Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 7ème partie
Article Cinéma du Mardi 12 Octobre 2021
LES LIEUX DE TOURNAGE ET LES DÉCORS
La planète Arrakis est entièrement recouverte de sable, offrant une beauté désertique qui s’étend à l’infini. Pour restituer la vision particulière de Villeneuve, les équipes artistiques ont cherché à filmer le plus possible de prises de vue réelles sous la direction du chef-opérateur Greig Fraser et du chef décorateur Patrice Vermette . Il s’agissait de renoncer aux fonds verts pour créer le paysage idéal de Dune sur Terre tel que l’imaginait le réalisateur, sur les plateaux et les extérieurs des studios Origo à Budapest, et sur des sites naturels de Jordanie avant de conclure ce périple par une semaine environ à Abu Dhabi. Les plateaux de la capitale hongroise ont déjà beaucoup servi mais peut-être jamais pour un projet aussi ambitieux. « Ce film est hors normes », confirme Joe Caracciolo Jr. « J’étais assez curieux de voir comment on allait y arriver mais Patrice et Denis ont collaboré à merveille pour mettre au point le style visuel et Greig est l’un des directeurs photo les plus adaptables qu’il m’ait été donné de rencontrer. Le fruit de leur collaboration a été fascinant à observer ». Bien qu’ils n’aient jamais travaillé ensemble, Villeneuve et Fraser s’étaient rencontrés des années auparavant grâce au chef-opérateur Roger Deakins. « On a eu une discussion vraiment fantastique et après-coup, j’ai pris conscience qu’il avait éclairé certains de mes films préférés et j’ai été très impressionné », se souvient Fraser. « Mais Denis est quelqu’un de chaleureux et d’accueillant, et il est très accessible. Quelques années plus tard, j’ai eu l’occasion de collaborer avec son décorateur, Patrice, et on s’est entendus à merveille. Il est direct et passionné par son travail. On s’est tellement bien entendus qu’il a dû tranquillement parler de moi à Denis une fois qu’il est devenu évident qu’il leur fallait un directeur de la photo pour le projet. J’ai bien sûr été totalement emballé à l’idée de me joindre à eux ». « Quand j’ai décidé de m’atteler à DUNE, Greig Fraser a été l’une des premières personnes que j’ai contactées », affirme le réalisateur. « Je suis un grand fan de son travail, de ZERO DARK THIRTY à MARIE MADELEINE. Il sait se servir de la nature pour s’en faire une alliée avec assurance et maîtrise. C’était très important pour moi de m’imprégner de la nature et de construire le film à travers cette dimension, avec une sensibilité et un réalisme naturalistes. Je voulais que la lumière possède cette qualité et je savais que Greig saurait l’insuffler au film ». Villeneuve et Fraser n’ont pas tardé à nouer une étroite collaboration. « D’entrée de jeu, on a décidé d’utiliser le format IMAX pour plusieurs passages entiers du film, comme les visions de Paul, les scènes de rêve et de désert. On allait tourner le reste en 2,35. Pour préserver l’impact de l’IMAX sur le public, il fallait savoir s’en éloigner de temps en temps. On a aussi tourné les séquences de désert à l’épaule mais le reste de cet univers était surtout censé évoquer un tableau, et c’est ainsi qu’on l’a abordé ». « On voulait susciter une impression de rudesse dont Denis parlait en termes généraux », confirme Fraser. « Il disait surtout, 'Quand je rêve de ce film, je le rêve en 4 / 3'. C’est pour ainsi dire un format grand écran. Du coup, on est partis de là et exploré l’idée du format 2,35 par rapport au 4 / 3 et à l’IMAX pour voir comment ça rendait. On a ensuite discuté du pour et du contre tous ensemble, avant de se mettre d’accord ». « Sur le plan chromatique, on a testé plusieurs pistes », ajoute-t-il. « Denis voulait qu’Arrakis soit rude et désolée, hostile à tout étranger. On a donc essayé de ne jamais avoir de ciel bleu. Il y a énormément de films tournés dans le désert où le sable est jaune et le ciel est bleu. On s’en est écartés au profit d’un sable délavé et d’un ciel blanc ».
D’après Fraser, l’équipe s’est longuement interrogée pour savoir s’il était préférable de tourner en numérique ou en pellicule. « L’argentique est un magnifique format analogique aux qualités indéniables et époustouflantes, ce qui prête une certaine humanité et chaleur au film », souligne-t-il. « Mais dans ce cas-ci, on s’est dit que tourner avec l’Arri Alexa allait nous offrir la chaleur et la dimension humaine nécessaires à l’histoire sans la dimension nostalgique inhérente à la pellicule ». Toutefois, Fraser reconnaît avoir fait une petite concession. « On a ensuite utilisé une autre technique, qui consistait à filmer en numérique ; une fois le film monté, notre laboratoire Fotokem l’a transféré sur pellicule pour obtenir un négatif. Ils ont ensuite scanné et réintégré ce négatif de sorte que le film que tout le monde voit a subi un processus analogique. C’est une technique avec laquelle je jouais depuis un moment sans jamais avoir pu l’appliquer à un film de cinéma jusque-là ». « Greig est l’un des meilleurs directeurs de la photographie en activité », déclare Mary Parent. « Il est extraordinaire, incontestablement. Ses cadrages, sa lumière, son sens du détail –tout est très tactile, profondément émouvant et viscéral. Mais en même temps, on ne sent jamais le mouvement des caméras : tout est naturel, au service de l’histoire, des personnages et, dans le cas présent, du film lui-même ».
« Ce que Patrice a construit à Budapest rappelait l’âge d’or hollywoodien », poursuit-elle. « On voit rarement des décors de cette envergure de nos jours où tout est transformé numériquement. Mais pour ce projet, tout se résume à la vision de Denis qui voulait que l’ensemble soit filmé réellement, sans se reposer sur le numérique. On a donc bâti des décors en dur d’une bien plus grande envergure que la plupart des productions actuelles ». Parmi les décors construits aux Studios Origo, citons les intérieurs situés sur la planète Caladan, où le film démarre. Il s’agissait notamment de la vaste bibliothèque où Dame Jessica et la Révérende Mère Mohiam parlent de l’avenir de Paul, et la demeure familiale des Atréides. L’équipe a également bâti à Giedi Prime le sauna où se trouve le Baron Harkonnen quand on fait sa connaissance. Certaines scènes en extérieur, comme celle de l’atterrissage de l’ornithoptère sur Arrakis, ont été tournées sur plateau extérieur des studios. Un millier de personnes environ composaient l’équipe technique spécialisée. Vermette, qui a déjà collaboré avec Villeneuve sur ENEMY, PRISONERS, SICARIO et PREMIER CONTACT, raconte que sa participation à ce projet est un rêve éveillé. « On ne tourne pas ce genre de films au Québec », explique-t-il, « alors se retrouver à travailler sur une production comme celle-là dépasse mes rêves les plus fous ! J’en sais gré à Denis ».
« Mon but était d’envisager l’univers du film avec humilité de sorte que les fans de la première heure du livre reconnaissent les descriptions de Frank Herbert, sa façon de représenter ou de décrire la moindre chose – objet, meuble, pièce, bâtiment, architecture, lumière », confie Villeneuve. « Je voulais que tout soit aussi fidèle à l’esprit du livre que possible et inspiré par la nature : la lumière, le vent, la sensation de la poussière. Dune est un univers monumental qui ne ressemble à rien de ce qu’on connaît et bien sûr, je pouvais compter sur Patrice pour me permettre d’y parvenir ». Dès que Vermette a lu le scénario, il a aussitôt eu une vision du film et de son univers. « Tout à coup, des images me sont venues en tête, car le scénario a été très bien écrit et laissait beaucoup de place à l’imagination », dit-il. Le décorateur a commencé par rassembler des images pour un « cahier de tendances », regroupant des photos de pays aussi variés que l’Égypte et la Norvège, des éléments d’architecture qu’il apprécie et même des clichés des guerres du Golfe et d’Afghanistan. Le cahier a été intégré à sa bible d’illustrations, dans laquelle ont fini par être ajoutées des images de chacun des décors, accessoires et costumes. Celui-ci a ensuite été remis à chaque département technique. « C’est très important qu’on soit tous sur la même longueur d’onde », commente-t-il. « Si quelqu’un voulait connaître la fonction de tel ou tel élément, la réponse se trouvait toujours dans la bible. Elle était très détaillée ».
Vermette a mis au point la palette de couleurs pour Caladan, principalement des nuances de vert, gris et bleu d’automne brumeux qui donnent l’impression d’une pluie et d’une humidité continuelles. Le Château de Caladan est bâti sur une montagne, ce qui témoigne de la totale harmonie de la Maison des Atréides avec la nature. Ces teintes marbrées font place à des marron, ocres et rouges saisissants, lorsque l’action se déplace à Arrakis. En revanche, Giedi Prime est un site d’allure industrielle envahi par la matière plastique. Vermette a construit un univers qui dégage un sentiment écrasant de puissance : les décors sont gigantesques, semblant menacer les acteurs, et les murs et sols en pierre brute composent un arrière-plan sévère et dur qui tranche avec le mode de vie des personnages. Fort heureusement, les plateaux des studios Origo étaient assez vastes pour accueillir les constructions colossales de Vermette.
Le décorateur de plateau Richard Roberts a veillé à ce que le décor intérieur suscite une atmosphère au lieu de détourner l’attention du spectateur. « On ne devrait pas être distrait par les détails environnants, mais le décor doit créer un univers dans lequel on se perd volontiers », dit-il. Le mobilier est très spartiate. Tout a été conçu sur mesure, qu’il s’agisse du mobilier, des lampes, de la bannière et des tapis – ces derniers ont d’ailleurs été fabriqués au Danemark avant d’être vieillis pour obtenir une patine, comme le reste des accessoires. « C’est toujours amusant d’essayer d’ajouter un tapis, des rideaux et un coussin dans ce type de film », souligne Roberts. « Je n’ai jamais fabriqué de tapis de cette taille ou quoi que ce soit qui s’en rapproche. C’était génial ».