MOONFALL : Le nouveau suspense apocalyptique de Roland Emmerich – 2ème partie
Article Cinéma du Mardi 01 Fevrier 2022

QUAND LES MONDES S’ENTRECHOQUENT : LOIS DE LA PHYSIQUE, EFFETS VISUELS ET MÉGASTRUCTURES

Une fois encore, Emmerich repousse les limites de la science-fiction et du film-catastrophe – cette fois, en s’inspirant de sa vision de la lune comme mégastructure. Pour l’écriture du scénario, comme pour le tournage, des séances de travail ont été organisées réunissant les scénaristes, des conseillers scientifiques, le chef-opérateur Robby Baumgartner et le superviseur effets visuels Peter G. Travers (qui a une formation d’ingénieur).

Pour l’écriture, il s’agissait de rendre les lois de la physique concernant la chute de la lune aussi crédibles que possible. « Dès le départ, on a discuté avec des scientifiques pour savoir ce qui se passerait si une telle situation se présentait », relève Emmerich. « On s’est entretenu avec quelqu’un qui travaille au Jet Propulsion Laboratory de Pasadena. Ce qu’il nous a confié était très intéressant : si la lune était déviée de son orbite, elle décrirait une orbite elliptique et non plus sphérique, et celle-ci se réduirait de plus en plus jusqu’à ce que la lune percute la Terre. C’est le premier élément qui nous a enthousiasmés ».

« Ensuite, on a appris que quelle que soit la proximité entre la lune et la Terre, la force de gravité reste la même », poursuit-il, en soulignant que c’était là un inconvénient qui nécessitait une solution ingénieuse. « Cependant, la lune du film n’est pas une lune naturelle, si bien qu’elle cherche à réintégrer son orbite d’origine. On a joué sur ce phénomène en l’amplifiant ».

« On a aussi admis certaines hypothèses, comme le fait que la lune est une mégastructure, et non un gigantesque rocher », explique Travers. « Elle recèle une structure en son sein qui possède une certaine densité. Elle décrit une orbite autour de notre planète à une certaine vitesse et depuis une certaine distance. On a dû se demander comment, pendant des milliards d’années, elle avait pu tourner autour de la Terre jusqu’à ce qu’un événement récent y mette fin. Le seul moyen de faire en sorte que la lune tombe sur la Terre consistait à augmenter sa masse de manière significative, ce qui revenait à provoquer une anomalie. On a compris que si une anomalie pouvait accroître la masse de la lune, c’est cette anomalie qui provoque le choc entre les deux planètes ».

En matière d’effets visuels, la première étape consistait à créer une simulation physique dans Maya (logiciel 3D d’effets visuels largement utilisé au cinéma). C’est ainsi que Travers a construit un mini système solaire dans le logiciel.

Le récit se déroule en l’espace de trois semaines, si bien que les auteurs ont conçu un univers dans lequel la lune était susceptible de chuter sur la Terre dans ce laps de temps. « J’ai d’abord fait en sorte que la lune décrive une orbite parfaitement réglée, et puis j’ai commencé à perturber sa trajectoire », indique Travers. « J’ai augmenté sa masse, puis j’ai lancé la simulation et j’ai obtenu un modèle opérationnel. Il fallait qu’on détermine ce qui pouvait accroître la masse de la lune de manière aussi importante car rien, dans l’univers physique, n’injecte soudain de la masse à un autre objet ».

« Une fois qu’on a émis nos hypothèses sur la masse, on a réfléchi aux conséquences sur la force de gravité », poursuit Travers. « Calculer la gravité entre deux planètes est extrêmement complexe – c’est ce qu’on appelle ‘un problème à deux corps’ en physique. À un moment, vers la fin du film, la lune est tellement proche de la Terre qu’elle exerce une force de gravité d’une incroyable intensité sur les populations. Roland a fait remarquer que, logiquement, les objets et les gens ne devraient pas être soulevés verticalement, mais de biais et avec une force hallucinante. Roland s’est alors dit qu’il pouvait exploiter cette idée de manière intéressante ».

Malgré le respect de certaines lois physiques et la magie des effets visuels, il fallait, par souci de crédibilité scientifique, aménager des plateaux de tournage, mettre au point des accessoires et orchestrer des effets spéciaux. « On doit toujours bâtir un décor et des objets en dur », explique le réalisateur. « Je crois encore aux effets physiques parce que ce sont eux qui assurent un liant entre tous les éléments. C’est grâce à eux que le spectateur adhère au propos du film ».

Baumgartner et Emmerich ont évoqué la lumière en amont du projet. « MOONFALL est un thriller de science-fiction et d’action de grande ampleur, mais qui repose aussi sur la psychologie des personnages », détaille le chef-opérateur. « Avec Roland, on s’est dit que les scènes les plus intimes, se déroulant dans la vie quotidienne, devaient être éclairées de manière naturaliste. Ce qui est plutôt inattendu dans une grosse production à effets spéciaux. Je suis partisan de ne pas employer d’éclairage inutile, comme des rétroéclairages très forts ou des lumières latérales sans raison légitime. En plus, dès lors qu’on était dans l’espace, on avait beaucoup plus de libertés en matière d’éclairage ou de couleurs. On a aussi largement joué sur les possibilités offertes par le numérique et limité les éclairages dans certaines scènes, n’hésitant pas à laisser certaines zones du plan dans la pénombre ».

« Il y a deux parties dans le film, celle se déroulant dans l’espace et celle se déroulant sur Terre », intervient le chef-décorateur Kirk M. Petruccelli. « La difficulté consistait à faire coexister deux conceptions radicalement différentes de la narration, puis à les réunir. Sur Terre, Roland tenait à ce que tout soit réaliste et émouvant car chacun des personnages cherche à partager quelque chose avec autrui. Par ailleurs, il fallait que l’événement cataclysmique ne soit pas seulement perçu par le spectateur, mais aussi depuis l’espace. Autant dire que l’enjeu était de taille ».

Les séquences d’action, à la fois inventives et spectaculaires, nécessitaient une solide coordination entre Baumgartner, le superviseur effets visuels Guillaume Murray, Petruccelli et le chef-cascadeur Patrick Kerton. « Étant donné l’envergure des scènes d’action, certaines d’entre elles ont dû être tournées en plateau sur fond bleu à 360° car la catastrophe apocalyptique qui se déroulait était un mélange impressionnant de plans réels et de plans infographiques », indique Baumgartner. « C’est ainsi qu’à un moment donné, on assiste à une course-poursuite en voiture à travers les rues enneigées d’Aspen pendant que la lune se rapproche dangereusement de la Terre. On savait depuis le début que les plans très larges seraient générés en infographie, mais il fallait qu’on filme les acteurs en voiture de manière réelle, puis qu’on intègre ces images aux plans d’effets visuels de manière convaincante. Par conséquent, pour orchestrer le carambolage des voitures et le positionnement des éclairages, mieux valait être en plateau. Guillaume, qui s’occupait des effets spéciaux, a équipé les pneus des voitures d’un système proche d’un aéroglisseur, si bien que les véhicules pouvaient flotter, pivoter et s’entrechoquer sans effort. Grâce à ces outils, on a pu intégrer les déplacements des voitures à l’action avec fluidité. On a utilisé un stabilisateur de cardan à trois axes pour que les mouvements de caméra donnent le sentiment que les voitures se soulèvent du sol ou se percutent. C’était plutôt efficace ».

« On a pas mal eu recours aux éclairages interactifs », ajoute Baumgartner. « Ce projet a été l’un des plus complexes de ma carrière, notamment parce qu’il fallait intégrer les scènes d’action, tournées réellement, aux plans d’effets visuels. On avait souvent affaire à une lune qui, quand elle se lève, est dans des tons chauds, à la manière d’un lever de soleil, puis qui vire à un bleu froid de plus en plus intense. On a fait construire un dispositif motorisé complexe qui permettait de hisser en haut du plateau une source de lumière LED de type RGB, précisément synchronisée avec l’action se déroulant dans les plans d’effets visuels. Par ailleurs, dans plusieurs scènes, des dizaines de météores pleuvent sur la Terre, si bien qu’il fallait qu’on mette au point l’éclairage et les mouvements pour qu’on puisse ressentir l’effet de cette lumière chaude et se déplaçant à toute vitesse sur les acteurs et le décor. Avec mon éclairagiste, Eames Gagnon, et mon chef machiniste, David Dinel, on a cherché plusieurs moyens d’y parvenir, mais au bout du compte, on s’est aperçu que le plus efficace, c’était d’installer un éclairage mobile dynamique sur toute la longueur du plateau, au lieu de chercher à déplacer physiquement les sources de lumière. En plus, on avait des explosions, des phares mobiles, des lumières dans tous les sens – on avait de quoi faire ! »

Au cours d’une des scènes d’action les plus spectaculaires, des milliers de gens se précipitent pour acheter ou voler de l’essence, des vivres, de l’eau et des bouteilles d’oxygène. Une bande de malfaiteurs, déterminés à s’emparer d’un coffre rempli de bouteilles d’oxygène – alors que l’oxygène menace de manquer sur Terre –, les attaquent. Des séismes se produisent et des semi-remorques sont arrachés du sol pour retomber sur les populations, de gigantesques crevasses s’ouvrent dans la terre, des châteaux d’eau s’effondrent, et une tempête de neige d’une force inédite se déclenche.

En somme, une journée ordinaire dans l’univers de Roland Emmerich…

LA TERRE DANS LA LIGNE DE MIRE

La partie du film se déroulant sur Terre est censée se passer dans le Colorado, dont les décors ont été reconstitués sur le plateau n°3 des Grandé Studios de Montréal. « Du début à la fin, on a mis six semaines pour créer environ 2,5 km de paysages du Colorado », indique Petruccelli. « On avait une équipe de décorateurs de plateau qui utilisaient les toutes dernières technologies pour numériser, reproduire et scanner des chaînes de montagnes, les décortiquer, créer des nervures, reproduire avec précision chacun de ces décors, puis disposer les rochers qu’on avait créés sur le plateau ».

« La gravité – qui attire la lune vers la Terre – est l’un de nos principaux effets », détaille Petruccelli. « La tectonique des plaques à échelle planétaire provoque des déplacements de continents entiers et des tremblements de terre, si bien qu’il fallait prévoir des plateaux mobiles et des éléments de décor en mouvement. Il fallait que tous nos plateaux puissent supporter des vents, des pluies et des tempêtes de neige de grande intensité ».Les scènes de cascades spectaculaires qui se produisent sur Terre intégraient plusieurs éléments mobiles, en raison de l’anti-gravité que produit la lune en se rapprochant de notre planète.

John Bradley participe à plusieurs de ces scènes, dont celle, au début du film, où un raz-de-marée inonde l’hôtel où il livre un discours sur les mégastructures. « Patrick Wilson et moi avons avalé une quantité inimaginable d’eau immonde ce jour-là », signale Bradley en riant.

La reconstitution de Los Angeles à Montréal s’est révélée une tâche monumentale. « Tout a été construit : la piste de l’aéroport, les rues, les bâtiments », précise le chef-décorateur. « Mais ce sont les détails qui ont donné toute leur authenticité aux décors. On a ainsi habillé les rues et les immeubles pour qu’ils évoquent des quartiers de Los Angeles. La destruction a, elle aussi, été spectaculaire, parce qu’il a fallu qu’on aménage le plateau, puis qu’on détruise le décor nous-mêmes afin que les objets et les débris retombent de manière naturelle. Il ne s’agissait pas de tout ravager de façon chaotique. Il fallait imaginer le cataclysme et mettre en œuvre cette destruction, ce qui était très amusant ».

Découvrez comment la NASA a contribué au tournage de MOONFALL dans la prochaine partie de notre dossier ! Bookmark and Share


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