La création de THE BATMAN – 2ème partie
Article Cinéma du Lundi 07 Mars 2022

Si le fidèle bras droit de Wayne, Alfred Pennyworth (Andy Serkis), et James Gordon (Jeffrey Wright), du Gotham City Police Department, sont indissociables de la ville, la candidate aux municipales Bella Réal (Jayme Lawson) et le procureur Gil Colson (Peter Sarsgaard) incarnent les facettes à la fois plus lumineuses et plus sombres de la politique et du maintien de l’ordre. Le réalisateur pouvait compter sur une formidable galerie de méchants – et il n’a pas lésiné en la matière : Colin Farrell est méconnaissable sous les traits du criminel Oz, avant qu’il ne se fasse connaître sous le surnom du Pingouin, tandis que John Turturro campe son chef, le caïd Carmine Falcone.

En revanche, Reeves a exploré les raisons tragiques de l’ambiguïté de Selina Kyle, alias Catwoman, dont on se demande pour quel camp elle se bat, mais qui se retrouve souvent aux côtés de Batman. Zoë Kravitz campe cette femme fatale à la grâce féline – et aux intentions inavouées – qui est tout aussi énigmatique et intrépide que son nouveau partenaire dans sa lutte contre le crime. C’est l’occasion de travailler avec Reeves qui a séduit la comédienne. « Matt est épatant parce qu’il a l’esprit d’équipe, et il tient vraiment à connaître le point de vue de ses acteurs sur leurs personnages », dit-elle. « Tous les vilains et les héros sont d’une grande complexité. Ce qui est formidable dans cet univers, c’est qu’il explore les zones grises – rien n’est tout blanc ou tout noir, les personnages ne sont pas tout bons ou tout mauvais. C’est tout l’entre-deux qui est passionnant et les personnages qui sont d’une incroyable complexité. Pour moi, c’est ce qui rend ce projet aussi captivant ».

Enfin, Reeves confronte son protagoniste à l’un des antagonistes les plus puissants et les plus pervers – et ce n’est pas peu dire – de Gotham City : The Riddler. Mais il ne s’agit pas du personnage qui arbore un costume vert éclatant orné de points d’interrogation – The Riddler de Reeves, interprété de manière troublante par Paul Dano, est aussi acariâtre que curieux, et ses devinettes ne prêtent guère à rire… Reeves ajoute : « Je souhaitais m’inspirer des toutes premières histoires de Bob Kane et Bill Finger dans lesquelles Batman élucidait des affaires criminelles, ce qui permettait de dépeindre Gotham City comme une ville profondément corrompue. Du coup, j’ai souhaité que le personnage qu’il affronte soit une réinterprétation de The Riddler sous les traits d’un tueur en série qui s’en prend aux soi-disant piliers de la société. Après avoir commis ses meurtres, grâce aux messages codés qu’il laisse délibérément sur les scènes de crime et qui s’adressent à Batman, The Riddler révèle la vérité sur ses victimes. À travers ses agissements, je me disais que la mission de Batman, consistant à élucider les crimes, pouvait aussi lui permettre de mieux comprendre l’histoire de la corruption qui sévit à Gotham City. Et comme les messages s’adressent à lui, le comportement du meurtrier prend une dimension personnelle et le touche au plus profond de lui ». « Notre Batman ne contrôle pas totalement la situation », reprend le réalisateur. « Il est un peu en chute libre ».

« Je suis la vengeance » : Les acteurs et leurs personnages

Le film débute le soir d’Halloween, alors que tous les passants sont déguisés. Bruce Wayne patrouille dans les rues, non pas sous son identité, ou celle de Batman, mais sous l’identité sombre d’un être à mi-chemin entre le milliardaire solitaire et le Justicier masqué, que Reeves a surnommé le Vagabond. Vêtu d’une banale tenue sombre, le regard souligné au khôl, le Vagabond semble encombré par son allure sinistre et nihiliste qui pèse sur sa démarche… et sur son âme. C’est dans cette posture que Bruce se réfugie souvent – celle d’un homme au bord du désespoir, qui n’entrevoit aucun espoir pour Gotham City et ses habitants, et qui cherche une bonne raison d’engager le combat.

Mais c’est sous l’identité de Batman qu’il passera à l’action. Bruce entame sa deuxième année en tant que vengeur autoproclamé de la ville – le justicier nocturne qui suscite l’effroi chez les criminels. Descendant de la famille la plus fortunée de Gotham City, celui qui vit en reclus et qui s’interroge sur son héritage met à profit son intelligence hors du commun, sa force physique et sa maîtrise des technologies et s’en sert comme d’une arme mortelle. Pour autant, c’est un enjeu émotionnel qui l’anime. « Une rage terrible le consume de l’intérieur, si bien qu’il est presque imbattable », observe Pattinson. « Nous voulions réfléchir à l’importance du masque et à sa signification », indique Reeves. « Voilà un type qui croit sans doute qu’il sait se dominer, mais qui, en fin de compte, cherche du sens à sa vie après la mort de ses parents. Lorsqu’il arbore un masque et qu’il poursuit cet objectif, il se confond avec les ombres. Cette complexité est vraiment propre à Batman ».

Si Reeves a engagé Pattinson, c’est parce que, dit-il, « je souhaitais présenter une facette nouvelle du personnage. Je voulais lui donner une dimension de rock star vivant en ermite, sorte de mélange entre Kurt Cobain et Howard Hughes. Bruce n’assume pas d’être un Wayne et, si on le croise, on a l’impression d’apercevoir une rock star, sauf qu’au lieu de donner des concerts en soirée, il est Batman. C’est un être obsessionnel – et c’est ce qui me plaisait chez Robert Pattinson : il possède la force et l’intensité lui permettant d’incarner un tel tempérament ». Reeves a envisagé de confier le rôle à Pattinson tandis que Peter Craig et lui développaient le scénario. Le réalisateur précise : « Je me disais que j’aurais intérêt à m’intéresser à des comédiens de sa tranche d’âge, et j’ai toujours été fan de Robert. James Gray, dont je suis ami depuis mes études de cinéma, a réalisé THE LOST CITY OF Z, et il m’avait raconté qu’il avait engagé Rob pour son film. On se montre toujours les montages de nos films, et quand il m’a organisé une projection de THE LOST CITY, j’avais oublié qu’il avait pris Rob. Du coup, lorsque Rob apparaît à l’image, avec sa barbe qui lui mange le visage, je me suis dit que c’était un Rob qu’on n’avait encore jamais vu et que c’était un vrai caméléon ». « Je me suis alors mis à visionner tous ses films et je me suis rendu compte qu’il était à chaque fois différent », ajoute-t-il. « On m’a notamment conseillé de regarder GOOD TIME et, dans ce film, j’ai repéré quelque chose qui m’a vraiment fait penser à Batman. On perçoit son désespoir, son énergie et sa vulnérabilité. Je voulais que, dans ma relecture du personnage, Batman puisse susciter l’effroi, mais qu’il soit aussi vulnérable. En prenant conscience de tout l’éventail de nuances que Rob était capable d’apporter à ses rôles, je me suis dit qu’il était parfaitement capable de camper le personnage et j’ai entamé l’écriture du scénario avec lui en tête ».

La perspective d’évoquer les tout débuts de Batman pour mettre en évidence un basculement dans sa construction affective et psychologique a d’abord perturbé le comédien. « Je n’arrivais pas bien à comprendre pourquoi Bruce Wayne se sentait tellement à part », avoue Pattinson. « Et puis, j’ai pris conscience que c’était parce qu’il n’était pas un séducteur dans cette histoire. C’est un élément majeur dans les adaptations précédentes pour le cinéma, si bien que c’est assez étrange. Bruce est profondément seul et isolé, et c’est aussi un aspect fascinant. J’étais conscient que Matt le considère comme un personnage légèrement nihiliste, mais j’ai le sentiment qu’il y a chez lui quelque chose d’émotionnel également. Bruce ne sait pas encore qu’il va sauver la ville – il ignore si Batman saura jouer un rôle positif –, mais il sent que c’est là son destin et qu’il n’a pas le choix. Il y a une forme de désespoir chez lui, ce qui change un peu des incarnations antérieures du personnage ». En explorant la psychologie de son personnage, Pattinson s’est surtout posé la question de savoir qui était Bruce Wayne, plutôt que Batman. « Bruce est un type assez obsessionnel et je crois qu’il pense à Batman depuis des années », analyse-t-il. « Mais à ce moment-là, il ne dispose pas de technologies suffisamment avancées pour garder l’avantage sur ses ennemis – si ce n’est une armure pare-balles et, par la suite, la Batmobile et quelques gadgets, mais l’ensemble reste rudimentaire. Il est donc très vulnérable, mais il s’accroche. Il tente de mieux gérer sa rage. J’ai le sentiment qu’il cherche constamment à revivre la nuit où ses parents sont morts ». C’est sans doute une forme de folie pour un homme qui s’apprête à sauver une ville au bord du gouffre.

« Il s’agit d’alter ego et d’identité », ajoute le comédien. « S’il enfile sa combinaison, et qu’il croit très fort dans son personnage, il gagne en assurance : il n’est plus Bruce, il est Batman. Je voulais qu’il semble moins humain quand il endosse le costume, et que cela se ressente dans ses mouvements. Bruce essaie encore de bien cerner Batman, si bien que notre personnage est très réactif, très sensible, et c’est assez nouveau ». « C’est pour cette raison que sa manière de se battre semble, elle aussi, très personnelle », poursuit-il. « S’il réussit à vaincre ses ennemis, c’est parce qu’à chaque fois qu’il affronte un inconnu, on dirait que celui-lui lui a fait du mal à titre personnel. D’une certaine manière, il s’imagine que son adversaire est l’auteur de la mort de ses parents. Au bout du compte, ce n’est pas une stratégie efficace, parce que si on place trop d’enjeux affectifs dans ses combats, on est sûr de commettre une erreur et de perdre. Mais je ne pense pas qu’il cherche particulièrement à s’en sortir – il ne veut que faire mal à son adversaire et exercer cette forme, très discutable, de justice ». Pattinson a apprécié l’approche de Reeves, non seulement s’agissant du scénario, mais sur le plateau également. « Matt est d’une patience sidérante », dit-il. « Il me fait penser à un chef d’orchestre, capable de conserver une vision d’ensemble de l’intrigue en permanence. Il n’est jamais pressé et ne passe à la scène suivante que lorsqu’il a le sentiment d’avoir ce dont il a besoin. Il n’hésite pas à s’éloigner un peu des codes de la mythologie Batman et il a incontestablement fait quelques choix esthétiques audacieux, ce que je trouve stimulant ».

Découvrez la nouvelle Catwoman incarnée par Zoë Kravitz dans la prochaine partie de notre dossier ! Bookmark and Share


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