Dans les coulisses de DUNE, le film-événement de Denis Villeneuve – 12ème partie
Article Cinéma du Mardi 16 Novembre 2021
Le cinéma est bien évidemment un art visuel et sonore : Mark Mangini et Theo Green ont assuré le montage son, tandis que Doug Hemphill et Ron Bartlett ont été chargés du mixage réenregistrement. Tous les quatre avaient d’ailleurs collaboré à BLADE RUNNER 2049. Green se souvient que lorsqu’il a reçu le scénario, « mon souvenir du livre était, très sincèrement, assez flou. Je l’ai lu quand j’avais 11 ans. Mais j’ai emporté le livre dans le désert – la Vallée de la Mort –, j’ai joué dans le sable, j’ai réfléchi à l’intrigue et puis j’ai lu le scénario et j’ai commencé à noter mes premières idées. Me retrouver plongé dans le silence m’a permis d’explorer le son que procure le sable ». Très en amont, les deux hommes ont évoqué les éléments sonores récurrents de l’histoire, comme le marteleur que les Fremen utilisent pour attirer les vers des sables. Green, qui s’est documenté sur le sujet, précise : « Je me suis rendu compte qu’une dune de sable, contrairement à la plupart des lieux où nous vivons, résonne : on entend quelqu’un qui marche à 100 mètres de distance ». Mangini ajoute qu’ils n’ont pas tardé à revenir sur le site où ils avaient effectué leurs essais pour les enregistrements. « On a passé une journée dans le désert à fabriquer des éléments audio pour les ‘sables sonores’ et, notamment, en enterrant des hydrophones – micros destinés à être utilisés sous l’eau – sous le sable et en tapant dans du métal pour obtenir l’effet de martèlement », explique-t-il. « Avec les hydrophones, on a pu capter un son très novateur – comme un grognement étouffé – que la plupart des gens ne perçoivent pas », dit-il encore. « À certains moments de l’année, quand le sable lui-même se trouve en quantité suffisante – à la bonne température et avec la bonne humidité –, il produit ces magnifiques grognements qui font penser au chant des baleines. Dans le film, grâce à ces sonorités, le désert devient presque un personnage à part entière, doté d’une voix ».
La voix s’est révélée un autre instrument inattendu pour le film lorsque Villeneuve a de nouveau sollicité le célèbre compositeur Hans Zimmer pour la musique du film. Conscient que le roman d’Herbert le passionnait autant que lui, Villeneuve espérait dès le départ retravailler avec le grand musicien, lui qui avait déjà collaboré à BLADE RUNNER 2049. « Je vis avec Hans l’une des plus puissantes et fructueuses relations artistiques possibles, alors avoir la chance de travailler avec lui sur DUNE est un immense privilège », confie le réalisateur. Comme il l’avait pressenti, tous deux partagent la même passion pour le livre et ses nombreux thèmes : On était d’accord sur le fait que la musique devait avoir une dimension spirituelle et sacrée », déclare Villeneuve. « Quelque chose qui puisse élever l’âme et que seule la musique sacrée possède. Je pense que c’est très présent dans la partition d’Hans ». Zimmer, qui qualifie Villeneuve de « grand parmi les grands », évoque leur collaboration : « J’adore travailler avec Denis. Il a une imagination incroyable, il insuffle tant de sentiments et d’âme tout en maîtrisant l’incroyable complexité d’un film de cette ampleur. On a des styles finalement assez comparables. Le roman d’Herbert a toujours beaucoup compté à nos yeux, et la difficulté consistait à savoir comment interpréter une œuvre qu’on aime et qu’on admire tant et inviter le public à se faire sa propre idée. Pour nous, c’était la raison même de faire le film ».
« Hans a été inspiré par le bruit du vent et du sable, parce que sur Dune, le rythme définit tout. Le rythme, c’est la vie et, surtout, ça peut être la mort aussi, parce qu’il attire les vers des sables. Du coup, la première chose que l’on s’est dite, c’est que la manière dont on allait aborder le rythme allait être incomparable. Hans a fait de nombreuses expérimentations pendant le tournage : il cherchait à définir un nouveau langage musical. Il répétait que leur musique n’est pas de notre monde mais d’une autre époque, d’une autre planète. Il voulait créer un paysage sonore inédit et il a passé des mois et des mois à créer de nouveaux instruments, à définir, concevoir et chercher de nouveaux sons, à repousser encore les limites. Dans le film, il y a des rythmes spasmodiques et des ruptures que Hans a intégrés et qui, j’en suis convaincu, sont essentiels à la bande originale », détaille le réalisateur. En effet, Zimmer s’est dit que, puisque Dune représente une différente civilisation, il allait inventer les instruments pour explorer cette idée. Pourtant, Villeneuve et lui s’accordaient sur le fait qu’un élément commun à toute civilisation repose sur le pouvoir de la voix humaine. « Denis et moi étions d’accord pour dire que les personnages féminins de l’histoire, en particulier les puissantes Bene Gesserit, allaient être les moteurs du récit », reconnaît le compositeur. « La musique repose donc principalement sur des voix féminines. On a mis au point notre propre langage : les musiciens sont extraordinaires et ce n’est certainement pas une bande son traditionnelle ». L’équilibre et le rythme ont aussi joué un rôle essentiel dans le travail du chef monteur Joe Walker. Après avoir finalisé le montage de DUNE, qui marque sa quatrième collaboration avec Denis Villeneuve, Walker avoue que « son moment préféré dans la version finale est sans doute la scène la plus difficile, le Gom Jabbar ».
Le Gom Jabbar est le nom de la boîte dans laquelle la Mère Révérende demande à Paul de placer sa main, en lui disant qu’à l’intérieur se trouve « la souffrance ». « C’est une scène très intense, et il fallait donc instaurer une cadence en filmant Paul en souffrance quand il place sa main dans ce qui ressemble à un grille-pain, intercaler des plans de sa mère à l’extérieur convaincue qu’il est perdu, et montrer aussi dans l’esprit de Paul une ouverture sur l’univers des Bene Gesserit, avec le Kwisatz Haderach. C’était primordial d’avoir le bon rythme. Ça nous a pris beaucoup de temps et on n’a pas cessé de chercher à l’améliorer jusqu’au dernier jour de travail », raconte Walker. Walker relate aussi le défi – et le plaisir – de devoir monter pour le format IMAX. « C’est presque impossible de voir les détails qu’on distingue sur grand écran dans une salle de montage. Il faut donc constamment vérifier son travail sur grand écran, ce qui n’est pas trop pénible », concède-t-il en riant. « C’est vraiment génial de s’asseoir et de visionner les images sur un gigantesque écran IMAX : on aperçoit de petits détails qui sont extraordinaires et il y a une profondeur de champ vertigineuse quand on regarde un désert de cette taille. Les détails sont exceptionnels dans ce film ». « Mais il faut aussi monter les images de manière légèrement différente pour IMAX. On doit accepter des compromis sur certains éléments, car si on coupe et change de plan trop rapidement sur un film visionné sur un écran de cette taille, ça peut vraiment faire mal aux yeux. Quand on regarde un film sur une surface de près de 20 mètres de large, ça demande un effort musculaire et il ne faut pas que cela devienne pénible. Par conséquent, sur certaines scènes, on s’est mis à la place du spectateur : on s’est contenté de s’enfoncer dans son siège et d’admirer les images sur cet immense écran », conclut-il en souriant.
Avec des décors monumentaux, des lieux de tournage exaltants, de l’action à couper le souffle et des personnages fascinants, DUNE raconte la trajectoire initiatique d’un jeune homme qui affronte son destin dans un monde en lutte socialement et politiquement. Villeneuve et ses collaborateurs espèrent que le film touchera un large public bien au-delà des fans du livre – un public de tous âges, nationalités et classes sociales confondues. « J’envisage DUNE comme une déclaration d’amour au cinéma sur grand écran. C’est comme cela que le film a été rêvé, conçu et finalisé. Mais cette histoire est trop complexe pour être racontée en un seul opus, et pour moi, malgré les difficultés – car il s’agit du film le plus important et complexe de ma carrière –, DUNE est comme un avant-goût, un hors d’œuvre de la deuxième partie qui reste à venir, et qui sera le plat principal », conclut, taquin, le réalisateur.