Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 10 Septembre 2021
Par Arnaud T. DePraude
C’était évidemment un défi de réussir à cerner les mystères de l’intrigue et les faiblesses et les forces des personnages d’Herbert qui les rendent si attachants, surtout dans un récit d’une telle ampleur dramaturgique. Par conséquent, s’agissant de la construction du scénario, auteurs et producteurs ont convenu qu’un seul film ne suffirait pas à restituer toute la richesse du livre. « L’histoire est d’une envergure phénoménale », rapporte le producteur Cale Boyter, « si bien qu’on s’est tout de suite dit qu’on allait fractionner le livre. C’était beaucoup plus facile pour savoir comment l’adapter sous une forme scénaristique ». Ensemble, auteurs et producteurs ont constaté qu’il y avait un thème majeur qui servirait de fil rouge à l’histoire. « Le livre transcendait le genre de la science-fiction », reprend Boyter. « Il y avait là une relation père-fils qui s’est imposée d’elle-même et on voulait s’attacher aux résonances émotionnelles de la famille Atréides pour pouvoir raconter l’histoire du point de vue de chacun de ses membres, tandis qu’ils affrontent leur destin, sur le plan affectif et politique ».
Herbert, qui avait lui-même sillonné la planète et fait des études d’histoire, s’est largement inspiré des événements dont il était témoin. Maîtrisant parfaitement la complexité de la dramaturgie, Villeneuve a abordé DUNE en cherchant à transporter le spectateur dans des contrées inconnues, tout comme le roman l’avait lui-même totalement dépaysé quand il était jeune. Les scénaristes Jon Spaihts et Eric Roth, accompagnés de Villeneuve, se sont attaqués à l’adaptation. Spaihts remarque : « C’était une occasion unique pour moi. J’ai découvert le roman à l’âge de 12 ou 13 ans, et à l’époque, il m’est presque apparu comme un texte sacré. C’était l’un des livres les plus profonds que j’aie jamais lus et je l’ai relu chaque année, comme Le Seigneur des Anneaux et quelques autres œuvres majeures de la littérature. J’ai fini par le connaître sur le bout des doigts et, du coup, ce qui m’a frappé quand j’ai commencé à écrire le scénario, c’est que je me suis aperçu qu’il me suffisait de démarrer une scène et les dialogues me venaient naturellement. Je savais parfaitement où j’allais ».
« J’étais fan du roman », renchérit Roth. « C’est l’un des livres que je connaissais bien quand j’étais adolescent. Je trouvais que l’univers était hallucinant, tout comme le lexique sorti tout droit de l’imagination d’Herbert. Pour moi, la dimension sociétale de l’œuvre et sa vision des changements climatiques étaient deux aspects majeurs. Elle possède tous les ingrédients qui, une fois réunis, créent une magnifique alchimie narrative : les événements qui surviennent sur Arrakis, la relation père-fils et la relation mère-fils, la grande force des personnages féminins … L’œuvre dégage une modernité et une urgence incroyables – et elle a été écrite dans les années 60 ». La dimension atemporelle de ce roman homérique et le troublant pouvoir visionnaire de l’auteur sont incontestables. Parmi les diverses factions de l’univers de Dune, on croise les Mentats, comparables à des ordinateurs humains ; les Navigateurs, capables de prévoir l’alignement des planètes afin d’organiser les voyages à travers l’espace ; et les Bene Gesserit, communauté spirituelle de femmes à même d’influer sur le cours des événements et de prendre des décisions pour maintenir l’équilibre de l’univers. Par ailleurs, on découvre les grandes Maisons des Atréides et des Harkonnen qui se disputent le contrôle de l’Épice, substance magique et addictive permettant aux gens de voir l’avenir et ressource la plus puissante et la plus convoitée de l’univers de Dune. C’est aussi ce qui explique la valeur d’Arrakis. Enfin, les Fremen forment la tribu d’Arrakis qui respecte la terre. Ils ont été relégués à un statut de citoyens de seconde zone. Pourtant, Paul, noble fils de la Maison des Atréides, est spirituellement attiré par une femme Fremen, Chani.
Pour le casting, Villeneuve et ses producteurs ont réuni Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atréides, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Josh Brolin, Zendaya, Jason Momoa, Javier Bardem, et bien d’autres grands acteurs. « Ce qui m’a fait très plaisir, c’est que la plupart des comédiens que j’envisageais en priorité étaient disponibles et avaient envie de s’embarquer dans l’aventure avec moi », remarque Villeneuve.
Dès lors que les auteurs ont disposé d’un projet solide à même d’embrasser l’envergure de l’intrigue, Villeneuve et son équipe artistique ont dû accomplir la prouesse de transposer cet univers à l’écran. Le producteur Joe Caracciolo, Jr. a été impressionné par la démarche du réalisateur : « Il y a dans ce film des scènes de guerre, de complots, d’oppression, de manipulations, à très grande échelle, des luttes de pouvoir et des personnages qui vivent tout l’éventail des relations humaines. Sans oublier les gigantesques vers des sables. Et pourtant, Denis, très en amont, nous a prévenus qu’il ne voulait pas s’appuyer massivement sur les effets visuels, sauf quand c’était absolument nécessaire. Il y en a, bien sûr, mais il tenait à tourner physiquement autant de scènes que possible, avec d’authentiques éclairages, de véritables reflets et jeux d’ombres, et il souhaitait que les acteurs soient vraiment au contact du sable, de la poussière et de la terre ». La production a donc tourné en décors réels en Hongrie, en Jordanie, à Abu Dhabi et en Norvège, où le cinéaste et ses collaborateurs artistiques – comme le directeur de la photo Greig Fraser et le chef-décorateur Patrice Vermette – ont créé leurs propres planètes. Les chefs-costumiers Jacqueline West et Robert Morgan ont imaginé le style vestimentaire de chacun des personnages, tel que le réalisateur les avait imaginés à chaque fois qu’il lisait le livre. Paul Lambert et Gerd Nefzer ont, respectivement piloté les effets visuels et les effets spéciaux, Tom Struthers a chorégraphié les nombreuses cascades et Joe Walker a monté le film. Même le compositeur Hans Zimmer, lui-même fan du livre depuis longtemps, s’est souvent rendu dans le désert pour s’immerger dans l’univers du film et imaginer la partition. « Pour moi, DUNE est un thriller psychologique, un film de guerre et d’aventure, un récit initiatique. C’est même une histoire d’amour », signale Villeneuve qui a enfin pu concrétiser son rêve de porter à l’écran ce chef d’œuvre de la littérature dans toute la complexité de sa mythologie. « Ce n’est pas hasard si le livre est resté sur une étagère, près de mon lit, pendant si longtemps ».
Les acteurs et leurs personnages
Dans un futur lointain, au milieu d’empires interstellaires tentaculaires, des planètes tout entières sont contrôlées par de nobles seigneurs – et d’autres, sanguinaires. Mais DUNE parle avant tout de rapports et de conflits humains, aborde des thèmes complexes comme l’écologie, l’évolution et la survie – et évoque les combats que mène l’être humain au quotidien en ce qui concerne l’amour, la loyauté, le sens du devoir, la trahison, le pouvoir et sa propre nature. Car DUNE tend un miroir à la société dans laquelle nous évoluons aujourd’hui. D’après Villeneuve, « il y a plusieurs manières d’aborder le livre, mais le principal angle d’approche reste celui de la trajectoire, très humaine, des Atréides qui tombent dans le piège que leur tend l’Empereur, de plus en plus jaloux de leur popularité croissante. Ce dernier envoie donc les Atréides sur une autre planète de la galaxie – Arrakis – où l’on trouve l’Épice, substance la plus précieuse de l’univers ».
LA MAISON DES ATRÉIDES : Loyauté et compassion
Une fois qu’il aura dompté sa peur, Paul est voué à un destin hors du commun. Fils d’un grand homme et héritier de la Maison des Atréides, il a passé sa vie à se préparer à la lourde charge qui l’attend, s’entraînant avec des maîtres d’armes et des érudits qui ont aiguisé ses techniques de combat et ses facultés intellectuelles. Désormais, alors qu’il s’apprête à devenir adulte, il est hanté par les visions d’une mystérieuse jeune femme et d’un avenir inéluctable, au moment même où il doit quitter la maison de son enfance sur Caladan pour une nouvelle vie. Dès qu’il pose le pied sur Arrakis, la planète la plus dangereuse de l’Univers Connu, il doit affronter ses peurs les plus profondes pour accomplir son véritable destin. Timothée Chalamet était enchanté de se voir confier le rôle. « C’était une occasion extraordinaire de pouvoir camper un personnage aussi perdu, aussi torturé, mais investi d’une telle responsabilité à un si jeune âge », note l’acteur. « Je me suis dit qu’il y avait chez lui un conflit intérieur d’une belle gravité qu’on observe rarement chez un héros de cinéma. Paul n’est pas un banal jeune premier, et je me réjouissais à l’idée de camper ce rôle dont le registre était impressionnant ». Chalamet considère Paul non comme un sauveur ou un messie, mais comme un héros involontaire qui se retrouve investi d’un pouvoir à un moment de sa vie où il découvre à peine le destin qui l’attend. Entouré d’adultes, Paul est le seul adolescent parmi eux. « On fait sa connaissance à 15 ans à peine », dit-il. « Et il doit s’engager dans un périple destiné à sauver son peuple d’un génocide. Il est issu d’une famille noble, soucieuse d’éthique et réputée pour son courage et son sens de l’honneur. Il baigne dans une culture de guerriers fiers de leurs actions, aux antipodes de la cupidité et de la duplicité des Harkonnen ». S’il ne connaissait pas le livre avant de lire le scénario, Chalamet avait néanmoins entendu parler de cette œuvre majeure. Totalement absorbé par le script, il déclare : « J’ai été vraiment impressionné par la manière dont les auteurs ont su synthétiser l’intrigue. Je n’avais pas le sentiment de lire le scénario d’une grosse production, mais celui d’une histoire profondément humaine – une intrigue qui, avec subtilité et intelligence, intègre les innovations technologiques ».
Si Chalamet était heureux de côtoyer « d’excellents acteurs », c’était surtout la possibilité de travailler avec Denis Villeneuve qui l’a séduit dans le projet. « Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai eu la chance de participer à un projet d’une telle ampleur, témoignant d’une sensibilité personnelle, et c’est grâce à Denis. C’est un artiste. C’est un génie. Il maîtrise parfaitement les techniques de prise de vue et sait mettre en scène ce genre de production spectaculaire d’une manière personnelle – c’était palpable dans BLADE RUNNER 2049 et PREMIER CONTACT. Il a une proximité immédiate avec ce genre de film ». Le réalisateur signale : « Le choix de Timothée Chalamet s’est révélé très simple : il n’y a pas eu de casting ! Je n’envisageais que Timothée. Je n’avais pas de plan B. Autrement dit, je tournais DUNE avec Timothée Chalamet, un point c’est tout. Par chance, je n’ai pas eu de mal à le convaincre parce qu’il adorait le scénario et qu’on avait envie de travailler ensemble. C’est un immense acteur, fascinant et merveilleux. Pour porter un tel film sur ses épaules, il faut avoir un acteur d’une grande force, et Timothée possède plusieurs qualités qui m’ont poussé à lui confier le rôle. Tout d’abord, il est d’une grande intelligence, ce qui se voit dans son regard. Cela se sent. Paul est un intellectuel, et il faut qu’on puisse ressentir tout au long du film qu’il est en proie au doute, qu’il va réinventer le monde qui l’entoure, accepter une nouvelle réalité et s’y adapter. Il faut beaucoup d’intelligence et de capacité d’adaptation pour y parvenir, et c’est ce que je voulais retrouver chez Paul Atréides. »