MORBIUS : La création du monstre
Article Cinéma du Mercredi 30 Mars 2022

LA CRÉATION DU MONSTRE ET LA VISUALISATION DES POUVOIRS DE LA CHAUVE-SOURIS

Lorsque Morbius fusionne son ADN avec celui d’une chauve-souris vampire, il acquiert des pouvoirs surhumains, mais se transforme aussi en un monstre repoussant. Non seulement sa force et son agilité augmentent, mais il peut désormais se fier à l’écholocalisation – la capacité de la chauve-souris à se repérer dans le noir en se fiant aux ondes sonores autour d’elle. Cependant, il est soudain pourvu du nez retroussé caractéristique de la chauve-souris, de joues creusées et de crocs tranchants comme des rasoirs. L’allure de la créature et la manifestation de ses pouvoirs ont été autant de défis relevés par le superviseur des effets visuels Matthew E. Butler. En travaillant avec Espinosa, celui-ci a mis au point un langage cinématographique susceptible de faire ressentir au spectateur les perceptions sensorielles de Morbius. Seul Butler était à même de s’atteler à une tâche aussi colossale. « Quand Daniel est venu me voir, il souhaitait qu’on puisse visualiser les pouvoirs hors normes de Morbius, dont l’un lui permet de visualiser les ondes sonores à la manière d’une chauve-souris », indique Butler. « Comme je viens de l’aérospatial, et que je me suis attaché à la mécanique des fluides numérique – et à la visualisation de cette mécanique –, cela m’a particulièrement intéressé. Je me disais qu’il y avait une manière de visualiser ce mouvement de manière pertinente et attrayante. On a trouvé une façon esthétiquement exaltante de montrer sa faculté, qui fait écho à son hypersensibilité aux ondes sonores ».

Leto et Espinosa ont convenu de faire appel aux effets visuels, et non aux prothèses et au maquillage, pour l’allure du personnage. « Quand on met en scène un personnage pour la première fois à l’écran, on dispose d’une formidable marge de manœuvre », remarque Leto. « Je tenais absolument, dès le départ, à recourir au numérique pour accompagner la transformation de Morbius, parce que j’avais le sentiment que c’était là qu’on aurait le moins de contraintes. Le potentiel en matière de technologies numériques est sans limite, si bien que c’est intéressant de participer à un tel projet et d’avoir de grandes ambitions ».

« Les effets visuels ne sont jamais la seule solution, et on essaie d’utiliser ces outils à bon escient, sachant que chaque projet est différent », relate Butler. Celui-ci, qui travaille pour Digital Domain – à qui on doit les effets visuels d’AVENGERS : ENDGAME – excelle à donner vie aux personnages Marvel. « Dans MORBIUS, les vampires jouent, prononcent des dialogues, expriment des émotions, et il fallait donc que leurs expressions soient aussi crédibles que celles de l’acteur. Il faut qu’on reconnaisse Jared Leto et Matt Smith même lorsqu’ils se sont transformés en vampires. On a cherché à conserver autant de leurs traits que possible, si bien qu’en voyant ces créatures on puisse reconnaitre le comédien, même s’il ne s’agit plus d’un homme séduisant, mais d’un monstre repoussant ».

Le dispositif était également tributaire des contraintes de la narration. « Morbius ‘s’épanouit’ parfois en se métamorphosant en vampire, ou en redevenant humain, et il ne revêt donc pas en permanence son allure horrifique », ajoute Butler. « Il se transforme à volonté, le plus souvent quand il est en colère. Il fallait donc qu’il puisse se métamorphoser sous différentes formes ».

« Une solution consiste à filmer ses différentes allures physiques et à manipuler le visage », dit-il encore. « Cela peut fonctionner, mais parfois on s’éloigne carrément de son enveloppe humaine, et on a malgré tout besoin de garder ses mimiques, ses petites expressions, tous ces détails qui révèlent qui il est, même si la physionomie de la créature est assez différente. On a fait en sorte que les acteurs jouent la scène en plateau, puis on a ‘capté’ les moindres nuances de leur jeu et de leurs expressions grâce à de minuscules capteurs fixés sur leur visage et à des caméras embarquées pour casques. Le logiciel est ensuite capable de transposer le jeu de l’acteur en une prestation de créature qui est radicalement différente. C’est ce qu’on a plutôt bien réussi avec Thanos ».

LES CASCADES

Le chef-cascadeur Gary Powell a supervisé toutes les scènes d’action de MORBIUS. Il s’agissait notamment d’imaginer les techniques de combat du protagoniste, sachant que celui-ci n’a jamais eu d’entraînement avant d’acquérir ses pouvoirs.

« Je connaissais Morbius parce que j’ai lu toutes les BD de Spider-Man », confie Powell. « C’est un monde beaucoup plus sombre. Morbius est un antihéros. Un peu plus sombre que la plupart des personnages auxquels nous sommes habitués dans l’univers des super-héros ». Pour trouver l’inspiration, Powell a donc commencé par se replonger dans les albums. « Les cascades s’inspirent de Morbius et de ses facultés », reprend-il. « On a consulté les BD, on s’est intéressé à sa force physique pour s’assurer qu’on était fidèle au personnage. Quand on lit les albums, on constate qu’il est d’une grande force, peut-être même supérieure à celle de Spider-Man. Par ailleurs, on souhaitait que l’environnement soit aussi crédible que possible – même si on est dans un univers surhumain, il fallait que le spectateur y adhère ».

C’est ainsi que Powell n’a pas fait de Morbius un combattant aguerri – tout au moins, au départ. « Lorsque Morbius acquiert ses pouvoirs, il ne les maîtrise pas bien. Il est comme un animal sauvage, éliminant les gens et agissant de manière chaotique. À mesure que progresse l’intrigue, il apprend à contrôler sa rage et à la retourner à son avantage. Il a des griffes, comme celles d’un animal, qui lui permettent de trancher – il s’en sert et, du coup, il se sert moins de ses poings pour frapper comme une brute ».

À travers ses expériences, Morbius comprend qu’il a acquis une agilité extraordinaire grâce à ses pouvoirs. Pour ces scènes, Powell a fait appel à Greg Townley, l’un des plus grands acrobates au monde, pour qu’il assure la doublure de Morbius. « Ce qu’il accomplit dans les airs est prodigieux », affirme Powell qui indique que ces acrobaties s’inspirent de ses discussions avec Leto. « En amont du projet, Jared m’a expliqué comment, sous sa forme monstrueuse, il allait se déplacer, et on s’est donc lancé dans quelques recherches. On s’est documenté sur les chauve-souris et sur leur manière de s’attaquer entre elles ».

L’ÉVOCATION DU NEW YORK DES ANNÉES 80

Les spectateurs plus âgés se souviennent sans doute du New York des années 80 – du moins de sa représentation dans les albums de BD. Brutale, hostile, sombre – c’est ainsi que la métropole était dépeinte dans la plupart des albums que lisait Espinosa à l’époque et c’est ce qu’il souhaitait rappeler dans le film. « La ville était un peu sordide, et je me suis laissé imprégner par cette iconographie pour livrer une représentation différente », dit-il. « On pouvait proposer notre propre interprétation de New York, tout comme un artiste tel que John Romita Jr l’avait fait lorsqu’il a dessiné son premier paysage urbain new-yorkais ».

« On ne voulait pas voir Morbius se balader dans le New York très chic de la 5ème Avenue », indique la chef-décoratrice Stefania Cella. « Il est en marge de cet univers – il évolue dans les faubourgs et les ruelles sombres – mais il n’en fait pas partie. C’est ce qui nous a donné la liberté de repousser un peu les limites en matière esthétique, et de ne pas se cantonner à la stricte réalité historique de la physionomie de New York. On a ancré le film dans la réalité grâce au langage des rues, aux voitures, aux plaques d’immatriculation et aux panneaux de signalisation, et ensuite on a pu se permettre de prendre quelques libertés en matière d’architecture et de couleurs ».

« Stefania a participé aux films de Paolo Sorrentino, mais aussi à des classiques contemporains devenus cultes comme STRICTLY CRIMINAL et UNDERCOVER – UNE HISTOIRE VRAIE », note Espinosa en expliquant pourquoi il a souhaité lui confier la création des décors. « Stefania a un sens visuel incomparable : elle insuffle presque une touche européenne à ses décors ».

« C’était amusant d’évoluer dans le monde très codifié de la mythologie Marvel, mais aussi d’avoir une vraie liberté puisqu’on s’attaquait au premier film axé sur ce personnage », indique la chef-décoratrice. « On reprend des éléments existants tout en ayant la marge de manœuvre de jouer avec eux ». Stefania Cella souligne que les décors évoluent – et se transforment – suivant la propre évolution de Morbius. « Comme il s’agit du premier volet consacré à Morbius, tout nouveau personnage, on tenait à raconter son histoire à travers les décors – et à illustrer la manière dont il passe de jeune homme à lauréat du prix Nobel », dit-elle. « Au départ, on est en Grèce, univers ensoleillé, joyeux, magnifique et romantique. Et puis, on se retrouve dans le labo, blanc et stérile. L’évolution du style du film – de plus en plus sombre et réaliste – accompagne la métamorphose de Morbius. Les paysages grecs ensoleillés cèdent le pas à des ruelles inquiétantes, à des ambiances nocturnes ».

En témoigne le labo du porte-conteneurs que construit Morbius pour mener ses expériences éthiquement contestables et à la limite de la légalité. « Dans le labo Horizon, on découvre un espace où il étudie, entre ses livres, ses essais ou encore des détails comme les jouets qu’il a apportés en arrivant à New York », rapporte Stefania Cella. « On peut imaginer qu’il a vécu là, si bien qu’on y trouve un canapé sur lequel il dort – ou pas. Comme c’est un personnage atemporel, on a fait en sorte que son labo réunisse des technologies de pointe et un tableau noir. Tous les décors possèdent cette densité afin de donner de l’épaisseur aux personnages ».

Pour créer ce décor, Stefania Cella s’est inspirée d’espaces authentiques de vrais bateaux. « On a filmé certains plans sur un vrai navire – les couloirs, les escaliers et les coursives où se déroule la poursuite », note-t-elle. Pour le labo en particulier, « on a investi une usine et on y a apporté des éléments d’un véritable navire – des garde-corps rouges, des hublots et des tuyaux ». Un cadre qui tranche avec l’appartement de Milo qui, lui, en dit long sur le personnage. « Milo est un New-yorkais d’une richesse insolente », indique la chef-décoratrice. « On voulait qu’il vive dans un brownstone, le genre d’immeuble patricien caractéristique de l’Upper East Side, et on s’est beaucoup documenté sur les vestibules, les escaliers, les grands salons, les fenêtres donnant sur le parc, la collection d’art. Le décor témoigne à la fois d’un individu qui vit dans l’instant présent et qui veut vivre pour toujours. Si la maladie l’emporte, il aura profité du moindre instant de l’existence – et son appartement lui survivra, comme une sorte de monument à sa gloire ».

Le film a été tourné dans les studios de Pinewood au Royaume-Uni. Ces derniers ont aussi accueilli le décor le plus vaste et le plus emblématique du projet : l’Horizon Lab du docteur Michael Morbius, qui abrite une cage cylindrique de chauve-souris s’étendant du sol au plafond. D’autres décors ont été construits aux Fountain Studios de Wembley.

Les plans d’extérieurs de New York ont été tournés à Manchester, où les bâtiments en brique et les entrepôts du XIXème siècle campaient remarquablement la Grosse Pomme. Une partie désaffectée de la station de Charing Cross, à Londres, a été aménagée pour figurer les tunnels du métro new-yorkais où Milo est pris d’une folie meurtrière et affronte Morbius.

La séquence du porte-containeur a été tournée en six jours et dans trois lieux différents – le Science Park, à Dagenham, reconverti en labo ; le bâtiment Old Horlicks à Slough, abritant les couloirs du navire ; et, pour le pont extérieur, le HMS Belfast, qui stationne sur la Tamise. Le Science Park de Dagenham est gigantesque. Ancien QG de l’entreprise de produits chimiques ICI, le site a été aménagé en parc technique et scientifique en 2000. Alors qu’il abritait autrefois 170 entreprises employant près de 2000 techniciens qualifiés, le lieu sert aujourd’hui à des tournages.

L’usine Old Horlicks abritait une fabrique de chocolats mythique à Slough, dans l’ouest de Londres. Le HMS Belfast est amarré en permanence sur la Tamise et a été reconverti en musée. Inauguré en 1938, le navire a participé à de nombreux combats pendant la Seconde Guerre mondiale, puis pendant la guerre de Corée, avant d’être remisé en 1963.

Les images du magnifique brownstone de Milo ont été filmées dans une maison de Whitehall Court à Westminster. Cette propriété est apparue dans de nombreux longs métrages comme ELEPHANT MAN, RIEN QUE POUR VOS YEUX, OCTOPUSSY, HIGHLANDER, LES AILES DE LA COLOMBE, DIRTY PRETTY THINGS – LOIN DE CHEZ EUX, THE CONSTANT GARDENER, MISS PETTIGREW, et EDGE OF TOMORROW. Bookmark and Share


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