Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 3ème partie
Article Cinéma du Mardi 14 Septembre 2021

Par Arnaud T. DePraude

« Il fallait que Paul soit d’un immense charisme », poursuit le réalisateur. « Que l’on puisse croire qu’il deviendra, à l’avenir, un chef religieux – un chef capable de diriger une armée. Il me fallait donc un acteur charismatique, et Timothée me fait penser à une rock star. Et il est très juvénile. Paul est un garçon d’une grande maturité, mais dans le livre, il a 15-16 ans. Timothée avait 22-23 ans au moment du tournage, et il a donc quelques années de plus, mais à l’image, on dirait un adolescent. Il avait toutes les qualités requises pour jouer Paul Atréides ». Considéré comme un grand chef, le père de Paul, le Duc Leto, est animé par le sens du devoir envers son peuple et l’amour des siens. À la tête de la Maison des Atréides, il est réputé pour préférer la clémence à la férocité, l’éthique à la force, le courage à la peur. Lorsqu’il se voit confier la mission de ramener la paix sur la planète Arrakis, qui court un grand péril, il doit préparer son fils unique aux dangers qui le guettent. Oscar Isaac incarne le Duc Leto, personnage qui contraint son peuple à l’exode et l’emmène vers un nouveau monde, mais qui protège aussi Paul contre des forces maléfiques à l’œuvre, menaçant de rayer à tout jamais le nom des Atréides de la carte. Isaac a toujours adoré le roman et la profondeur des thématiques qu’il aborde. « Ce livre est une allégorie de notre planète, de notre civilisation, des rapports entre les différentes tribus et cultures », dit-il. « J’ai vraiment été bluffé par l’imagination de Frank Herbert, par l’étrangeté et la noirceur de son univers, par son onirisme et son côté visionnaire. C’est totalement singulier ».

Quand il a su que Villeneuve développait une nouvelle adaptation cinématographique, il l’a contacté. « Je tentais juste ma chance », plaisante Isaac. « Du coup, quand, des années plus tard, il m’a dit qu’il me voulait dans son film, j’étais fou de joie. Personne ne fait du cinéma comme lui – des films spectaculaires, certes, mais des films d’auteur, profonds, poétiques, d’une grande beauté. Pour Denis, le plus important dans ce projet, c’est sa dimension cinématographique – ce n’est plus une œuvre littéraire, mais un paysage onirique qui cerne parfaitement l’esprit du roman. Le film évoque un opéra, au sens shakespearien du terme, et raconte l’histoire, empreinte de gravité, d’un enfant au destin hors du commun. C’est du pur cinéma ». Isaac a été séduit par la nature tragique du personnage : « Il y a quelque chose d’extraordinaire dans sa capacité à marcher vers son destin. Je trouve qu’il y a là quelque chose de très humain. Comment affronter une telle situation ? Quand on fait sa connaissance, il est mal à l’aise, mais il se sent optimiste et veut transmettre sa force à son fils. C’était aussi intriguant pour moi : le film parle de ce qu’on a envie de transmettre à ses enfants, des choses qu’on cherche à leur apprendre, des valeurs qu’on souhaite leur inculquer, notamment lorsque la facilité serait d’aller contre ses principes ». Pour Isaac, Villeneuve s’est avéré l’un des meilleurs réalisateurs avec lesquels il ait travaillé. « J’en revenais toujours au livre quand je réfléchissais à l’interprétation du personnage », indique l’acteur. « Denis était constamment enclin à explorer davantage le personnage. On ne voulait pas que Leto se contente de rester passif et de tenir des propos intelligents. C’est un vrai père qui a des rapports très affectueux avec son fils. C’est un véritable être humain – pas un Bene Gesserit, ou un Mentat, il n’a pas de superpouvoirs. Il doit gérer des situations du quotidien. C’était un élément fondamental à nos yeux à côté duquel il ne fallait pas passer et qui permettrait au spectateur d’avoir une certaine complicité avec lui tandis qu’il prépare Paul à acquérir les qualités qui feront de lui un chef, sans occulter la complexité et la cruauté de la fonction. Leto sait que c’est du peuple, et non de la force, qu’un chef tire sa légitimité. Sans le peuple, il n’y a pas de pouvoir. Leto cherche à insuffler de l’empathie chez Paul : il souhaite en faire un homme ». Isaac s’est non seulement inspiré du roman, mais de films et de situations réelles. « J’ai observé la manière dont plusieurs dirigeants que j’admire s’expriment et j’ai vu beaucoup de films avec Toshiro Mifune. C’est une figure d’un charisme et d’une force incroyables », confie-t-il.

Pour Isaac, ce sont aussi ses partenaires qui l’ont inspiré. « Timothée Chalamet est un acteur d’une rare intelligence, totalement investi dans son travail, mais aussi drôle et bien dans sa peau », reprend-il. « Il n’a pas d’orgueil mal placé. Il m’a impressionné et j’ai beaucoup d’affection pour lui. Rebecca Ferguson a un côté classique dans le meilleur sens du terme. Elle me fait penser à Audrey Hepburn, elle est d’une grande profondeur et possède une incroyable force de séduction. Elle est totalement en symbiose émotionnelle avec ce qui se passe pendant la scène, les séquences qu’on a tournées ensemble étaient très fortes sur le plan affectif et j’ai ressenti une grande proximité avec elle ». Chalamet, qui partage le même sentiment, a beaucoup apprécié les deux interprètes de ses parents : « J’ai adoré donner la réplique à Oscar et Rebecca », dit-il. « C’était une expérience fabuleuse et un rêve qui se concrétisait. Oscar est un comédien que j’admire énormément et j’ai le sentiment qu’il est capable de tout jouer. Quant à Rebecca, elle est forte, indomptable, et apporte une véritable intensité au film… bref, c’est une dure à cuire ! » Rebecca Ferguson incarne Dame Jessica, à la tête de la Maison des Atréides aux côtés du Duc Leto, qu’elle aime profondément. Elle a aussi noué un lien indestructible avec leur fils Paul. Membre du mystérieux ordre spirituel des Bene Gesserit, elle maîtrise totalement son corps et son esprit : elle sait faire de ses mots une arme grâce au pouvoir de la Voix afin de faire plier tous ceux qui osent s’en prendre à sa famille. Douloureusement consciente du destin de Paul, elle doit préparer celui-ci à mener l’humanité vers un avenir meilleur. C’est la perspective de travailler avec Villeneuve sur un projet aussi complexe et exaltant qui a séduite l’actrice. « Je n’avais pas le temps de lire le livre avant le début du tournage », reconnaît-elle. « Mais je l’ai lu par la suite. Je me suis rendu compte que Denis avait restitué l’esprit du roman à l’écran. Le scénario dégage un vrai souffle, et il possède une envergure que je n’avais encore jamais rencontrée dans un script. Il parle de politique, de philosophie, il met en scène des personnages profonds et distille une incroyable émotion. Il explore les causes et les conséquences des événements qu’il relate, sans oublier les réactions des personnages ».

Tout comme son partenaire Oscar Isaac, Rebecca Ferguson a longuement évoqué son personnage avec le cinéaste. « Denis m’a expliqué que Jessica était une puissante figure royale, mais dissimulant des secrets et des faiblesses, qui font d’elle une femme attachante, malgré l’ampleur épique du film », reprend-elle. « Jessica est aussi une Bene Gesserit, autrement dit elle appartient à un groupe de femmes qui détiennent de gigantesques pouvoirs. Ces femmes sont des protectrices, des combattantes – elles comprennent les autres et ont une voix qui a le pouvoir de les soumettre totalement. On lui avait dit qu’elle mettrait au monde une fille pour des motifs politiques et, pour des raisons personnelles, elle a accouché d’un fils, ce qui a semé le chaos au sein de l’Empire. Quand on fait sa connaissance, elle assume les conséquences de ses choix et s’interroge sur ses priorités : qui doit-elle privilégier, l’Empire ou son fils ? » L’actrice et le réalisateur ont longuement discuté des rapports familiaux entre Jessica, Paul et Leto. « Lorsque Jessica prépare Paul à son destin, il y a de très beaux moments entre mère et fils », note Rebecca Ferguson. « Par moments, Jessica devient vulnérable et Paul doit se montrer à la hauteur et montrer qu’il a appris ce que sa mère lui a inculqué ». La comédienne a également été sensible aux thématiques marquantes du film : « L’argent, l’émancipation, la drogue, la mafia… Celui qui s’empare du pouvoir à Arrakis dirige le monde. Cette planète est dirigée par le clan tyrannique des Harkonnen. C’est autant d’actualité aujourd’hui qu’à l’époque où le livre a été écrit ». Outre l’intérêt du scénario et du film, Rebecca Ferguson a été enchantée de tourner avec des acteurs aussi doués. « Le casting était incroyable, et j’étais en admiration devant chacun des comédiens. Denis est un maître. Il est très ouvert, généreux, et il a su instaurer une ambiance propice au travail d’équipe sur le plateau et fait en sorte qu’on s’y sente tous à égalité ».

Guerrier farouche à l’âme poétique, Gurney Halleck veille sur Paul depuis sa naissance et fait pour ainsi dire partie de la famille. Sans jamais oser l’avouer, Gurney aime Paul comme s’il s’agissait de son propre fils. Stratège militaire du Duc, il a été formé à l’art du combat : il est prêt à tout pour protéger la Maison des Atréides – famille aussi chère à son cœur que ses proches, assassinés par les Harkonnen il y a bien longtemps. Josh Brolin campe le fidèle conseiller de Leto, à la fois vif et frondeur. Gurney Halleck se révèle un artiste maniant habilement l’épée et tout aussi doué pour jouer de son instrument de prédilection, la balisette, instrument à cordes méconnu. Lorsque les Atréides s’installent sur la redoutable planète Arrakis, Gurney mettra tout en œuvre pour protéger le Duc et sa famille. Il veille personnellement à entraîner Paul au combat afin que le jeune homme soit prêt à se battre.

Josh Brolin a noué une solide amitié avec Villeneuve sur le tournage de SICARIO : autant dire qu’il n’a pas hésité longtemps à participer à DUNE. « Il existe un petit nombre de réalisateurs pour lesquels on se dit qu’on est prêt à tourner n’importe quoi », affirme le comédien. « Denis sait parfaitement ce qu’il veut, et on se sent rassuré quand un metteur en scène vous prend en charge et ne tourne pas une scène tout simplement parce qu’elle figure dans le scénario. S’il y a bien une chose que Denis maîtrise parfaitement, ce sont les projets de grande envergure. J’avais lu des passages du roman et quand Denis m’a raconté qu’il était à mi-chemin entre la science-fiction et l’épopée médiévale, je me suis dit que c’était parfaitement exact : il y a quelque chose de très primitif dans cette histoire qui, pourtant, relève bien de la science-fiction ». Bien que Gurney soit un stratège militaire, l’acteur le considère avant tout comme un instructeur – un guide. « C’est le professeur de Paul et le protecteur de la famille Atréides », poursuit-il. « Il est méfiant par nature : il a toujours l’impression qu’il y a un danger – même lorsqu’il n’y en a pas – comme tout bon protecteur. Quand on fait sa connaissance, il est sévère, mais il a de l’humour, il est instinctif, maternel et paternel à la fois avec Paul. Il a participé à son éducation, si bien qu’il se sent responsable de lui. Gurney pousse Paul très loin dans ses retranchements parce qu’il veut qu’il soit capable de se défendre dans n’importe quelle situation, mais il est également joueur. C’est le poète guerrier, qui lit, écrit et récite de la poésie ». Brolin indique qu’il avait beaucoup d’admiration pour ses partenaires. « Je suis totalement bluffé par Oscar Isaac », dit-il. « Il est extrêmement convaincant, totalement investi dans son rôle et j’ai beaucoup de respect pour lui. Timothée a un talent fou. Il est très ouvert et lui aussi est très investi dans son rôle. On s’est bien marré tous les deux et j’ai aimé camper le type aguerri face à ce garçon qui est encore un enfant. Et Jason Momoa possède cette exubérance juvénile très agréable pour son entourage ».

Jason Momoa incarne le légendaire maître d’armes et guerrier d’exception Duncan Idaho qui confie à Paul : « Les rêves donnent matière à de bonnes histoires, mais ce qui est important se passe quand on est réveillé ». Cet homme d’action est sans doute l’arme la plus redoutable de la Maison des Atréides. Pilote intrépide et expert en reconnaissance furtive, il incarne les yeux et les oreilles du Duc Leto et il est le premier de la Maison à fouler le sol des sables de Dune. Homme à la fois loyal et dangereux, Duncan se bat avant tout pour la famille royale comme s’il en faisait partie et pour la défendre – surtout Paul – au péril de sa vie. Momoa n’a pas hésité une seconde avant d’accepter le rôle. « J’étais stupéfait quand Denis Villeneuve m’a appelé car il est sans conteste l’un de me cinq réalisateurs préférés, qu’ils soient vivants ou morts », s’enthousiasme l’acteur. « Je l’adore et j’adore tous ses films : c’est un dieu à mes yeux. Il est fou de ce livre depuis qu’il a 14 ans : il rêvait de faire ce film, il a une vision très claire du résultat final et il sait parfaitement ce qu’il veut. Je me suis efforcé de lui donner satisfaction – j’avais vraiment envie de faire partie de cet univers ». Momoa s’est senti flatté d’interpréter Duncan Idaho. « C’est un homme un peu mystérieux, mais il est très loyal et honnête », déclare-t-il. « Denis voulait un acteur qui puisse incarner un personnage puissant, capable de se faire respecter de ses troupes et convaincant dans le rôle du chevalier veillant sur Paul et Jessica – c’est là son devoir. J’ai d’abord été cascadeur et j’ai rassuré Denis en lui disant que j’étais prêt à affronter n’importe qui et que je m’en sortirais très bien ! », ajoute-t-il en riant. « Ce qui m’a vraiment plu, c’est que Duncan est un explorateur. C’était jubilatoire de tourner la scène où il quitte le vaisseau furtif et chute à travers l’espace pour atterrir sur Arrakis ». En participant au film, Momoa a eu l’occasion de donner la réplique à certains de ses acteurs préférés qui, désormais, étaient ses partenaires. « J’adore le moment où on est tous alignés – moi, Oscar, Timothée, Stephen [McKinley Henderson] – dans le bureau du Duc Leto, et Javier Bardem débarque sous les traits de Stilgar », raconte le comédien. « Il marchait fièrement comme Mick Jagger – il avait une démarche assurée, comme un type puissant et arrogant, et il nous a tous toisés du regard. C’était extraordinaire de voir cet homme en train de jouer sa scène – j’étais ébloui ».

« Il y a plusieurs types qui m’ont séduit dans ce film », poursuit Momoa, un large sourire aux lèvres. « J’ai toujours admiré Josh Brolin qui est comme mon frère. On est très semblables, sauf qu’il est un peu plus âgé et sage que moi. Quant à Oscar Isaac, j’ai été époustouflé par son talent ». Bookmark and Share


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