MATRIX RESURRECTIONS : le retour des héros – 1ère partie : Entretien avec Lana Wachowski
Article Cinéma du Vendredi 17 Decembre 2021

La réalisatrice visionnaire Lana Wachowki signe MATRIX RESURRECTIONS, quatrième opus de la saga révolutionnaire qui a réinventé le genre de la science-fiction. Dans ce nouveau chapitre, on retrouve Keanu Reeves et Carrie-Anne Moss dans les rôles emblématiques qu’ils ont rendu célèbres : Neo et Trinity.

MATRIX RESURRECTIONS nous replonge dans deux réalités parallèles – celle de notre quotidien et celle du monde qui s’y dissimule. Pour savoir avec certitude si sa réalité propre est une construction physique ou mentale, et pour véritablement se connaître lui-même, M. Anderson devra de nouveau suivre le lapin blanc. Et si Thomas… Neo… a bien appris quelque chose, c’est qu’une telle décision, quoique illusoire, est la seule manière de s’extraire de la Matrice – ou d’y entrer … Bien entendu, Neo sait déjà ce qui lui reste à faire. Ce qu’il ignore en revanche, c’est que la Matrice est plus puissante, plus sécurisée et plus redoutable que jamais. Comme un air de déjà vu…

Keanu Reeves retrouve le double rôle de Thomas Anderson/Neo – l’homme qui a autrefois réchappé de la Matrice pour devenir le sauveur de l’humanité et qui devra, une fois encore, choisir dans quel chemin s’engager.

Carrie-Anne Moss campe la légendaire combattante Trinity… à moins qu’elle ne soit Tiffany, paisible épouse et mère de trois enfants ayant un petit faible pour les motos surpuissantes ?

Yahya Abdul-Mateen II (CANDYMAN, la saga AQUAMAN) incarne le sage et avisé Morpheus qui, comme toujours, sert de guide à Neo, tout en apprenant à mieux se connaître au cours d’un périple d’introspection des plus singuliers.

Jessica Henwick (IRON FIST, STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE) interprète le hacker Bugs, lapin blanc déterminé à découvrir qui donc s’est sacrifié pour l’humanité – et prêt à courir tous les risques pour retrouver la légende vivante qu’il vénère.

Jonathan Groff (HAMILTON, Mindhunter) joue le rôle de Smith, l’associé de Thomas Anderson, homme d’affaires doué et sûr de lui dégageant un charme nonchalant, arborant un sourire désarmant et attentif aux profits de l’entreprise - tout ce que n’est pas M. Anderson.

Neil Patrick Harris (GONE GIRL) incarne L’Analyste, le thérapeute de Thomas, avec qui il collabore étroitement pour décrypter le sens de ses rêves et savoir les distinguer de la réalité.

Priyanka Chopra Jonas (Quantico) joue le rôle de Sati, une jeune femme d’une grande maturité pour son âge, capable de déceler la vérité, aussi difficile à appréhender soit-elle.

Quant à Jada Pinkett Smith (LA CHUTE DU PRÉSIDENT, Gotham), elle incarne de nouveau Niobe, redoutable générale qui, autrefois, s’est battue pour la survie de Zion et qui veille désormais sur le bien-être de son peuple. Et si elle a toujours cette flamme qu’on lui connaît dans le regard, elle doute du retour de Neo.

Lana Wachowski a réalisé le film sur un scénario qu’elle a coécrit avec David Mitchell & Aleksander Hemon, d’après les personnages imaginés par les sœurs Wachowski. Le film a été produit par James McTeigue, Lana Wachowski et Grant Hill, tandis que Garrett Grant, Terry Needham, Michael Salven, Jesse Ehrman et Bruce Berman en ont assuré la production exécutive. La réalisatrice s’est entourée de ses collaborateurs de la série Sense8, comme les directeurs de la photo Daniele Massaccesi et John Toll, des chefs-décorateurs Hugh Bateup et Peter Walpole, du chef-monteur Joseph Jett Sally, de la chef-costumière Lindsay Pugh, du superviseur effets visuels Dan Glass, et des compositeurs Johnny Klimek et Tom Tykwer.

Entretien avec LANA WACHOWSKI (Réalisatrice / Coscénariste / Productrice)

Pourquoi ce retour dans l’univers de MATRIX ?


Lana Wachowski : Tout ce que j’entreprends est guidé par l’émotion. J’aborde mes projets sous un angle intellectuel, mais tout est guidé par l’émotion. J’ai à cœur de parler de ce que je ressens et de m’adresser au cœur des spectateurs. C’est devenu de plus en plus évident au fil de ma carrière. CLOUD ATLAS a marqué un vrai tournant artistique pour moi, et ensuite Sense8 a sans doute été mon projet le plus autobiographique – celui qui parle le plus de moi sur le plan intime. Et j’ai voulu insuffler les mêmes émotions à la trilogie. La trilogie parle de très belles relations amoureuses, du combat de l’être humain et du sens de notre vie – tous ces thèmes y figurent. Je me débattais dans tous ces questionnements quand j’étais jeune. Et je tenais à ce qu’on retrouve la personne que j’étais autrefois dans la trilogie MATRIX. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai eu envie de me replonger dans cette saga.

Mais pourquoi y revenir précisément aujourd’hui ?

Après avoir terminé Sense8, qui a été une expérience très forte, on s’est dit qu’on en avait fini avec la réalisation. Lilly ne voulait plus faire de films non plus, et on a résolu que ce dernier projet mettait un terme – pour le moment en tout cas – à notre carrière. Et puis, nos parents sont tombés malades, ma femme et moi sommes revenus à Chicago et avons emménagé avec eux et nous nous sommes occupés d’eux pendant les derniers mois de leur existence. Une nuit, je me suis réveillée en ressentant une douleur extrêmement forte, et tandis que j’éprouvais une grande détresse en pensant à mes parents qui étaient en train de mourir, j’ai eu besoin d’imaginer une histoire qui puisse m’apaiser. C’est ainsi que mon esprit, un soir, a ressuscité ces deux êtres qui venaient de mourir : Neo et Trinity. Cette idée, qui avait surgi dans ma tête en pleine nuit, m’a aussitôt séduite : je me suis installée à mon bureau et j’ai commencé à écrire l’histoire.

Keanu Reeves et Carrie-Anne Moss sont de retour eux aussi…

C’est magnifique d’observer Keanu et Carrie dans ce film. Ils ont exactement l’âge qui convenait pour un tel projet – nous avons l’âge qui convenait. Tous les paramètres semblaient réunis d’une certaine manière. Keanu est à un âge-charnière : s’il avait été plus âgé, cela n’aurait pas fonctionné. Et s’il était vraiment plus jeune, cela n’aurait pas eu le même impact et la même force. Mais lorsqu’il dit « J’ai le sentiment que rien de ce que j’ai fait dans ma vie n’a d’importance », ce sont là des questions dans lesquelles nous nous débattons et qui nous interrogent. En vieillissant, on se demande ce qui compte vraiment et on se rend compte qu’en réalité, très peu de choses ont de l’importance. On voit ces deux personnages se poser ce genre de questions et ce n’est possible que parce que le temps a passé. Carrie a donné une toute nouvelle dimension au personnage : elle était déjà redoutable et intrépide dans la première trilogie, mais elle s’est surpassée cette fois et elle est tout simplement extraordinaire. Quant à Keanu, je l’adore : j’avais envie de tourner de nouveau avec lui et de replonger dans cette histoire avec lui.

Parlez-nous des cascades du film…

C’était franchement stimulant de voir Keanu et Carrie exécuter leurs propres cascades dans MATRIX, ce qui était très novateur à l’époque. Aujourd’hui, c’est très banal, mais à l’époque, personne ne le faisait. C’est ce réalisme qui a touché les spectateurs, émotionnellement et physiquement, et ils l’ont vécu. Je voulais donc avoir une scène, d’ordre symbolique, qui rende hommage à leurs prouesses. Je leur ai dit que je souhaitais filmer une scène où ils sont au sommet d’un immeuble, ils se tiennent la main, ils courent à toute vitesse et sautent ensemble du gratte-ciel. Je voulais que l’éclairage naturel de la scène soit parfait et il fallait donc trouver le moment idéal pour la tourner. Et je tenais à ce qu’elle soit d’un réalisme total. J’ai dit aux acteurs que la peur ne devait pas transparaître à ce moment-là car c’est un autre sentiment qui les anime. On a donc construit une petite plate-forme, et ils ont réalisé un premier saut et ont appris les bons gestes. On a ensuite construit des plateformes de plus en plus hautes. C’était un véritable entraînement, sur le plan affectif et intellectuel. Tous les éléments semblaient se conjuguer pour nous freiner. Et la météo ne nous a pas aidés ! On ne disposait que d’un espace réduit pour les sauts. On grimpait donc en haut de l’immeuble toutes les nuits, vers 3h du matin. On mettait tout le matériel dans les ascenseurs – les malheureux techniciens devaient acheminer tout le matériel au sommet du gratte-ciel – et on attendait. Mais ce périple tout en haut du bâtiment était comme une veillée, comme un pèlerinage. Et on se disait sans cesse « Pourvu que ça fonctionne, pourvu que ça fonctionne… »

Vous êtes entourée de fidèles collaborateurs…

Étant donné que c’est un événement tragique qui m’a poussée à me replonger dans la saga, je voulais réunir des amis pour ce projet : [le producteur] James McTeigue a été l’un des premiers que j’ai appelés, et je lui suis très reconnaissante qu’il ait accepté. Si on voulait tous les deux renouer avec la saga, c’est parce que MATRIX a changé notre vie, et que cette trilogie nous a appris quelque chose de profond sur la création artistique. La création vous métamorphose : si on y met son cœur, son âme et son énergie, elle vous change. On voulait donc rendre hommage à ce que nous avions appris en la matière. Et le film s’en fait l’écho. J’ai mis au point une nouvelle manière de tourner sur Sense8 avec [les directeurs de la photo] John Toll et Daniele Massaccesi, où je suis d’une très grande souplesse et où j’improvise en permanence. Cette équipe est démente ! Et puis, bien sûr, le remarquable [scénariste] David Mitchell l’a parfaitement bien résumé en disant « Il ne s’agit pas d’un quatrième rectangle dans une série de rectangles, mais plutôt un rectangle qui englobe tous les rectangles antérieurs ».

Comment décririez-vous l’évolution de votre mise en scène ?

J’ai évolué en tant qu’être humain et en tant qu’artiste, et j’accepte de plus en plus l’incertitude – je me suis même mis à l’apprécier. Je sais, par exemple, que la lumière naturelle est la manière la plus incertaine d’éclairer un film. Elle est profondément imprévisible. On ne connaît jamais à l’avance l’intensité lumineuse de la lumière naturelle. On ne sait jamais comment elle va se réfléchir sur les surfaces, quelle force magique elle va apporter à l’image. Au départ, j’étais terrorisée par la lumière naturelle, parce que je ne pouvais pas en prévoir le résultat. Et puis, j’ai rencontré John Toll et il m’a appris à aimer la lumière naturelle. Et c’est ma passion pour elle qui m’a poussée à aimer l’incertitude. Lorsqu’un acteur insuffle une certaine grâce à la scène et qu’elle se mêle à la lumière naturelle, il se produit la plus belle énergie qu’on puisse imaginer – et c’est vraiment ce qui me fait vibrer. On passe donc son temps à s’adapter en fonction des évolutions. James a rejoint l’aventure et il s’est pris de passion pour le même style : chacun s’empare d’une caméra et tâche de capter des moments sur le vif, de capter la beauté. Il fait un soleil éclatant, on sait qu’on dispose d’une vingtaine de minutes idéales, et on tente de tourner une scène dialoguée de six pages pendant ce laps de temps. Presque en temps réel, on tourne en plan large, en plan moyen et en gros plans. C’est tout ce dont on a besoin quand on privilégie l’impro. C’est ce que je tenais à faire en filmant MATRIX RESURRECTIONS. Au lieu d’être précis, j’avais envie de cette énergie propre à l’improvisation.

Parlez-nous de votre collaboration avec le compositeur Tom Tykwer…

Je tente de puiser davantage dans ma vie personnelle pour nourrir mes projets. Et inversement. Je tâche vraiment de réunir les deux. Et c’est ce qui est formidable dans mes retrouvailles [avec l’équipe technique], c’est que MATRIX nous a réunis. On est allés en Australie, j’ai fait la connaissance de James [McTeigue] avec qui je suis devenue amie – et il se trouve que Tom [Tykwer] venait de réaliser COURS, LOLA, COURS au moment même où sortait MATRIX : on s’est dit ce qu’on avait chacun pensé du film de l’autre, et il m’a confié qu’il avait été touché par MATRIX. Quand il a appris qu’on cherchait un compositeur [pour MATRIX REVOLUTIONS], on s’est vus autour d’un dîner – et on a eu comme un coup de foudre. C’est ce projet qui nous a rapprochés, et puis on a continué à collaborer ensemble et à évoluer, à la fois en tant qu’individus et qu’artistes. C’était formidable de progresser humainement et artistiquement ensemble. Il y a des gens qui entrent dans votre vie et on n’arrive pas à imaginer qui on serait si on ne les avait jamais rencontrés. C’est ce que je ressens à l’égard de James et Tom. Ce nouveau projet était l’occasion de boucler la boucle – de clore cette intrigue qui nous avait réunis au départ – et de se retrouver ensemble pour s’attacher à une facette différente de la saga.

Quel sentiment avez-vous en pensant à tout ce que MATRIX représente pour vous ?

Je crois que l’énergie propre à MATRIX a façonné notre carrière, à Lilly et moi. On a toujours cherché à travailler avec des gens qui osent explorer des pistes nouvelles et qui ne veulent pas rester dans une forme de routine… qui aiment relever des défis, être bousculés dans leurs habitudes et expérimenter des choses nouvelles. C’est d’ailleurs ce qui me caractérise comme être humain et, sans doute, comme artiste : je pousse les autres à tenter des choses dont ils ne se pensaient sans doute pas capables. Et dont je ne me pensais pas capable non plus.

Si vous voulez continuer à explorer l’univers de la Matrice, rendez-vous très vite sur ESI pour une interview avec Neo ! Bookmark and Share


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