La création de THE BATMAN - L’incroyable métamorphose de Colin Farell en Pingouin
Article Cinéma du Lundi 04 Avril 2022
Le chef-maquilleur prothésiste Mike Marino a été chargé de mettre au point les prothèses du Pingouin. « Matt Reeves voulait qu’on éprouve un sentiment mêlé de pitié et d’empathie à l’égard du Pingouin », dit-il, « et il m’a parlé de Fredo, dans LE PARRAIN, comme référence. Comme les autres personnages, le Pingouin n’en est qu’au début de sa ‘carrière’ si bien qu’il a encore une vraie marge d’évolution. Je me suis inspiré de vieux gangsters et des premiers albums de BD, et j’ai croisé toutes ces sources d’inspiration. Au bout du compte, j’ai sculpté le front de Fredo sur Colin en me calant sur l’original autant que possible, et après s’être approprié sa nouvelle allure, il s’est transformé en un étrange mafieux – un type imposant, balafré, grisonnant, et légèrement complexé », ajoute-t-il en souriant. Ses complexes sont sans doute liés à son visage grêlé et à son nez très légèrement en forme de bec, qu’on distingue surtout de profil. Au cours d’une séance de trois heures, Farrell se métamorphosait peu à peu en Pingouin, grâce à des éléments individuels – le nez, la lèvre supérieure, le menton, les sourcils, les lobes d’oreille – fabriqués quotidiennement et collés sur le visage et le nez du comédien. « Une fois les éléments fixés, on pouvait se mettre à les peindre, en vaporisant différentes teintes et couleurs pour se rapprocher le plus possible de sa couleur de peau », indique Marino. « Puis, on ajoutait une barbe de trois jours, les sourcils et les éléments de la perruque. Je n’aurais pu imaginer quelqu’un de plus coopératif que Colin. En plus, il a une formidable personnalité, il a improvisé des mimiques vraiment intéressantes et a même eu l’idée d’un boitillement. Grâce à lui, le Pingouin s’est animé sous nos yeux ».
La création de Gotham City
Pour l’esthétique du film, Reeves et son équipe – du chef-opérateur Greig Fraser au chef-décorateur James Chinlund – n’avaient qu’une ambition : mettre au point un univers de Batman inédit. « Il y a eu des visions fantaisistes de Gotham City, celles – merveilleuses – de Burton, et celles, plus âpres et proches de James Bond, de Nolan », remarque Reeves. « Notre intrigue criminelle raconte l’histoire d’un lieu précis – Gotham City – et je voulais que cette ville pèse constamment sur les événements du film ». Le réalisateur souhaitait créer un univers à la fois crédible et méconnaissable. « On ne voulait pas que Times Square campe Gotham Square », dit-il, « si bien qu’on a ajouté des gratte-ciels et une ligne ferroviaire aérienne à l’architecture gothique de Wellington Square à Liverpool, pour que le spectateur se demande ‘mais où donc ces décors ont-ils été filmés ?’ Gotham City est un personnage à part entière, et tandis que les meurtres ont un lien avec l’histoire de la corruption de Gotham City, la présence du lieu comme personnage à part entière était essentielle ». Fraser a aussitôt été fasciné par la description de Reeves. « J’adore quand, en lisant un scénario, je ne vois pas aussitôt comment m’y prendre », affirme-t-il. « Si je lis un projet ou que je m’entretiens avec le réalisateur, et que je ressors un peu terrorisé de la discussion, je suis partant. Il existe une véritable épopée en matière d’adaptations de Batman au cinéma, et plusieurs réalisateurs extraordinaires s’y sont frottés. Cela dit, je ne saute pas en parachute, je ne fais pas de skate-board ou de moto, mais j’essaie de me lancer de nouveaux défis quand je tourne un film et celui-ci m’a intrigué dès le départ ».
Le chef-opérateur a d’abord été séduit par la personnalité du protagoniste. « Au cours de nos premières conversations avec Matt, on s’est dit qu’on voulait faire un film sombre, mais pas au point d’être irregardable », dit-il. « Il fallait que le film s’adresse à un large public, mais on voulait revenir aux débuts de Batman, tels qu’ils sont évoqués dans les albums, où Bruce Wayne est un homme brisé et Batman l’aboutissement de cette détresse ». Reeves et Fraser, qui se sont connus en collaborant sur le film de vampire LAISSE-MOI ENTRER, envisageaient de tourner un film de Batman depuis longtemps. « C’était très facile de se laisser embarquer par la vision de Matt », affirme le directeur photo. « Matt a une vision du monde très particulière et c’est un metteur en scène très méticuleux. Il y a pas mal de points communs entre lui et Batman à cet égard. Du coup, comme j’avais déjà travaillé avec lui, je connaissais sa vision du monde. Grâce aux croquis réalisés par James Chinlund, j’ai rapidement compris ce que Matt avait en tête. L’album Batman: Year One a été une source d’inspiration de référence. À travers ce prisme, il s’agissait de l’histoire d’un Batman relativement jeune, et sombre, si bien que le style visuel devait s’en faire l’écho ».
« Ce qui, en amont du projet, me semblait important, c’était de savoir dans quelle mesure l’atmosphère devait être sombre, comment créer une obscurité lumineuse, ce qui peut ressembler à un oxymore, mais il existe des moyens de susciter des points lumineux dans une image et de l’obscurité chez un personnage. Le Batsuit est très sombre, tout comme le masque. Tenter de cerner un personnage à travers un costume sombre, et des yeux sombres, est très difficile parce que c’est très complexe de l’éclairer suffisamment pour percevoir de l’émotion, sans trop en révéler. C’est un équilibre difficile à trouver. Du coup, pendant les essais caméra, il nous a semblé évident qu’il fallait éviter l’éclairage direct sur le visage, et trouver le juste équilibre entre la nécessité de distinguer certains détails et d’en garder d’autres dans l’ombre. C’est un axe qu’on a évoqué très en amont du projet ».
Quant à Selina Kyle, en revanche, Fraser a eu l’occasion d’explorer un tout autre univers esthétique. « C’était formidable car Zoë absorbe et réfléchit la lumière d’une manière incomparable », dit-il. « Elle a une peau et des traits sublimes, et c’était vraiment passionnant de jouer avec les couleurs dans son cas. On a visé la simplicité dans les éclairages, mais je me suis rendu compte qu’en ajoutant un léger filtre cyan à la lumière qui l’éclairait, on mettait Zoë en valeur et elle rayonnait ». Surtout, Fraser était guidé par l’authenticité dans tous ses choix. « Il fallait privilégier les éclairages naturels », reprend-il. « Autrement dit, chaque source lumineuse devait apparaître comme fonctionnelle. Dans n’importe quelle métropole, l’éclairage est omniprésent et on voulait donc faire en sorte que chaque décor comporte des éclairages fonctionnels. Je ne voulais surtout pas que le spectateur puisse se dire que le décor était éclairé par une source artificielle. Toutes les lumières éclairant le plateau ont été intégrées au décor, si bien que je pouvais modifier l’allure du décor uniquement en jouant sur les lumières existantes. C’était un véritable avantage car, dans quelque direction que ce soit, le décor semblait authentique. Cela a aussi permis aux acteurs de savoir dans quel environnement ils allaient jouer et de s’y projeter émotionnellement. C’était aussi un moyen d’obtenir un bon équilibre en matière d’éclairage entre le premier plan, le plan intermédiaire et l’arrière-plan, ce qui rend l’usage des effets visuels beaucoup plus simple et plus efficace ».
S’agissant des mouvements d’appareil, Fraser et Reeves ont, là aussi, opté pour le réalisme. « On déplaçait la caméra avec précaution », note Fraser. « La caméra fait très peu de plans panoramiques et s’incline rarement. On ne tourne presque jamais de plans saccadés. On se contentait, le plus souvent, d’avancer ou de reculer la caméra. Le film est d’une telle richesse et d’un tel foisonnement en matière de décors, de narration et de personnages qu’il était important que la caméra prenne un peu de recul et adopte quasiment le point de vue d’un observateur impartial, pour ne pas perdre le spectateur à force de mouvements désordonnés. De simples mouvements d’appareil permettent de ne pas trop compliquer la narration ». Tout au long du tournage, Fraser a été guidé par la vision du réalisateur. « Matt est un auteur méticuleux et obsédé par le souci du détail, et il souhaite qu’on puisse creuser la personnalité des personnages. C’est extraordinaire de l’observer diriger ses acteurs, parce qu’il a une direction d’acteur qui lui est propre, et il leur laisse suffisamment de marge de manœuvre pour se l’approprier ».
James Chinlund s’est aussi laissé guider par la volonté du réalisateur de présenter un univers de Batman inédit. « On voulait analyser ce monde et dénicher un nouvel espace », dit-il. « Grâce à la vision de Matt, je crois bien qu’on a trouvé un territoire qui n’appartient qu’à nous ». Grand fan de Batman depuis l’enfance, Chinlund a cherché à respecter les consignes du metteur en scène : « Matt tenait à ce que l’univers du film soit crédible, issu d’une ville qu’on traverse tous les jours, et qu’il soit lié au nôtre afin que le spectateur reste concentré sur l’intrigue. La plupart des références visuelles de Matt viennent de films et de photos des années 70, et du New York âpre et sale de cette époque. C’était l’ADN de l’univers de Batman ».
« Nous avons pensé aussi aux conséquences de la corruption et de la criminalité, ainsi qu’au réchauffement climatique », poursuit-il. « C’est ce qui nous a permis de mettre en place les principes esthétiques qui nous ont guidés tout au long du projet. Et c’est ce qui nous a permis de délimiter un nouvel espace : un monde contemporain qui pourrait appartenir à l’Amérique d’aujourd’hui – à des villes comme Detroit ou Cleveland – mais qui, dans le même temps, est totalement singulier ». Il ajoute que son approche esthétique s’inspire aussi de « l’idée que Gotham City a connu un véritable âge d’or et puis, qu’au fil des années, la corruption a entraîné une terrible déchéance. Comme si le temps avait été suspendu, tous les projets de la ville appartiennent désormais au passé. Pour le style de Gotham City, on s’est pas mal inspiré de la manière dont les salles de cinéma américaines sont parties d’une architecture gothique qu’elles ont pastichées pour lui donner un aspect un peu plus romantique. C’était l’inspiration première pour l’architecture de la ville. On y a ensuite intégré une forme de modernité, stoppée net : c’est ce qui nous a permis de créer ces énormes structures en train de rouiller, ces gigantesques gratte-ciels inachevés. La construction du World Trade Center dans les années 70, par exemple, nous a largement inspirés – on voyait des morceaux d’acier qui s’élevaient progressivement vers le ciel. J’aime beaucoup la manière dont ces structures squelettiques, fermant l’horizon des gratte-ciels, s’harmonisait avec l’architecture gothique, ce qui nous permettait de créer un univers moderne, sans être rutilant et neuf. On voyait la manifestation de l’échec du système dans la ligne d’horizon des bâtiments ».
Découvrez comment la préparation en 3D et l’utilisation des murs d’écrans LED ont permis de créer les environnements de Gotham City dans la prochaine partie de notre dossier consacré à THE BATMAN !