Entretien exclusif avec Michael Waldron, chef scénariste de la nouvelle série des Studios Marvel, LOKI – 2ème partie
Article TV du Vendredi 18 Juin 2021

Dans la nouvelle série-événement de Marvel, le dieu de la malice voyage dans le temps et l’espace, avec une mission à mener.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous aimez visiblement beaucoup la science-fiction. Pourriez-vous nous dire quelles ont été vos principales influences dans ce domaine, au cinéma, à la télévision et dans les comics, et nous parler de l’impact que cela a eu sur vos contributions à LOKI ?

Oui, j’adore la SF ! Je dirais que LOKI, même si l’humour y est très présent, a été influencé par les œuvres de SF dans lesquelles il y a un côté thriller, enquête criminelle dans un environnement d’anticipation impressionnant. Je pense à des films comme BLADE RUNNER, aussi bien l’original que l’excellente suite réalisée par Denis Villeneuve, ont eu un grand impact sur nous, aussi bien esthétiquement que créativement. BLADE RUNNER est un film qui prend le temps de créer des atmosphères et de laisser les spectateurs s’en imprégner, pour leur plus grand plaisir. Il explore les motivations, les secrets et les contradictions des personnages sans enchaîner constamment les scènes d’action. Et je dois dire que pouvoir changer de tempo de cette manière est l’une des choses qui me séduisait le plus dans la perspective de venir travailler sur une série télé des Studios Marvel. Je savais que nous allions pouvoir prendre notre temps pour installer les personnages, que nous pourrions imaginer de longues scènes de dialogue quand ce serait nécessaire pour bien structurer la construction dramatique de l’histoire. Il faut reconnaître que c’est une situation vraiment fantastique pour une équipe de scénaristes. C’est aussi ce qui m’a poussé à revoir de purs thrillers en dehors des productions de SF, comme LE SILENCE DES AGNEAUX, ZODIAC ou SEVEN. Mais parmi les séries télé les plus récentes, c’est la série de SF de Netflix MANIAC qui m’a le plus impressionné. Je ne peux pas vous citer d’influence particulière dans les comics, en dehors de ce qui a été fait par les auteurs de Marvel autour de Loki, car la Time Variance Authority a été créée spécialement pour cette série et n’est donc jamais apparue avant dans les BDs.

Loki est à la base un menteur, un être qui passe sa vie à tromper et à trahir pour son plus grand plaisir. Mais comme il est aussi le héros ou l’anti-héros de cette série, avez-vous considéré qu’il y avait quand même certaines limites à ne pas lui faire franchir ?

Non, je ne crois pas qu’il existe réellement des lignes à ne pas dépasser, quel que soit le personnage que l’on met en scène dans un script, car si vous pensez cela d’emblée, vous allez limiter dans votre esprit ce qu’il pourrait être amener à faire, au détriment de la qualité de l’histoire. Quand on commence à écrire pour un personnage, il prend rapidement une sorte d’indépendance et vous montre dans quelle direction il doit aller, comme s’il avait sa propre volonté, que vous ne contrôlez pas. La seule contrainte que j’ai imposé au cours de nos premières réunions dans la salle des auteurs, consistait à tenir compte des dix années pendant lesquelles nous avons vu Loki agir dans les films du MCU, et à nous interdire de reproduire les mêmes scènes. C’était le seul tabou que nous nous sommes astreints à respecter, car notre objectif était d’entraîner ce personnage dans des situations et des lieux où il n’était jamais allé. Nous devions aussi explorer sa personnalité, comme si nous étions des archéologues fouillant l’immense terrain de sa mémoire, et creusant pour en extraire des traumas et des souvenirs capables de le faire agir de manière différente. Au début, compte tenu du thème des voyages temporels, nous pouvions aller dans toutes sortes de directions, tout était ouvert. Et quand je vois le travail que nous avons accompli et les choix que nous avons faits, je crois que nous sommes parvenus à créer une aventure intéressante, que les spectateurs devraient prendre plaisir à suivre.

Au moment où nous parlons, la continuité narrative du MCU est constituée de 23 films et de deux séries, et tout cela représente une quantité impressionnante d’histoires. Est-ce que cela vous laisse malgré tout la possibilité d’intervenir dans ce passé du MCU, compte tenu du fait que le Loki de la série est celui de l’époque du premier AVENGERS, et non pas celui qui a péri entre les mains de Thanos, dix ans plus tard, dans AVENGERS INFINITY WAR ?

Absolument. Nous avons presque une liberté totale, puisque nous construisions un nouvel univers à l’intérieur de celui du MCU, en faisant intervenir la Time Variance Authority. Nous n’avons aucune obligation de faire référence à des événements déjà vus dans les films, d’autant que ce « jeune » Loki n’a pas vécu ce qui a été décrit dans tout ce qui a suivi le premier AVENGERS, puisqu’il a utilisé le tesseract pour s’évader ! (rires) C’est justement ce qui nous permet de l’entraîner dans un voyage totalement inédit. Et c’est formidable de ne pas être obligés de nous appuyer sur la continuité du MCU, tout en ayant quand même la possibilité d’y avoir recours si jamais nous en avons envie. Nous gardions cette idée dans un coin de nos têtes, au cas où ! Cela étant dit, nous nous pouvions pas oublier non plus que les fans de Marvel connaissent bien ces événements, et ont un fort attachement émotionnel à ces personnages et à Loki. Et comme ils sauront que le Loki de la série n’a pas connaissance de tout ce qu’il a fait dans cette autre continuité temporelle, cela nous laisse la possibilité de jouer avec cette situation inédite. C’est extrêmement amusant de pouvoir avoir accès à toute cette mythologie, quand vous en avez besoin.

Les Studios Marvel conçoivent avec beaucoup de soin le marketing de leurs productions, et les contenus des affiches préliminaires, des premières bandes-annonces de teasing, et des photos qui sont révélées juste avant le lancement d’un nouveau film ou d’une nouvelle série. Ils savent que les bandes-annonces vont être analysées méticuleusement, et décryptées image par image, tout comme les détails des posters et des photos. Compte tenu de cela, quelle implication avez-vous, en tant que chef scénariste de LOKI, dans le choix des petits indices et autres « easter eggs » qui sont inclus dans ces éléments promotionnels ?

En tant que chef scénariste, on pense souvent aux petits clins d’œil ou aux références sympathiques que l’on peut intégrer dans telle ou telle scène, pour faire plaisir aux fans. Et j’ai d’autant plus de plaisir à la faire que j’ai été moi-même un fan de Marvel avant de devenir le chef scénariste de cette série ! Je dois dire que j’aime voir ce qui enthousiasme les gens quand ils réagissent sur les réseaux sociaux, et aussi ces séquence vidéo que les gens postent sur YouTube pour expliquer détail par détail leurs théories sur ce que l’on va voir dans un film ou une série. C’est sensationnel ! Et parfois amusant aussi, quand un fan se demande si on va voir Méphisto surgir dans la série ! (rires) Bien entendu, il lui faudra attendre la diffusion des épisodes pour savoir s’il a raison ou pas ! Mais pour répondre à votre question, est-ce que nous avons trouvé des endroits où placer ces « easter eggs » ? Bien sûr ! Mais nous avons veillé à ce que leur apparition n’empêche jamais de suivre l’action principale et ce qui se passe dans l’esprit des personnages. Généralement, ce n’est qu’après que les scripts aient été finalisés et validés que nous nous mettions à réfléchir aux scènes dans lesquelles il serait possible de placer des références vraiment chouettes. Par exemple, on peut créer le trouble sur la véritable identité d’un personnage grâce à un petit détail…Et en ce qui concerne le marketing, nous ne sommes pas impliqués au jour le jour dans ces décisions-là, et très franchement, cela ne figure pas au sommet de ma liste de priorités.

Compte tenu du thème de cette histoire, avez-vous été inspiré par certaines des séries cultes de SF consacrées aux voyages dans le temps et l’espace, comme AU CŒUR DU TEMPS, la série des sixties, SLIDERS dans les années 90 ou DOCTEUR WHO ?

J’ai surtout été inspiré par le film LOOPER de Rian Johnson, qui avait une approche très concrète et low tech du voyage temporel, dépourvu du côté magique qu’il a généralement. Et RETOUR VERS LE FUTUR, bien sûr, qui est une référence incontournable. J’aime ces films qui posent des règles très claires sur le fonctionnement du voyage temporel au début, et qui vous permettent de profiter de l’histoire sans devoir y réfléchir constamment. Et dont la logique tient le coup si l’on analyse ce qui s’est passé, après avoir apprécié cette histoire. J’aime bien DOCTEUR WHO aussi, et la série allemande DARK de Netflix. LOST a traité aussi ce concept, parfois avec succès…Quand on y réfléchit, il n’y a pas tellement de séries qui abordent le voyage temporel, probablement parce que c’est très difficile à faire quand on diffuse un épisode par semaine, et que l’on veut donner aux spectateurs l’envie de savoir ce qui va se passer dans la prochaine histoire. Je dirais donc que j’ai surtout regardé des séries qui m’ont convaincu que l’on pouvait réussir à le faire, avant de me lancer dans le projet LOKI ! (rires)

ESI reviendra prochainement sur la création de LOKI ! Bookmark and Share


.