NIGHTMARE ALLEY : Le thriller cauchemardesque de Guillermo Del Toro – 4ème partie
Article Cinéma du Lundi 07 Fevrier 2022
LA MUSIQUE DU CAUCHEMAR
Artiste œuvrant dans de multiples disciplines, Nathan Johnson (À COUTEAUX TIRÉS) a collaboré avec Guillermo del Toro à Los Angeles pour composer la musique du film. Acclamé pour la musique de longs métrages comme LOOPER et BRICK ou la réalisation de courts métrages (notamment des clips pour Son Lux et Lucius), son travail musical brouille constamment les frontières entre la scène, l’écran et la narration audiovisuelle. Guillermo del Toro déclare : « Nathan et moi nous sommes rencontrés et avons discuté ensemble des personnages. Je lui ai annoncé que je ne voulais pas aborder les instruments à utiliser ou la façon dont je voyais cette partition, mais que je voulais parler de Stan, de Lilith, de Molly… » Pour NIGHTMARE ALLEY, la musique composée par Nathan Johnson est innovante, variée et cependant traditionnelle. Dans la première moitié du film, à la fête foraine, elle installe l’ambiance, tantôt pleine d’espoir, tantôt inquiétante. Dans la seconde moitié, en ville, elle accompagne l’action au rythme d’un film traditionnel de l’époque, se pliant aux différentes phases, créant un sombre duo entre Lilith et Stanton alors que ce dernier approche de son inévitable destinée. Le compositeur commente : « On commence avec ce personnage solitaire non pas par un thème ou un motif mais par une simple note. C’était mon concept. Une unique note de piano – la première chose que l’on entend dans le film. Et puis au fil de l’histoire, Stan met des masques et fait entrer des gens dans sa vie. »
La musique de NIGHTMARE ALLEY commence très simplement à la fête foraine puis prend de l’ampleur lorsque Stan part pour la grande ville. Au fil des événements, son thème qui n’était au départ qu’une seule note au piano est peu à peu accompagné par une trompette, puis soudain par un orchestre au complet avec un somptueux piano à queue. Nathan Johnson note : « C’est un film sur un type qui ne change jamais. Nous construisons l’accompagnement musical peu à peu à partir de cette note, l’enrichissant à mesure qu’il enfile ses masques, l’embellissant… pour finalement revenir à l’ultime dépouillement. C’est une histoire tellement particulière ! »
MONTER LE SPECTACLE
Le monteur son canadien Nathan Robitaille, lui aussi nommé à l’Oscar pour son travail sur LA FORME DE L’EAU, a discuté en amont du projet avec Guillermo del Toro. Leurs échanges ont eu une grande influence sur la manière dont le son contribue à établir une distinction entre la foire et la grande ville. À la fête foraine, les gens sont pauvres mais libres. En ville, leur richesse est synonyme d’isolement et de solitude. Ces deux mondes sont très différents et la pandémie a amplifié cela. Comme pour le reste de la production, l’interruption prolongée a permis au monteur son d’avoir du temps et du recul pour aborder la fête foraine avec une oreille neuve. Nathan Robitaille explique : « Guillermo est très attentif à la dimension sonore. Il s’intéresse à chaque syllabe, chaque respiration, à la tonalité des mots, à la musique de fond, au volume et au positionnement dans la pièce. Il était important pour lui d’avoir son équipe pendant quelques semaines pour finaliser le travail sonore que nous avions entamé dans la grande ville par vidéoconférence. » Lorsque le tournage a repris, les enregistrements sons effectués en plateau – comme la foule de la fête foraine, les manèges, les autos tamponneuses, les jeux, le claquement du tissu des tentes, tous les véhicules d’époque, etc. – ont tous été utilisés pour élaborer un monde plein de vie et de texture, qui donne la sensation d’avoir été enregistré en plein air.
Nathan Robitaille commente : « Une fois que l’histoire passe en ville, tout ce qui apparaît à l’écran donne l’impression de coûter cher et d’être de première qualité. Cela se retrouve dans l’acoustique, du tintement des verres à cocktail en cristal dans le bureau de Lilith aux riches tissus et aux bruitages des surfaces en marbre. Chaque porte a un joint étanche, comme un sas, qui isole du monde extérieur. Tous ces éléments se combinent pour placer le public dans une réalité où l’étau se referme si progressivement que l’on ne s’en rend compte que quand il est trop tard… »
LES COSTUMES
Dans NIGHTMARE ALLEY, Luis Sequeira - le chef costumier de longue date de Guillermo del Toro - a dû procéder à quelques 242 changements de costumes - des haillons aux costumes élégants, des tenues de cirque kitsch aux somptueuses robes glamour des années 1930. En accord avec l’esthétique générale du film, il a travaillé selon deux palettes divergentes. Il détaille : « Dans le monde du carnaval, tout est chaleureux, avec des teintes naturelles couleur terre, qui rappellent le milieu des années 30. En ville, nous avons opté pour des tons froids et monochromes, avec une touche haute couture. » En faisant des recherches, Luis Sequeira a créé des catalogues de centaines d’images pour les personnages du film, afin que chacun ait un look symbolique qui lui soit propre. Presque tous les costumes ont été faits à la main : le chef costumier s’est approvisionné en tissus authentiques dans le monde entier et a parcouru les marchés aux puces pour les accessoires. Il précise : « Nous avons fabriqué 80 % des costumes nous-mêmes, y compris les chaussures, les gants, les chapeaux et la lingerie. »
Pour Stanton, Luis Sequeira a conçu une garde-robe qui change radicalement au fur et à mesure qu’il passe du statut de vagabond malchanceux à celui de forain, puis d’artiste de music-hall à succès avant de tomber en disgrâce. Le chef costumier explique : « Stanton subit une transformation complète. Nous avons utilisé les coupes et les tissus des costumes de Bradley pour aider à raconter l’histoire d’un homme démuni qui devient quelqu’un de puissant. »
Le chef costumier a été particulièrement intrigué par le look de Stanton dans la seconde partie du film. Il commente : « L’année 1941 a été une très belle époque pour la mode masculine et j’ai pu récupérer des tissus incroyables en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. Les transformer en vêtements a été très excitant. » Pour illustrer le contraste entre les origines pauvres de Stanton et celles de Grindle, né dans l’aisance parmi l’élite, Luis Sequeira a habillé l’un en marron et l’autre en gris. Il détaille : « Stanton se distingue au milieu de la haute société de Buffalo. Là où Grindle est vêtu simplement mais impeccablement, avec des costumes de bon goût à la coupe parfaite, lui joue la carte du plus voyant, à la limite du criard. C’est un nouveau riche, un parvenu, alors que Grindle représente une vieille fortune. »
Luis Sequeira a pu s’amuser et faire preuve de créativité avec les femmes du film, qui ont chacune un look bien défini, à la fois authentique pour l’époque et unique. Pour Molly, il a travaillé avec différentes nuances de rouge, une couleur que lui et Guillermo del Toro associent à l’esprit de la fête et qui fait écho aux costumes utilisés dans le film en noir et blanc de 1947. Il a créé pour la jeune femme des tenues originales comme la robe à paillettes or et noir avec une touche de rouge, et une robe en velours noir ornée d’un papillon rouge. Guillermo del Toro commente : « On abandonne la couleur rouge quand nous quittons la fête foraine, et elle n’existe alors plus que sur Molly et le panneau de l’Armée du Salut. » Luis Sequeira a également réalisé l’une des pièces vestimentaires les plus importantes de NIGHTMARE ALLEY : la robe que porte Molly pour incarner l’amour perdu de Grindle au moment culminant du film. Jouant sur le thème du fantôme, il a conçu une robe en organza blanc fluide, à demi transparente, légèrement vieillie pour lui donner une nuance lilas subtilement surnaturelle. Le chef costumier explique : « Dans l’univers forain, tout est dans des tons chauds, des ocres et des bruns qui rappellent le milieu des années 30. Lorsqu’on passe en ville, nous avons opté pour un style très froid et monochrome, presque dans l’esprit haute couture. »
Luis Sequeira est allé encore plus loin dans la haute couture avec les somptueux tailleurs pantalons et les robes de Cate Blanchett, confectionnés dans de riches nuances de vert, de violet prune et de noir, et dessinés d’après les tenues d’icônes du cinéma comme Greta Garbo et Joan Crawford. L’une de ses créations préférées dans le film est la robe en velours du Dr Lilith Ritter, avec ses audacieux appliqués en cuivre. Le chef costumier commente : « On a rarement l’occasion de créer une tenue de soirée haute couture des années 1940 ! Et pouvoir habiller Cate Blanchett est un immense honneur. » Il poursuit : « Le Dr Ritter est élégante et aisée. Je recherchais donc de belles lignes et des détails luxueux mais je voulais que ses vêtements soient réels, qu’ils ne donnent pas l’impression d’être des costumes de théâtre. Je voulais qu’elle se sente intemporelle. »