Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 9ème partie
Article Cinéma du Samedi 30 Octobre 2021
LES COSTUMES, LA COIFFURE ET LE MAQUILLAGE
Les créateurs de costumes Jacqueline West et Bob Morgan ont été chargés de concevoir la totalité des tenues vestimentaires du film. « Je suis passionné d’histoire », déclare l’ancienne historienne de l’art Jacqueline West. « Cette histoire est une aventure tant psychologique que philosophique, d’une grande complexité et aux multiples facettes, regorgeant de références au mysticisme et à l’histoire. Elle m’a complètement fascinée. Connaissant les films de Denis Villeneuve, je me suis dit en lisant le livre qu’il s’agissait là d’une combinaison parfaite ». « Le film est d’une richesse visuelle exceptionnelle, et je me suis senti très flatté que Jacqui me demande de travailler à ses côtés. On avait déjà collaboré auparavant mais cette fois-ci, c’était vraiment exceptionnel », renchérit Morgan. « C’était une mission colossale, car il fallait concevoir énormément de costumes futuristes sans aucune référence précise. J’ai participé à beaucoup de films d’époque, mais peu qui se déroulent dans le futur », ajoute Jacqueline West. « C’est peut-être ce qui a plu à Denis car il ne voulait pas réaliser un film de science-fiction traditionnel. Dès le départ, il a déclaré ?Ni navettes spatiales, ni extra-terrestres?. Il tenait vraiment à ce que le film soit davantage axé sur la psychologie des personnages. J’ai compris assez vite qu’il s’agissait d’un conte psychologique, philosophique et mystique, et non pas d’un film proche du jeu-vidéo. Ses autres films possèdent une réelle profondeur et je savais grâce à nos discussions qu’il y aurait plusieurs dimensions à l’histoire. Denis a parfaitement su décrire ce qu’il voulait et ce qu’il ne voulait pas y voir. J’aime quand les gens savent ce qu’ils veulent et arrivent à l’exprimer, et c’était d’une grande honnêteté de sa part ». « Denis a fixé un cadre et une méthode de travail à notre attention. Parfois, savoir ce qu’un réalisateur ne veut pas est aussi important que savoir ce qu’il veut », conclut Morgan. Le duo a quitté Los Angeles pour Budapest et a réuni une petite équipe des meilleurs collaborateurs venus des quatre coins de la planète. Inspirés par les consignes de Villeneuve, Jacqueline West et Morgan ont commencé par effectuer des recherches approfondies. « Denis parlait beaucoup des nomades, des peuples du désert et des différents déserts du monde et de la manière dont les gens s’y habillent pour survivre. On a regardé quantité de tableaux et j’ai étudié énormément de références médiévales, parce que c’était mon sujet de recherche en histoire de l’art. J’ai aussi beaucoup analysé de tableaux de Goya qui me fascinent par leurs représentations de la religion et du bien et du mal. Il y avait aussi des références à la mythologie grecque dans le roman et cela m’a conduit à encore plus de recherches… », poursuit-elle. Jacqueline West et Morgan tenaient à ce que les costumes soient fonctionnels. « Le principe qui a guidé nos recherches, c’est que le côté pratique prime sur le style. Cela concernait tous les costumes dans leur intégralité : ils devaient toujours permettre aux personnages de survivre, particulièrement dans le désert. Dans le même temps, ils devaient être crédibles dans un monde où la technologie n’a rien d’informatisé et a l’air presque mécanique et primitive par rapport à notre conception du futurisme. On en est venu à nommer cette esthétique moderne-médiévale », dit Morgan.
Quant à la palette chromatique, les deux créateurs de costumes se sont inspirés des mondes – conçus par Vermette – où les personnages évoluent. « Les costumes des Atréides sont principalement verts, parce que Caladan est une planète très froide, en proie à beaucoup de précipitations, si bien qu’elle est recouverte d’une végétation luxuriante et dense », précise Jacqueline West. « Arrakis, en revanche, est constitué de déserts et de roches et les costumes de ses habitants sont donc jaunes sable et beiges ». L’un des principaux costumes du film est le distille, cette combinaison intégrale high-tech portée par les Fremen, dont le système sophistiqué de recyclage des liquides organiques leur permet de survivre dans le désert aride. Dans le roman, ce costume possède un système complexe de pompage équipé d’un embout nasal qui récolte urine et sueur et les recycle de sorte que celui qui le porte ne perd que très peu d’eau chaque jour. L’artiste Keith Christensen, conceptrice de costumes, a dessiné le distille. « C’est le distille, plus que tout autre vêtement, qui doit avoir l’air parfaitement fonctionnel, puisqu’il recycle les liquides organiques en eau potable », explique Morgan. « Il doit aussi être près du corps et bien tomber malgré les différentes morphologies des acteurs. Le défi a été de le rendre à la fois fonctionnel et beau ». Morgan et Jacqueline West y ont ajouté des capes et des capuches de voilage, qui font presque office de camouflage, et dont les tonalités sable et l’amplitude fluide complètent bien le gris de la combinaison. « Les mouvements des voilages dans le vent apportent aussi une touche romantique », ajoute-t-il.
Pour différencier les armées lors des séquences de bataille, les costumiers ont conçu des esthétiques très différentes en utilisant des couleurs contrastées. Pour les Sardaukar, les soldats d’élite de l’Empereur, ils ont imaginé des combinaisons spatiales blanches qui semblent presque briller dans le noir avec un insigne rouge sang. Les Atréides portent une armure grise renforcée et les Harkonnen font songer à des insectes avec leur armure et leur casque évoquant une carapace et une tête de fourmi. Pour la Révérende Mère Mohiam, les créateurs ont réalisé une tenue qui allie à la fois les attributs de la reine dans un jeu de tarot et un jeu d’échecs. Tout en tons de noirs, le costume comprend une robe à manches longues et une cape remarquable brodée de motifs complexes. Elle porte sur la tête un chapeau tout en hauteur semblable au kamilavka, le couvre-chef arboré par les membres du clergé orthodoxe, recouvert de velours noir et muni d’un lourd voile orné de perles qui lui cache le visage. Elle dégage sans aucun doute un air d’autorité et de pouvoir.
Le monstrueux Baron Harkonnen s’inspire de Kurtz, campé par Marlon Brando dans APOCALYPSE NOW de Francis Ford Coppola. « Le Baron Harkonnen est le cœur des ténèbres, ses tenues sont de soie noire et légèrement transparentes », déclare Morgan. La garde-robe de Dame Jessica a constitué un défi d’une autre nature. « Sur Caladan, son allure est très monacale et sombre, tandis que sur Arrakis, elle s’éclaircit, comme illuminée par le soleil », indique Jacqueline West. Jessica porte une robe longue noire très simple avec un foulard sur les cheveux quand on la voit pour la première fois, mais lors de son arrivée sur Arrakis, elle revêt une robe longue moulante beige avec un voile et des gants en crochet irisé et, par-dessus, une cape à capuche en voilage. Ses dames de compagnie sont vêtues de costumes similaires aux couleurs de toutes les nuances du désert : jaune, ocre et ambre. « En concevant leurs robes, on s’est inspiré des couleurs des épices du marché de Marrakech, alors inévitablement, elles sont devenues les Spice Girls ! », poursuit-elle. Pour Piter De Vries, les costumiers ont mis au point une tenue caractéristique – une silhouette longiligne et sombre affûtée comme un couteau. Une autre de ses tenues était un hommage assumé à l’un des films préférés de Villeneuve et de Jacqueline West, LE SEPTIÈME SCEAU d’Ingmar Bergman. Enfin, Paul doit son allure à un autre film se déroulant dans le désert, comme Morgan l’explique : « Paul Atréides a toujours été pour moi une sorte de Lawrence d’Arabie, faisant écho à la manière dont ce dernier mène la lutte des Arabes contre les Turcs. J’imagine que sa façon de porter le turban dans le désert et sa cape constituent notre hommage à David Lean ». Comme tous ses partenaires, Timothée Chalamet a été époustouflé par les créations de Jacqueline West et Morgan. « Les costumes du film sont extraordinaires. Ils semblent bruts et sombres mais sont en parfaite harmonie avec le rythme et l’esthétique du livre », confie-t-il.
Le réalisateur signale : « J’ai choisi de travailler avec Jacqueline West et Bob Morgan, car ils sont très connus pour les films d’époque auxquels ils ont collaboré, et je voulais que les costumes fassent penser à un film historique. Quand on lit le livre, on a l’impression qu’il s’agit d’un roman qui a été écrit dans le futur et retrouvé par une sorte d’historien étrange qui aurait utilisé une machine spatio-temporelle – et je voulais restituer cette sensation à travers les costumes. Je souhaitais qu’ils aient l’air authentique, qu’on s’éloigne de la fantasy et qu’on soit plus ancré dans la réalité de ce que vivent les personnages dans leur environnement ou en raison de leur statut social. Je voulais que le résultat soit aussi réaliste, cru et authentique que possible, et je savais que Jacqueline et Bob seraient parfaits. J’admire vraiment leur travail ».