration de cette histoire ?

Qui Nguyen
: Elles font partie des rituels et du patrimoine culturel que nous avons voulu évoquer dans le film, au même titre que l’architecture ou la gastronomie, mais il s’agissait aussi de rendre hommage à la manière dont mon peuple bouge. Mon père et moi avons pratiqué les Arts Martiaux ensemble et partagé ainsi de merveilleux moments de complicité. Nous nous sommes inspirés de cela pour montrer dans le film comment le père de Raya, Benja, lui enseigne ses techniques pour défendre la pierre du Dragon. C’était important pour moi d’utiliser cet aspect de ma vie pour apporter cette touche de réalisme émotionnel à notre histoire.

Don, pouvez-vous nous raconter comment Noi le bébé escroc et son trio de singes voleurs ont été inventés ?

Don Hall
: Je dois être un peu dérangé pour avoir eu une telle idée ! (rires) Comme l’aventure de Raya est une quête qui lui fait traverser les cinq pays de Kumandra, nous avons décidé assez tôt que chacun d’entre eux serait représenté par un seul personnage. Et quand est venu le moment d’imaginer qui pourrait tenir ce rôle pour le pays de Talon, où se trouve le marché de nuit, je me suis dit que ce serait amusant que cette adorable petite fille, ce bébé apparemment sans défense, soit une voleuse qui arnaque les voyageurs ! Je sais que ce n’est pas crédible, car vu son jeune âge, elle ne devrait pas pouvoir imaginer de tels stratagèmes, ni commander une bande de singes, mais quand j’ai parlé de cette idée, elle a tellement fait rire l’équipe que Noi a abouti dans le film. Les scènes dans lesquelles elle apparaît me réjouissent à chaque fois que je le visionne, parce que les animateurs ont déployé des trésors d’imagination pour lui faire faire à chaque fois des choses malicieuses, y compris dans les plans larges où elle côtoie d’autres personnages. Noi est devenue ainsi la source de nombreux gags, mais elle joue aussi un rôle important à la fin du film, et apporte sa contribution à un moment poignant. Je dois dire que j’apprécie qu’elle agisse sans dire quoi que ce soit, juste en poussant des petits cris et en babillant, car cela met encore plus en valeur le travail des animateurs qui nous montrent par ses gestes et ses mimiques ce qu’elle pense et ce qu’elle veut faire.

Le design des singes de Noi est particulier, n’est-ce pas ?

Don Hall
: Oui, car ils ressemblent à la fois à des singes et à des ornithorynques, ces petits mammifères à bec de canard qui vivent en partie dans l’eau. Comme Kumandra est un monde imaginaire, nous avions envie de donner des caractéristiques surprenantes à ces créatures.

Carlos López Estrada : Les singes sont fréquemment représentés dans l’architecture et l’art statuaire des pays d’Asie, et souvent décrits comme des voleurs. A force de côtoyer les hommes, ils sont passés maîtres dans l’art de détourner leur attention pour chiper de la nourriture ou des objets qui les intriguent. Plusieurs membres de notre équipe en ont fait l’amère expérience pendant nos voyages en Asie ! (rires)

Les logiciels de simulation 3D ont tellement progressé ces dernières années et ont été utilisés dans tant de bons films d’animation qu’il devient de plus en plus difficile d’étonner le public. Selon vous, quelle est la clé pour parvenir à créer malgré cela une magie visuelle assez efficace pour surprendre les spectateurs ?

Don Hall
: C’est un problème vraiment intéressant, et une question que nous nous posons souvent. Je crois que la solution ne peut venir que de l’histoire que vous allez raconter au public. Il faut absolument qu’elle soit captivante, universelle et émouvante pour que les spectateurs se sentent en empathie avec les personnages, se soucient de leur sort et aient envie de savoir ce qui va se passer. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que vous pouvez construire visuellement le récit, et lui donner une vraie force émotionnelle. Il faut jouer sur d’autres aspects de la création du film. Dans le cas de notre projet, après avoir finalisé le scénario et élaboré la prévisualisation des scènes, nous avons tenté d’aller très loin dans la simulation des textures des vêtements et des rendus des environnements, pour leur donner encore plus de crédibilité visuelle. L’éclairage joue aussi un rôle capital, car la plupart des scènes du film se passent dans des décors extérieurs. Recréer des ambiances lumineuses naturelles dans des paysages 3D est un exercice aussi subtil que complexe. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes souvent référés aux séquences tournées en vidéo HD pendant les voyages que l’équipe a faits en Asie. La dernière touche, dans le domaine de la direction de la photographie et des prises de vues, a consisté à ajouter un grain d’image qui évoque la pellicule alors que tout a été créé en 3D. Nous n’avons pas hésité à en mettre une bonne dose, car en images de synthèse, les plans finalisés sont trop parfaits, trop « lisses » si vous voulez. C’était important à nos yeux pour donner à Raya l’aspect d’une vraie expérience cinématographique.

Carlos López Estrada : Pour compléter ce que Don vient de dire, je voudrais préciser aussi l’importance des choix d’objectifs que nous avons utilisés sur les caméras virtuelles pour « filmer » chaque plan, ainsi que le recours à des effets de « caméra portée à l’épaule » transposés également en 3D. Cela apporte une part importante de crédibilité à ce que nous montrons, car en 3D, le danger est de se laisser griser par le fait qu’il n’y a plus aucune limite physique ni visuelle à ce que l’on peut représenter. Se référer constamment à la réalité, rester ancré dans le langage visuel du cinéma en prises de vues réelles est un bon moyen de préserver une l’harmonie entre l’aspect des images et la crédibilité des émotions du récit.

Les problèmes du monde réel ont eu un impact sur la production du film, puisque vous avez dû l’achever en télétravail en raison de la pandémie. Mais le climat de division qui a régné aux USA ces dernières années a-t-il également influencé le traitement de cette histoire ?

Don Hall
: C’est indiscutable, car l’équipe créative de RAYA a été témoin comme vous de l’escalade des tensions aux États-Unis et dans d’autres pays. Nous avons tous été frappés de voir des oppositions de plus en plus marquées naître un peu partout dans le monde, avec des conséquences souvent dramatiques. Ce n’est pas un hasard si le thème central de notre histoire repose sur la nécessité de dialoguer pour rétablir la confiance entre les camps opposés, et de travailler ensemble, quelles que soient nos différences d’opinions, pour surmonter les épreuves. Bookmark and Share


.