Vesper Chronicles : Après l’effondrement, la science-fiction environnementale
Article Cinéma du Mardi 16 Aout 2022

Dans le futur, les écosystèmes se sont effondrés. Parmi les survivants, quelques privilégiés se sont retranchés dans des citadelles coupées du monde, tandis que les autres tentent de subsister dans une nature devenue hostile à l’homme. Vivant dans les bois avec son père, la jeune Vesper rêve de s’offrir un autre avenir, grâce à ses talents de bio-hackeuse, hautement précieux dans ce monde où plus rien ne pousse. Le jour où un vaisseau en provenance des citadelles s’écrase avec à son bord une mystérieuse passagère, elle se dit que le destin frappe enfin à sa porte...

Un avenir au vert

Coproduction belgo-franco-lituanienne, Vesper Chronicles est une œuvre de science-fiction comme Hollywood n’en fait plus – ou si peu. Malgré un budget sans doute limité, les réalisateurs Kristina Buozyte et Bruno Samper livrent un récit post-apocalyptique crépusculaire et violent, dont l’imagerie rend parfois hommage aux œuvres de Moebius ou Miyazaki. « Je suis très fan de Jean-Marie Pelt, qui avait cette émission au début des années 80, « L’Aventure des plantes », mais aussi de René Laloux et Roland Topor créateurs de La Planète Sauvage », explique Bruno Samper. « On peut retrouver aussi des références à Jim Henson, à Miyazaki, mais aussi à des designers comme Neri Oxman, des architectes, notamment dans l’architecture prospective. C’est très divers ». Ainsi cet horrible futur introduit une toute nouvelle faune (fruit des expériences menées par ceux qui ont précédemment tenté de sauver l’humanité du changement climatique) aussi surprenante que bigarrée. « Au-delà même des références au cinéma car notre univers se veut original et unique. Nous voulons créer un monde qui a été métamorphosé par l’ingénierie génétique et où la forêt en déliquescence se retrouve peuplée d’organismes parasites, génétiquement modifiés. » Dès les premières minutes, le spectateur découvre ainsi que la planète a parcouru bien du chemin. Certes, Vesper Chronicles rappelle parfois La Route et d’autres histoires à la noirceur insondable. Mais là où d’autres œuvres post-apo mettent en scène des engins ou des robots, c’est la génétique qui définit cet avenir. « On a travaillé cet univers plusieurs années pendant lesquelles nous avons affûté notre approche de la génétique comme évolution logique de la science », précise Bruno Samper. « Cette idée que plus la technologie va avancer et évoluer, plus elle va s’intégrer au vivant et devenir totalement organique. Aujourd’hui on commence à stocker de l’information numérique sur de l’ADN. La prochaine révolution sera sans doute celle de la biologie synthétique, elle s’est déjà notablement accélérée pendant la pandémie. »

Une esthétique originale

Très inspiré par la SF européenne du siècle précédent, l’univers de Vesper Chronicles dénote au sein de la multitude de dystopies que nous a offert Hollywood ces derniers temps. « On s’est aussi beaucoup penchés sur le biodesign : depuis 20 ans, l’informatique a permis, grâce aux images de synthèse, de faire émerger une esthétique inspirée de la complexité des formes du vivant », ajoute le réalisateur. « Il y a tout un pan de l’art et du design qui s’est développé dans ce sens-là chez les stylistes, les designers ou dans le « motion design ». Ce sont des notions qui se sont beaucoup développées dans une forme d’avant-garde esthétique mais qui ont finalement été peu intégrées au cinéma. On les retrouve par petites touches, dans des blockbusters américains, car ils travaillent avec les meilleurs artistes. Mais ces derniers sont souvent bridés par l’obligation de s’adresser au plus grand nombre. Nous, en tant que film indépendant, nous avions une liberté totale et nous pouvions développer cette esthétique et cet univers sans restriction. » Une volonté qui rejaillit sur l’ensemble du long-métrage, trop violent pour être partagé en famille tout en osant aborder des sujets forts (et particulièrement contemporains). Ici, pas de scène d’action pour camoufler le vide d’un scénario : Vesper Chronicles nous raconte cet avenir par la seule qualité de la direction artistique et des dialogues.

Un commentaire social

« Nous voulions créer un conte de fées très sombre, à destination notamment des adultes », déclare Kristina Buozyte. « Nous avons tout de suite réfléchi à la manière d’intégrer les atouts liés à un tournage en Lituanie, un pays magnifique par sa nature, ses forêts, ses rivières, ses paysages... Chaque décision doit inclure une réflexion sur le budget. C’est notre deuxième film de science-fiction qui nécessite des effets spéciaux, après Vanishing Waves. Nous avons l’expérience. Nous savons où doivent être les moneyshots, comment tirer le maximum des contraintes budgétaires. Nous ne voulons pas faire un film hollywoodien avec des effets numériques dans tous les coins. Il faut être intelligent, montrer plus avec moins. » C’est tout la réussite de ce film, qui avec peu montre beaucoup. Tout un univers semble exister au-delà des limites de l’écran. Un monde où la lutte des classes est évidement toujours actualité. Si les privilégiés s’abritaient dans la station spatiale Elysium dans le film éponyme de Neill Blomkamp, ils ont trouvé ici refuge dans des citadelles. La science-fiction est toujours d’actualité quand elle scrute le présent. « Nous avons voulu pousser au maximum l’idée de privatisation du vivant », explique Bruno Samper. « Il y a quelques années une société américaine a breveté une semence génétiquement modifiée appelée « Terminator ». Une semence qui ne donnait qu’une seule récolte et qui devenait stérile après cela. » Ce qui rappelle le scénario d’un certain film à très gros budget –Jurassic World Dominion- sans que ce dernier ne réussisse à porter le sujet aussi efficacement que Vesper Chronicles. « En gros, un système d’abonnement sur le vivant. Cette idée est terrifiante et fascinante à la fois. Si l’on regarde, par exemple, les études comportementales d’Henri Laborit sur les rats, on se rend compte que la logique capitaliste n’est pas le propre de l’homme. C’est une des stratégies, dans le vivant, qu’un groupe peut adopter pour survivre et prospérer. Mais c’est souvent une impasse. On se rend compte que les stratégies de collaboration, d’entraide, ou de symbiose sont beaucoup plus pérennes et résilientes sur le long terme. On a imaginé un futur, qui serait comme un nouveau Moyen-Âge et Vesper Chronicles est l’histoire du germe d’une Renaissance. C’est un film sur l’espoir, l’espoir que l’on trouvera toujours de la beauté, et c’est ce qui nous donnera toujours une raison de vivre, même dans un futur qu’on nous annonce apocalyptique. Ça peut sembler un peu naïf, mais ce sont ces messages très simples, auxquels on croit profondément, que l’on a voulu mettre au cœur de l’histoire. On voulait atteindre une sorte de “ligne claire” narrative et pouvoir concentrer la mise en scène sur le voyage émotionnel et sensoriel du spectateur. » Vesper Chronicles est ainsi une véritable œuvre de science-fiction, examinant le futur pour parler des défis contemporains. L’ingéniosité mise en place par l’équipe du film pour dépasser le manque de moyens aboutit en outre à un film qui s’échappe du carcan hollywoodien.

La terre promise

« Au-delà du cadre de la science-fiction, Vesper Chronicles est aussi un récit initiatique portant un message pour notre société qui se tourne de plus en plus vers l’escapisme », précise Kristina Buozyte. « Confrontés aux problèmes - économiques, sociaux, politiques - de plus en plus de gens préfèrent la fuite plutôt que de les affronter et de les résoudre. Notre protagoniste, Vesper, ne fait pas exception à la règle. C’est une adolescente talentueuse, qui ne se résigne jamais à être une victime et qui utilise ses compétences et son énergie pour échapper à sa triste réalité, en poursuivant le rêve d’une « Terre Promise ». Mais quand Vesper réalise que celle- ci n’existe pas, elle doit utiliser son potentiel pour créer cette « Terre Promise » là où elle se trouve. L’histoire fait également la critique d’un système qui assèche les ressources de la Terre, creuse le fossé entre une oligarchie et le peuple, et perpétue cette séparation en vendant et en régulant toutes les innovations ». Nous vous recommandons donc d’aller voir Vesper Chronicles. Le second acte aurait certes gagné à être resserré, mais dans l’ensemble il s’agit d’une expérience audiovisuelle qui ne s’arrête pas en sortant de la salle de cinéma. On y repense et on y revient.

Propos des réalisateurs recueillis par Emmanuelle Spadacenta. Bookmark and Share


.