MATRIX RESURRECTIONS : Entretien avec le producteur Grant Hill et les co-scénaristes David Mitchell et Aleksander Hemon
Article Cinéma du Mardi 01 Mars 2022

Entretien avec GRANT HILL (Producteur)

Quel a été le processus de développement du scénario ?
La première fois qu’on a commencé à parler du scénario, on était chez Lana et Karin. Tout le monde l’avait lu et on discutait pour en évaluer le potentiel. Mais il se trouve que tout le monde a été immédiatement captivé. On a tout de suite senti que le scénario était lié au premier opus de manière subtile, mais qu’il s’en démarquait aussi. C’était lié à la construction du récit… j’ai du mal à en parler. Je n’avais jamais rien lu de tel. Personne n’a fait de remarques à son sujet. On l’a lu, on est allé au bout, et on s’est dit « Extraordinaire. C’est nouveau. C’est magnifique ». On s’est dit que ce serait un film que les gens auraient envie de voir – qu’il leur faudrait voir. Par la suite, après le tournage, on s’est rendu compte à quel point le film était sublime. Je l’adore, sans la moindre réserve. J’en aime l’humour. La douceur. J’aime le style qu’a élaboré Lana et la manière dont elle a inscrit ce nouvel opus dans la lignée des précédents, mais aussi dont ce film vous permet d’envisager l’avenir. Chemin faisant, il aborde des questions qui lui tiennent à cœur. Cela m’a frappé dès le début et ne m’a plus lâché. C’est un film qui dégage une formidable émotion.

La préparation s’est déroulée à San Francisco… Oui, et à ce moment-là, quand nous visitions tous ces lieux de tournage potentiels, nous nous sommes rendus compte que nous allions au-devant d’un travail de titan pour obtenir les autorisations, avoir le droit de tourner dans certains bâtiments, déplacer des tramways, etc… Des portes s’ouvraient, mais d’autres se refermaient. Lana est venue pour une réunion et on a fait venir l’équipe de repérages pour parler de San Francisco. On nous demandait « Pourquoi on n’a pas obtenu cette autorisation ? » Les repéreurs nous ont expliqué où ils en étaient et Lana a demandé « Est-ce qu’on a contacté la maire ? C’est ce qu’on devrait faire ». On a attendu un bon moment avant de décrocher le rendez-vous. On a grimpé les marches, on est entrés dans ce magnifique bâtiment et elle est arrivée. Deux forces de la nature étaient réunies dans la même pièce – cette vaste pièce lambrissée de chêne, de 18 m de hauteur sous plafond, qui semble avoir été bâtie depuis toujours. Lana et la maire se sont très bien entendues – la maire a déclaré qu’elle était fan de MATRIX et elle a dit, sur le ton de la plaisanterie, qu’elle aimerait bien jouer un rôle dans le film… Lana a très bien défendu l’idée du tournage à San Francisco, en précisant que ce n’était pas qu’une question d’argent. D’ailleurs, les financiers ne sont même pas venus au rendez-vous. On a parlé, on a ri et en dix minutes on avait trouvé un accord. [La maire, London Breed, interprète Calliope dans le film.]

La préparation des cascades devait reposer sur une énorme logistique… Oui. Elle était même d’une complexité extraordinaire. Tout d’abord, on s’est demandé si les cascades étaient faisables. Et puis, on se confronte aux réponses positives et négatives. On repère des lieux de tournage potentiels et on commence le travail. Dans le même temps, on met en place un espace d’entraînement. On continue à se renseigner dans tous les sens, comme s’il s’agissait d’un exercice militaire. On loue les bâtiments qui se font face. On travaille avec les techniciens, les cascadeurs, les gens de la sécurité pour que la sécurité de tous soit assurée pendant le tournage. Et tout cela prend du temps. Et puis, on se retrouve à fixer des câbles entre deux immeubles à San Francisco. On fait des tests. Beaucoup de tests. On utilise des sacs de sable, et puis on travaille avec l’équipe de cascadeurs. Et comme il n’y a pas de grands ascenseurs rapides, on doit acheminer tout le matériel en pièces détachées, et puis le reconstituer. C’est un travail quotidien. Cela étant dit, les cascadeurs ont été extraordinaires. Et tandis que tout ce travail est en cours, on doit s’atteler à un nouveau défi : il faut acheminer un hélicoptère au sommet de l’immeuble, sauf qu’il ne dispose que d’une moitié de toit. Qu’est-ce qu’on fait ? On a installé une piste sur le bâtiment. Encore une fois, la préparation a été considérable, les mesures de sécurité à mettre en place draconiennes… et on devait aller de l’avant. On avait des débris qui nous tombaient dessus, des voitures qui se livraient à des courses-poursuites, des cascadeurs en pleine ville, des rues entières qui étaient bouclées…Le moins que je puisse dire, c’est que c’était intéressant ! (rires) Et si on y est arrivé, c’est uniquement grâce à cette formidable équipe qui a fait un boulot extraordinaire.

Entretien avec DAVID MITCHELL et ALEKSANDER HEMON (co-scénaristes)

Comment vous êtes-vous préparés à entrer dans l’univers de la Matrice et à collaborer avec Lana Wachowski ?

Aleksander Hemon :
Avec David, on a plongé dans ce monde qui a la particularité d’avoir été créé jusque dans les moindres détails. J’avais vu la trilogie bien avant de rencontrer Lana. Puis, on a revu les films pour se préparer à l’écriture du scénario. Mais en parlant avec Lana, on a compris que Lilly et elle avaient imaginé des choses qui ne sont même pas évoquées dans les films, et encore moins montrées. Du coup, on a beaucoup parlé – on discutait des détails de cet univers, de situations hypothétiques et de leur concrétisation éventuelle si elles se produisaient vraiment. On a dû s’imprégner d’une partie de la somme de connaissances que possédait Lana. Bien entendu, pas de toutes ses connaissances. C’est impossible ! (rires) Mais il nous arrivait de nous interrompre pour poser des questions : Que se passerait-il si cette hypothèse se vérifiait ? Comment définir cet univers ? À quelles lois de la physique obéit-il ? On s’était préparés en voyant MATRIX, mais on ne peut pas tout comprendre à partir des images. Du coup, quand l’une des créatrices du film vous décrypte l’intrigue et l’univers de MATRIX, c’est incroyable ! C’était l’un de nos plus grands privilèges en participant à ce projet. C’était extraordinaire de voir jusqu’où est allé ce projet, qui était né dans l’esprit de Lana et dont nous avions ensuite pris le relais. Voir une idée assez vague se concrétiser soudain, jusque dans ses moindres détails, c’est… magique. C’est toujours un processus magique.

Comme le travail s’est-il organisé ? Aleksandar Hemon : David s’était installé à Chicago pendant deux mois quand nous écrivions le dernier épisode de SENSE8. Du coup, Lana et moi nous sommes rendus en Irlande, où vit David. On est partis avec nos familles et on s’est rendus à West Cork où on a séjourné dans un charmant hôtel qui, bien qu’il ait quelques clients, avait fermé ses portes. C’est un peu comme SHINING, sauf qu’il n’y avait pas de Johnny à l’horizon, arpentant les couloirs avec une hache en mains, et qu’aucun d’entre nous n’est devenu fou ! (rires). Tous les matins, on se retrouvait en salle de réunion pour parler de la Matrice. On a renoué avec la méthode qu’on avait employée pour Sense8 : on écrivait les rebondissements de l’intrigue sur des cartes qu’on disposait ensuite sur la table. J’adore ça. Je suis suffisamment vieux pour avoir commencé mes travaux d’écriture au stylo, si bien qu’on se salit les mains et les doigts. Quand on tape sur l’ordinateur, on a les mains intactes. Mais Lana et David écrivent des notes – j’ai une écriture illisible – sur des fiches qu’ils posent sur la table et qui leur permettent de construire l’intrigue. Pendant la première étape du projet, on avait une table couverte de trois ou quatre fiches de couleurs différentes – à chaque couleur correspondait un stade d’avancement du récit. Et puis, on partageait toutes ces fiches et je suggérais d’écrire telle ou telle partie de l’histoire – qui allait de telle fiche à telle autre. Du coup, on se répartissait les fiches pour savoir qui allait écrire quoi. Comme on a des styles radicalement différents – du point de vue de la langue et de la conception scénaristique –, la première version faisait environ 160 pages et c’était un mélange hétéroclite d’idées et de styles. On l’a surnommée la version des scénaristes ! (rires) Vers la fin de notre séjour à West Cork, on s’est retrouvés là où logeaient Lana et Karin – et entretemps, Lana avait remis de l’ordre dans le script. C’était donc une version de travail encore brouillonne. Keanu a ensuite rejoint l’équipe et on a travaillé avec lui. Et puis, on a poursuivi le travail. Et c’est comme cela qu’on a obtenu le feu vert du studio. J’ai vraiment adoré tout ce processus créatif.

Si vous voulez continuer à explorer l’univers de la Matrice, rendez-vous très vite sur ESI pour une interview avec les chefs décorateurs qui ont construit cet univers fascinant ! Bookmark and Share


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