Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 4ème partie
Article Cinéma du Mercredi 15 Septembre 2021

Par Arnaud T. DePraude

Si Duncan Idaho est d’une grande force physique, le docteur Yueh, médecin de famille de la Maison des Atréides et membre du cercle des intimes du Duc, possède également un pouvoir discret, mais tout aussi efficace. Veillant au bien-être des Atréides comme s’il s’agissait de sa propre famille, le docteur Yueh utilise l’acupression pour déceler les plaies, les maladies et même les traumatismes psychologiques de ses patients par un simple toucher. Chang Chen campe Yueh : il s’agit de son premier tournage en anglais. Il était enchanté de pouvoir interpréter ce personnage complexe, déclarant « Il a connu une grande détresse dans sa vie et, par conséquent, c’est un rôle bouleversant et d’une grande richesse pour un acteur. Denis m’a fait confiance et ce tournage a été une aventure magnifique ». Chen a fait la connaissance de Villeneuve lorsqu’ils étaient tous les deux membres du jury du festival de Cannes. « En parlant des films qu’on visionnait, on s’est aperçu qu’on avait beaucoup de points communs », reprend-il. « Quand il m’a demandé de jouer le docteur Yueh, j’ai été ravi ». Mais il n’y avait pas que la perspective de tenir ce rôle qui l’a convaincu. « Avant de lire le scénario, je m’attendais à un projet cyberpunk et ésotérique, mais en le lisant je me suis rendu compte qu’il s’agit d’une œuvre très accessible et d’une histoire profondément humaine. Bien que le film se déroule dans le futur, se côtoient une science-fiction très moderne et des conflits quotidiens auxquels les êtres humains sont confrontés, qu’il s’agisse d’amour, de loyauté ou de leur sens du devoir. On affronte tous ces questionnements dans la vie, si bien qu’on peut tous se projeter dans le film », témoigne-t-il.

Un autre personnage occupe une fonction cruciale au sein de la Maison des Atréides : Thufir Hawat, expert en matière de guerre psychologique et chef de la sécurité. Il appartient aux Mentat, autrement dit, son esprit possède les facultés de calcul d’un superordinateur qui font de lui un stratège parfaitement entraîné. Hawat est le grand maître de la causalité et il est capable d’envisager toutes les issues possibles à un problème, de déjouer les plans les plus complexes et de protéger Paul des dangers visibles et… invisibles. Stephen McKinley-Henderson , qui l’incarne, précise : « Quand Denis m’a contacté pour me parler du projet, je me suis que c’était merveilleux. Et puis, lorsque je me suis aperçu que le personnage était un Mentat et que j’ai compris qu’il s’agissait d’un type extrêmement cérébral, je me suis demandé pourquoi on m’avait choisi alors que je suis plutôt du genre affectif ! Mais j’ai pris conscience que, même si sa philosophie et ses instincts sont guidés par son intellect, il travaille depuis si longtemps pour les Atréides qu’il a vraiment de l’affection pour eux, et en particulier Paul, dont il connaissait le grand-père. C’est donc un personnage qui est devenu profondément humain ». L’acteur a trouvé une autre voie d’accès au personnage à travers l’un de ses écrivains de romans policiers préférés. « Je suis moi-même fan d’Arthur Conan Doyle et j’ai donc réussi à m’identifier au Mentat à travers sa mémoire photographique et à sa capacité de déduction sidérante », ajoute-t-il. « Cela m’a donc fait penser à Sherlock Holmes et à son propre pouvoir de déduction. C’était une base solide pour construire le personnage ». McKinley-Henderson a également été très sensible à l’intrigue : « J’ai été frappé par la spiritualité qui émane de cette histoire, par la nature du destin, et par le fait que les personnages secondaires – dont je fais partie – ne sont pas seulement au service de Paul : ils contribuent de manière significative au récit et font en sorte que le spectateur comprenne que ce film est une allégorie de notre propre monde ».

LES BENE GESSERIT : Prophétie et contrôle

Vénérable diseuse de vérité, la Révérende Mère Gaius Helen Mohiam de l’Ordre mystérieux des Bene Gesserit est parfaitement consciente de ce dont l’humanité est capable. Elle soumet à l’épreuve de son jugement sévère Paul Atréides. Mettant à profit les prophéties et la superstition pour influer, dans l’ombre, sur l’histoire de l’humanité, les Bene Gesserit s’inscrivent dans une démarche de long terme pour remettre constamment l’espèce humaine sur la voie menant vers la lumière. Comme tous les membres des Bene Gesserit, Dame Jessica a appris à se servir de sa voix et de son esprit pour exercer son pouvoir, et elle a transmis cette faculté à son fils lors de son apprentissage. Au début du film, on fait la connaissance de la Révérende Mère, campée par Charlotte Rampling , au moment où elle vient mettre Paul à l’épreuve pour déceler ses capacités à franchir une nouvelle étape de sa vie. Villeneuve raconte : « Il n’y a pas grand-chose à dire de Charlotte Rampling, si ce n’est qu’elle est une icône du septième art et l’une des plus grandes actrices de notre époque. J’ai aussitôt pensé à elle pour la Révérende Mère. Elle est charismatique, elle a une présence à l’image inégalée, et elle a insufflé au rôle toute la profondeur, la noirceur, la sévérité et la puissance de la Révérence Mère. Ne le répétez pas, mais les Bene Gesserit et les Fremen sont mes personnages préférés, si bien que je voulais qu’ils dégagent une puissance de feu et Charlotte en a fait la preuve avec l’élégance qui la caractérise ». Étonnamment, Charlotte Rampling, fan de l’œuvre de Frank Herbert de longue date, a déclaré un jour à la BBC qu’il s’agissait du livre « qu’elle emporterait sur une île déserte ».

LA MAISON DES HARKONNEN : Pouvoir et violence

La Maison des Harkonnen règne sur Arrakis avec machiavélisme et contrôle la culture et la distribution de l’Épice depuis de nombreuses générations : elle est devenue une famille puissante dont l’histoire est marquée par la violence et dont la haine à l’égard de la Maison des Atréides est tenace. Figure imposante, le Baron Vladimir Harkonnen est à la tête de la Maison des Harkonnen : d’une noirceur et d’un sadisme absolus, ce monstre défiant la gravité se sert de la peur, de la souffrance et de la manipulation pour régner. Fendant les airs comme un fantôme, il incarne le mal absolu, la cupidité et la tyrannie : il est déterminé à nourrir son addiction à la cruauté et jette une ombre sur l’Univers Connu. Lui et sa famille sont aux antipodes de la Maison des Atréides et sont résolus à exploiter les ressources naturelles de Dune, quoi qu’il en coûte.

Quasi méconnaissable, Stellan Skarsgård campe le monstre. C’était d’abord la perspective de travailler avec Villeneuve qui l’a intéressé : « j’avais envie de tourner avec Denis », dit-il. « C’est un cinéaste passionnant et il crée toujours des univers singuliers. Ses images d’une force et d’une beauté inouïes vous ensorcèlent et vous captivent. C’est ce que j’ai trouvé fantastique dans ce film qui est signé par un véritable auteur à l’univers personnel ». « Ensuite, c’est le personnage du Baron Harkonnen qui m’a séduit », note-t-il. « C’est un second rôle, mais dont la présence physique est si forte qu’il marque le film de son empreinte, ce qui est essentiel pour un méchant. Ça m’a donc intéressé ». Skarsgård a relu le roman d’Herbert et s’est souvenu de sa puissance. « L’univers du livre est extraordinaire », s’émerveille-t-il. « C’est très rare de lire une histoire de science-fiction marquée par des idées progressistes, mais se déroulant dans le futur. Ce qui m’a particulièrement fasciné dans cet univers, ce sont les Bene Gesserit et leur contrôle des naissances et du système de reproduction. Si les hommes du roman ne voient pas plus loin que le lendemain, les Bene Gesserit sont dans une optique de long terme et ont une réflexion beaucoup plus audacieuse ». L’acteur devait subir des séances de maquillage de sept heures par jour. « Psychologiquement, j’arrivais à le supporter parce que c’était intéressant de regarder les prothésistes en train de travailler », dit-il. « Mais physiquement, c’était difficile : il fallait rester immobile pendant sept heures. Il y avait des couches et des couches de maquillage à appliquer. Le plus important, c’était le visage qui nécessitait un travail extrêmement délicat. Ensuite, il fallait enfiler la combinaison prosthétique recouvrant le corps tout entier, le gilet réfrigérant en-dessous et parfois un harnais pour le travail au filin. Il fallait peindre les espaces entre la fausse peau du visage, les mains et le costume. C’était très compliqué ».

Skarsgård ajoute que Villeneuve était très ouvert aux suggestions des comédiens pour le style du personnage, et les prothésistes ont collaboré avec Mowat et Villeneuve pour donner au Baron un style singulier. « Pour un acteur, c’est merveilleux parce qu’on a envie que le travail soit aussi créatif que possible sur le plateau », reprend-il. « Du coup, Love [Larson] et Eva [von Bahr] ont créé une maquette en argile, qui était immense, mais sur laquelle on pouvait distinguer les muscles sous la graisse – des muscles qui ont commencé à se transformer en gras. Je me suis dit que c’était génial, et Denis pensait comme moi. Dans le film, quand on le découvre, il est dans un sauna et il est dissimulé par la vapeur : on ne l’aperçoit que partiellement, ce qui crée une atmosphère étrange ». Bookmark and Share


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