LA SAGA RAY HARRYHAUSEN – Un Million d’Années avant J.C.
Article Cinéma du Vendredi 17 Novembre 2023

Par Pascal Pinteau

Un Million d’Années avant J.C. ( One Million years BC) USA 1966 Réalisation: Don Chaffey. Scénario : Michael Carreras, Mickell Novack et George Baker. Production : Michael Carreras. Effets visuels : Ray Harryhausen. Musique : Mario Nascimbene. Avec : Raquel Welch, John Richardson, Percy Herbert et Martine Beswick . Couleurs. Distribution : Warner . Durée : 1h40. L’histoire : Tumak, membre de la tribu préhistorique des rochers, est condamné à l’exil après une querelle avec son père, le chef Akhoba. Après plusieurs jours d’errance dans le désert, il s’effondre sur une dune de sable. Trois femmes du clan des coquillages, dont le village est installé sur la côte, le trouvent et le sauvent in extremis alors qu’une tortue marine colossale passe par là. Loana, la fille du chef, est émue de le voir Tumak si affaibli et le soigne. Peu après, Tumak réussit à vaincre un allosaure qui surgit dans le village. Cela rend jaloux Payto, le fiancé de Loana, qui provoque ensuite Tumak en duel. À l’issue du combat, Tumak est à nouveau exilé, mais Loana choisit de l’accompagner. Après avoir été menacés par un tricératops et un cératosaure, ils rejoignent les cavernes de la tribu de Tumak, et apprennent que Akhoba a été sévèrement blessé. Tandis que Loana enseigne au clan le savoir du peuple des coquillages, la bonté de Tumak lui vaut d’être désigné comme nouveau chef au lieu de son frère Sakana. Mais ce dernier échafaude un plan pour s’emparer du pouvoir…

Un remake qui surpasse l’original

En 1965, la Hammer cherche de nouvelles manières de se développer. Depuis la fin des années 50, la fameuse société de production anglaise a remporté un succès international avec ses nouvelles transpositions des classiques de l’épouvante, et notamment grâce aux films opposant Christopher Lee dans le rôle de Dracula à Peter Cushing dans celui du professeur Van Helsing. Le producteur James Carreras – surnommé « Le Colonel » en raison de sa rigueur quasi-militaire - sait qu’il va devoir renouveler et diversifier l’offre de la Hammer au-delà des films d’horreur pour assurer sa pérennité. Son fils Michael a justement des idées à lui proposer dans le registre de l’aventure, et notamment celle d’un « film de dinosaures ». Après avoir effectué quelques recherches, Michael Carreras visionne ONE MILLION YEARS B.C (TUMAK, FILS DE LA JUNGLE en VF) réalisé en 1940 par Hal Roach, une description fantaisiste de la préhistoire où les humains côtoient des dinosaures, alors que ces animaux ont disparu des centaines de millions d’années auparavant. Victor Mature incarne l’héroïque Tumak, tandis que les reptiles géants sont joués bien malgré eux par des iguanes et des bébés alligators affublés de crêtes en latex, et filmés dans des décors miniatures. Pendant une scène irrésistiblement ratée, un figurant en costume de T-Rex surgit pour menacer la tribu. Il est si peu crédible qu’il n’est montré qu’au travers de branchages, pendant que Victor Mature le pique avec sa lance ! Malgré le côté terriblement naïf du film, Michael Carreras pense qu’il y a là un filon à exploiter, en mêlant deux ingrédients attractifs : de jolies actrices moulées dans des bikinis de fourrure et des combats spectaculaires entre hommes des cavernes et dinosaures. Connaissant bien les films de Ray, et sachant qu’il habite à Londres, Carreras le contacte et lui présente son projet. Ray n’a guère envie de s’impliquer dans un remake, mais en visionnant à nouveau le film de 1940, qu’il avait découvert sans grand enthousiasme dans sa jeunesse, ses défauts techniques et narratifs ne tardent pas à le convaincre que Carreras a raison. On pourrait concevoir de affrontements bien plus spectaculaires entre les humains et les dinosaures en utilisant la Dynamation. La tentation de revenir à ses créatures de prédilection a vite raison des hésitations de Ray. Il accepte la proposition de Carreras, mais après avoir organisé un arrangement financier avec Charles Schneer. Comme une star d’Hollywood, Ray va être « prêté » par les productions Morningside à la Hammer le temps d’un film !

Un projet épique

Totalement impliqué dans le projet, Michael Carreras décide d’en co-écrire le scénario. Ray réalise trois illustrations pour l’aider à en construire la structure : un allosaure surgissant dans un village, l’attaque d’un ptéranodon, et la confrontation d’un groupe d’hommes avec un brontosaure. Carreras sait qu’un chef opérateur connaissant bien les trucages et un réalisateur maîtrisant les scènes d’action vont être indispensables pour rendre le film efficace. Ray suggère Wilkie Cooper pour la direction de la photo, et Nathan Juran ou Don Chaffey pour la mise en scène. Cooper et Chaffey sont engagés peu après. Carreras confie le rôle de Loana à la sublime Raquel Welch, encore très peu connue dans son Amérique natale, et qui ne voit donc aucun inconvénient à aller porter un bikini de fourrure dans un film de dinosaures tourné en Angleterre. Tumak sera incarné par le comédien anglais John Richardson, et Nupondi, la rivale de Loana, par Martine Beswick, devenue une James Bond girl dans BONS BAISERS DE RUSSIE. (Signalons pour l’anecdote que John Richardson aura un coup de foudre pour Martine Beswick pendant le tournage, et l’épousera peu après.) Reste à trouver des paysages qui pourront évoquer la préhistoire. Michael Carreras envisage de tourner en Islande, puis entend parler des panoramas de Lanzarote et de l’archipel espagnol des îles Canaries. Enthousiasmé par les photos qu’il découvre, il organise des repérages sur place en juillet 1965, en compagnie de Ray et de Don Chaffey. Le trio est époustouflé par les vastes paysages volcaniques de l’île, peu fréquentés par les touristes à ce moment-là. Ils trouvent tous les décors naturels dont ils vont avoir besoin: des plages de sable fin, des dunes désertiques, des montagnes et des plaines immenses d’où émergent des îlots de roches sombres. Ray prend des centaines de photos pendant les neuf jours de ce voyage. Dès son retour, il incorpore ces paysages aux storyboards des séquences en Dynamation. Juste avant le tournage, Michael Carreras, Don Chaffey, Wilkie Cooper, Ray et le directeur artistique Bob Jones se rendent à nouveau aux îles Canaries pour sélectionner définitivement les décors naturels qui seront filmés. Ils s’aventurent dans un champ de lave solidifiée pour l’examiner quand Don Chaffey s’enfonce soudain dans le sol, entre Ray et Bob Jones. Ses compagnons le retiennent in extremis, alors qu’il est déjà enseveli jusqu’à la taille, et l’extirpent de là. Le réalisateur l’a échappé belle : sans s’en rendre compte, les explorateurs amateurs sont passés au-dessus d’une fine couche de roches recouvrant un ancien tunnel de lave. Chaffey aurait pu faire une chute mortelle s’il avait traversé le sol friable, mais personne n’a eu envie d’en savoir plus sur ce qui se cachait en dessous !

Un voyage en famille

Le 17 octobre 1965, toute l’équipe du film prend l’avion et atterrit à Las Palmas, capitale de Grande Canarie, l’une des îles de l’archipel. Il y a là les membres de la première et de la seconde équipe de tournage, les acteurs, et cette fois-ci Ray est accompagné par Diana, leur petite Vanessa de 18 mois et sa nounou. L’essentiel des prises de vues ont lieu à Lanzarote. Les dunes de sables sont filmées à Grande Canarie et le reste des scènes à Tenerife. Pendant les quatre semaines de tournage, Ray passe le plus de temps possible avec les acteurs, afin de bien leur expliquer comment mimer leurs interactions avec les dinosaures. Il leur montre les storyboards des scènes correspondantes. Raquel Welch s’applique toujours à regarder dans les bonnes directions, aux endroits où les créatures de Ray seront ajoutées. Elle cherche à incarner le mieux possible Loana malgré les limitations du rôle et le langage préhistorique inventé pour le film. En quête de motivations pour son personnage, elle interpelle un peu trop souvent Don Chaffey à ce sujet. Un jour qu’elle lui explique longuement les pensées qu’elle prête à Loana, le réalisateur lui réplique « Tout ça est très intéressant, mais pour l’instant, j’ai seulement besoin que tu marches du rocher A jusqu’au rocher B, et qu’ensuite tu te retournes en souriant. » La comédienne remet donc en perspective ses ambitions dramatiques, et le tournage avance plus vite. De retour en Angleterre, la production s’installe dans les studios Elstree, où sont tournées les scènes se déroulant dans les cavernes et dans le village de Loana, ainsi que les plans avec les acteurs filmés sur fonds bleus. La fabrication des marionnettes a commencé pendant l’absence de Ray. Pour gagner du temps, il a engagé le sculpteur Arthur Hayward pour avancer sur les modelages des dinosaures, sachant qu’il connait parfaitement la paléontologie. Hayward a également fabriqué les moules des marionnettes. Ray prend le relais, s’occupant des tirages en mousse de latex autour des armatures, de l’insertion des yeux, des dents et des langues des animaux, puis de la peinture et des dernières finitions. Il s’installe dans l’un des plateaux d’Elstree, où un petit espace lui a été réservé. Il travaille là pendant huit mois, de décembre 1965 à juillet 1966. Pour mieux convaincre le public de la réalité de ses dinosaures en Stop Motion, Ray décide d’utiliser d’abord deux vrais animaux : un iguane et une araignée. Alors que le reptile est sensé faire gagner du temps de tournage, il s’endort constamment dans le décor miniature, engourdi par la chaleur des projecteurs, et doit être réveillé pour sembler vaguement menaçant. La première scène animée est l’apparition d’une monstrueuse tortue de mer, souvent considérée comme une invention de Ray, alors que les archelons ont bel et bien existé 80 millions d’années avant notre ère. Ray a cependant agrandi la tortue pour les besoins du film, car elle ne mesurait que quatre mètres de long dans la réalité. Le paisible animal ne cherchant qu’à regagner la mer, Ray se contente de montrer Loana et les hommes de son clan lui jetant des pierres pour la repousser. Pendant le tournage en Dynamation, les blocs de liège lancés par les acteurs (vus en rétroprojection) passent derrière la marionnette, mais Ray prolonge ces trajectoires en leur substituant des blocs miniatures suspendus à des fils. Il donne ainsi l’impression qu’ils atteignent la tortue et tombent sur le sol.

Un nouveau tour de force

La séquence d’animation suivante est le morceau de bravoure du film : l’irruption d’un allosaure dans le village de Loana. Ray a mis en scène un jeune animal, car un spécimen adulte aurait tout ravagé trop aisément sur son passage. C’est une idée géniale car le jeune allosaure de 2m50 est juste assez grand pour être terrifiant, mais pas assez pour sembler invincible. Pendant le tournage à Elstree, Ray a fait accrocher à des filins et soulever un acteur hors du bassin qui représente un petit étang. Cela lui permet de donner l’impression que l’allosaure animé happe sa proie, la sort de l’eau puis la pose sur le sol pour en avaler une première bouchée. L’animation du dinosaure est extrêmement dynamique et son « sourire » de reptile le rend encore plus inquiétant. Ray utilise aussi une hutte miniature que l’allosaure détruit, saisissant au passage une des feuilles de palmier du toit... La confrontation suivante est un exercice plus classique pour l’animateur : la lutte à mort entre un tricératops et un cératosaure, exactement comme dans LE MONDE DES ANIMAUX, mais avec des marionnettes autrement plus réalistes, dont les détails fins se révèlent dans les gros plans. Un peu plus tard, Ray se surpasse en animant un ptéranodon venu puiser de la nourriture dans le point d’eau où Loana et d’autres membres de sa tribu se baignent. Ray a trouvé le site idéal pour mettre en valeur la créature : un étang d’eau verte avec des collines rocheuses à l’arrière-plan. Au moment crucial, il substitue une effigie miniature de Raquel Welch à l’actrice (qui s’est cachée derrière des rochers) afin que le ptéranodon puisse la saisir et s’envoler pour nourrir les deux petits affamés attendant dans le nid familial. Loana va s’en sortir indemne… Hélas, le brontosaure que Ray avait dessiné dès les débuts du projet et fait sculpter par Arthur Hayward n’a finalement pas droit à sa confrontation avec les hommes des cavernes. Pendant la production du film, Michael Carreras estime qu’il y a trop de scènes d’animation et impose de couper une séquence. C’est ainsi que l’unique moment de gloire de cet herbivore (qui n’aurait probablement pas attaqué un humain s’il en avait croisé un) se résume à un plan au début de film, où il passe derrière une colline… Ray conçoit aussi l’éruption volcanique et le tremblement de terre qui conclut cette aventure. Il supervise la construction de la maquette du volcan, qui mesure près de 2 mètres, et crache une lave constituée d’un mélange de colle à papier peint, de flocons d’avoine, de colorant rouge et de glace carbonique fumante. Les failles qui apparaissent dans le sol sont également réalisées en miniature et les acteurs insérés dans le cataclysme grâce à des travelling mattes. UN MILLION D’ANNEES AVANT JC est non seulement le 100ème film produit par la Hammer, mais à la grande joie de Michael Carreras, il devient l’un de ses plus grands triomphes. Dans la presse, les critiques sont désarçonnés par ce spectacle, ne sachant s’il faut railler le côté sexy et kitsch de ses héroïnes permanentées en bikini ou louer les trucages de Ray. Mais une chose est sûre : le look torride de la belle Raquel a certainement convaincu de nombreux spectateurs masculins de se ruer dans les salles. ( Plus tard, Raquel Welch tournera souvent le film en dérision alors qu’il a fait d’elle une icône de la pop culture, et que le rôle de Loana reste le plus célèbre de sa carrière.) Ce succès phénoménal pousse Michael Carreras à produire deux suites : QUAND LES DINOSAURES DOMINAIENT LE MONDE (WHEN DINOSAURS RULED THE WORLD – 1969), et VIOLENCE ET SEXE AUX TEMPS PREHISTORIQUES (CREATURES THE WORLD FORGOT - 1971). Ray décline l’offre de créer les trucages du deuxième opus, et Jim Danforth s’acquitte brillamment de cette tâche. La raison de ce refus est toute simple : Morningside développe une autre aventure avec des dinosaures, inspirée d’une idée de Willis O’Brien…

La suite de notre saga Ray Harryhausen apparaîtra bientôt sur ESI.

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